LES ÉNERGIES RENOUVELABLES FONT-ELLES TROP D’OMBRE AU NUCLÉAIRE ?

L’ex-PDG d’EDF Henri Proglio soutient que le nucléaire est contraint de moduler sa production pour s’adapter aux ENR. Une absurdité selon lui, mais un faux procès selon plusieurs experts, pour lesquels cette flexibilité est une voie à approfondir.

La forme peut varier mais le fond demeure : les énergies renouvelables (ENR) prendraient la place du nucléaire. L’assertion surgit régulièrement, ressassée par de farouches défenseurs de l’atome. Dernière sortie en date : celle de l’ex-PDG d’EDF Henri Proglio, dont les propos tenus lors d’un séminaire organisé par la fondation Res Publica en mars dernier, ont récemment été rapportés par Marianne. Selon lui, « demander au nucléaire de s’effacer quand les énergies renouvelables – intermittentes et non programmables – arrivent représente un surcoût gigantesque. […] Or, aujourd’hui, priorité d’accès [au réseau électrique] est donnée au renouvelable, et le nucléaire doit s’adapter. Encore une idée géniale ! » L’urgence, à ses yeux, serait de « définir un optimum de production nucléaire » auquel se tenir. Sous-entendu : il faudrait déterminer une limite haute à la part des ENR dans le mix électrique français pour profiter au maximum des rendements de l’atome.

« C’est une très mauvaise façon de défendre le nucléaire, juge Nicolas Goldberg, senior manager énergie et environnement à Colombus Consulting. Ce débat est inaudible, car pollué par un tas de positions politiques et éloignées de la technique. » Avis partagé par Géry Lecerf, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg), qui affirme : « Accuser les ENR d’être coupables de la modulation du parc nucléaire, c’est un sophisme, un faux procès relevant d’un discours anti-renouvelables. »

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Surtout, rappellent les deux experts, la modulation du parc nucléaire n’a rien d’une nouveauté puisqu’elle a toujours existé – ou presque. Nicolas Goldberg évoque d’ailleurs « un savoir-faire de pointe » maîtrisé par l’énergéticien tricolore. « Une réelle force« , confirmait en janvier dernier Cédric Lewandowski, directeur exécutif d’EDF chargé du parc nucléaire et thermique, lors de son audition devant la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. « Le parc nucléaire français dispose de capacités de modulation dont la plupart des autres parcs du monde ne bénéficient pas« , ajoutait-il. Cette compétence doit d’ailleurs être renforcée, assure la Société française d’énergie nucléaire (Sfen), car « la flexibilité du nucléaire est déterminante pour réussir la transition vers une économie décarbonée et réussir l’intégration des énergies renouvelables intermittentes dans le réseau électrique« .

Un plafond aux ENR ? « Une folie« 

Avec sa récente loi sur l’accélération de la production d’ENR, le gouvernement a confirmé la part grandissante que ces dernières prendront dans le mix énergétique français – alors que le pays est à la traîne sur ses objectifs en la matière. « Vu le besoin et les prix de marché de l’électricité, je ne suis pas certain que notre problème soit d’avoir des énergies renouvelables« , pointe Nicolas Goldberg, de Colombus Consulting. D’autant qu’elles n’ont, jusqu’à présent, entraîné que très peu de baisse de la production nucléaire. « Le phénomène […] demeure rare et se produit essentiellement lors des périodes de faible consommation électrique« , précisait RTE, le réseau de transport d’électricité, dans une note de 2020. « Avant, les renouvelables comptaient trop peu dans le mix pour ‘déplacer’ du nucléaire et, maintenant, ce dernier est trop faible« , abonde Cédric Philibert, consultant indépendant sur les questions énergétiques et chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), battant en brèche l’argumentaire d’Henri Proglio.

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L’ex-PDG de Veolia puis d’EDF déplore le prix d’une telle stratégie. Avec des coûts fixes massifs et des coûts variables faibles, une rentabilisation maximale du nucléaire implique, en principe, un fonctionnement constant à une puissance donnée. Or, si EDF procède à ces modulations, « c’est qu’il y voit un intérêt« , note Nicolas Goldberg, qui cite notamment des gains sur le combustible. Concernant leurs conséquences sur l’outil industriel – fatigue accélérée et usure sont souvent avancées –, elles apparaissent pour l’heure « tout à fait mineures« . « Nous n’avons pas constaté de traces de vieillissement accéléré du parc« , constatait Cédric Lewandowski, d’EDF, devant la commission d’enquête. Mais, à cause du réchauffement climatique et de la montée en puissance des ENR, qui devront pourvoir un tiers de la consommation d’énergie à l’horizon 2030, un travail plus approfondi a été lancé pour savoir si davantage de modularité, couplée à l’arrêt de certains réacteurs, pouvait « engendrer une obsolescence accélérée« .

Rien, pour l’heure, n’incite donc à fixer un plafond à ne pas dépasser pour les ENR. « Ce serait une folie, lance le consultant Cédric Philibert. C’est plutôt à la filière nucléaire de fournir la preuve qu’elle peut encore construire une centrale dans les délais et les coûts prévus. » D’après le chercheur associé à l’Ifri, la problématique devrait plutôt être inversée : « Quel est le niveau idéal du nucléaire dans une Europe interconnectée et avec beaucoup de renouvelables ? » Tous les interlocuteurs interrogés conviennent que l’avenir énergétique – et électrique – passera par une flexibilité accrue des sources de production. « Est-ce au nucléaire de l’assurer ou faut-il se tourner vers d’autres options ? Et lesquelles ? » questionne Géry Lecerf, de l’Afieg. Là est le vrai débat.

Par Baptiste Langlois, publié le 05/09/2023 à 11h40

Photo en titre : « Accuser les ENR d’être coupables de la modulation du parc nucléaire, c’est un sophisme, un faux procès relevant d’un discours anti-renouvelables », affirme Géry Lecerf, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg). afp.com/Orlando SIERRA

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