Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes au journaliste Thomas Blosseville, auteur du livre Le nucléaire (presque) facile, paru ce 1er septembre 2023 aux éditions Delachaux et Niestlé, pour évoquer avec lui les enjeux de la vulgarisation du secteur de l’énergie.
Le Monde de l’Énergie —Pourquoi avez-vous décidé de rédiger un ouvrage vulgarisant le fonctionnement de l’énergie nucléaire, en particulier en France ?
Thomas Blosseville —En France, le débat sur l’énergie est longtemps resté cantonné à un cercle d’initiés avec des spécialistes décidant pour la population des infrastructures dont elle avait besoin. On peut le comprendre : le sujet est difficile à appréhender. Mais, en le réduisant à une approche technique, on néglige sa dimension politique, au sens où le modèle énergétique façonne et reflète la manière dont la société s’organise. Dans le cas du nucléaire, le débat s’est structuré autour de positions parfois très contrastées. La filière a ses ardents défenseurs, ses opposants farouches et, entre les deux, il y a une grande partie de la population à qui j’ai voulu m’adresser. Depuis la construction des réacteurs du parc actuel, le secteur énergétique a beaucoup changé. J’ai souhaité recontextualiser le débat pour permettre à chacun de s’approprier les questions qui se posent aujourd’hui.
Le Monde de l’Énergie —Le grand public vous semble-t-il correctement informé sur les énergies en général, et sur le nucléaire en particulier ?
Thomas Blosseville —Il l’est de plus en plus et de mieux en mieux. Peut-être même submergé par les informations et l’étendue des interrogations sur le devenir de notre modèle énergétique. Il me paraît donc essentiel de commencer par correctement poser le débat. Sur le nucléaire, l’heure n’est plus à se positionner pour ou contre : les réacteurs sont déjà présents par dizaines sur le territoire français. Tôt ou tard, ils seront arrêtés. Quand et dans quelles conditions ? Beaucoup reste à déterminer. Sans même envisager la construction de nouvelles installations, l’avenir du parc existant est déjà un point structurant pour l’avenir énergétique du pays. Au-delà d’informer le grand public, l’important me semble de nous interroger sur la manière de prendre rapidement des décisions collectives les plus éclairées et concertées possibles.
Le Monde de l’Énergie —Pourquoi, à votre avis, un nombre important de citoyens continuent de penser qu’une centrale nucléaire émet du CO2, alors que ce n’est pas le cas ?
Thomas Blosseville —Je le formulerais autrement. Disons que de nombreux citoyens s’interrogent sur le caractère utile ou non du nucléaire face au changement climatique et, plus largement, face à la crise écologique. Ils n’abordent pas le sujet par le seul prisme de la « décarbonation » souvent mise en avant par les responsables politiques. Les citoyens se positionnent de façon à la fois plus globale et plus fine. Ils le font à travers la réalité de leur quotidien. Ils s’intéressent aux besoins à satisfaire et aux usages de l’énergie, pas uniquement à la manière de la produire. Les problématiques liées à la maîtrise des consommations s’enracinent dans les esprits, que ce soit pour des motivations environnementales ou économiques. Sur un autre plan, le nucléaire est loin de rassurer complètement sur la gestion des matières et déchets radioactifs.
Pour ces raisons, le bilan carbone n’est à mon avis pas le seul critère considéré par les Français au moment de juger la pertinence de la filière. L’année 2022 aura peut-être, en plus, semé des doutes. La crise énergétique a relancé le débat sur la souveraineté et la nécessité de produire sur son sol les kilowattheures consommés. Cela dit, la faible disponibilité des réacteurs français a pu aussi réveiller les craintes de dépendance à des centrales nucléaires vieillissantes et vulnérables. Ces composantes du débat se diffusent dans le débat public.
Le Monde de l’Énergie —Les outils de vulgarisation sur l’énergie disponibles en France vous semblent-ils suffisamment qualitatifs et accessibles ? Le grand public dispose-t-il d’informations fiables sur le sujet ?
Thomas Blosseville —L’énergie est de plus en plus abordée dans les médias. Au-delà des informations fiables, l’important me semble de donner du sens, de hiérarchiser et mettre en perspective les faits au regard des enjeux de court et de moyen termes. Dit autrement, de créer les conditions d’une appropriation par chacun d’un sujet aux multiples facettes. C’est encore loin d’être le cas. Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment, depuis deux ans, l’État prépare les esprits à la construction de nouveaux réacteurs comme si le sujet avait été largement débattu et tranché collectivement en toutes connaissances de causes et de conséquences.
Le Monde de l’Énergie —En quoi disposer d’une information claire et sourcée sur le sujet est-il indispensable pour aider citoyens et politiques à se positionner sur les défis énergétiques et climatiques ?
Thomas Blosseville —On peut faire dire beaucoup de choses à une donnée brute, l’important est de la décrypter et de la relativiser. Le sujet est souvent présenté sous un angle technologique ou économique alors qu’il est aussi très politique. Beaucoup d’experts assènent des certitudes, mais l’évolution de notre modèle énergétique sera surtout marquée par les incertitudes. C’est à cette réalité que chacun doit se préparer.
Par Thomas Blosseville, publié le 04.09.2023
https://www.lemondedelenergie.com/nombreux-citoyens-interrogent-sur-caractere-utile-ou-non-nucleaire-face-changement-climatique/2023/09/04/
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