LA FRANCE « CONCRÉTISE SON MOMENTUM » NUCLÉAIRE À L’OCDE

Plusieurs leaders mondiaux se sont réunis jeudi et vendredi (28 et 29 septembre) à Paris dans les locaux de l’OCDE à l’initiative de la France pour accélérer le financement du nucléaire et discuter d’une coopération internationale de long terme excluant la Russie du jeu.

« C’est la première fois depuis 13 ans qu’autant de ministres se rejoignent pour un événement de l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) », a précisé en conférence de presse Mme Pannier-Runacher co-présidente de l’évènement avec le directeur général de l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire, William D. Magwood, IV.

21 États étaient représentés, dont 15 Européens — Bulgarie, Roumanie, Pays-Bas, Pologne, Croatie, Tchéquie, Estonie, Finlande, France, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Ukraine, Royaume-Uni — ainsi que la Turquie, la Corée du Sud, le Japon, le Ghana et les États-Unis.

Au programme des discussions : des feuilles de route sur le financement, l’innovation, la chaîne d’approvisionnement, le combustible et la coordination entre l’industrie et le gouvernement.

Une trentaine de dirigeants industriels ont aussi pris part aux débats. Vendredi, plusieurs associations les représentant ont signé un communiqué conjoint appelant au redéveloppement du nucléaire.

Le moment est opportun pour la ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Les conséquences sur l’approvisionnement énergétique de la guerre en Ukraine aidant, un certain nombre d’États membres de l’UE se sont rappelés aux atouts du nucléaire, comme les Pays-Bas et l’Italie, auparavant opposés au redéveloppement de l’atome.

Financement international

Ensemble, les participants de l’évènement ont appelé les institutions financières internationales, les banques de développement régionales et les organisations régionales — comme l’UE — à financer le nucléaire.

« Nous avons l’intention d’explorer des approches de financement innovantes, y compris des partenariats public-privé, afin de faciliter l’accès au capital pour les projets de remise en état, d’exploitation à long terme, d’entreposage et de stockage à long terme du combustible usé et des déchets, et de construction de nouvelles centrales nucléaires au niveau international, tout en atténuant les coûts économiques du risque grâce à des mécanismes d’aide publique », précise le communiqué conjoint des participants à l’évènement.

L’UE est donc aussi appelée à participer au mouvement. Mme Pannier-Runacher a d’ailleurs « salué » la déclaration de mardi (26 septembre) de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen envisageant de subventionner le nucléaire.

Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, n’a pas dit autre chose en ouverture de l’évènement : « Le nucléaire a besoin d’un soutien public dans trois domaines : financement [y compris de la Banque européenne d’investissement], développement des compétences et innovation ».

Interrogée sur la possible réticence d’États membres, comme l’Allemagne, à ce que des fonds européens soient dirigés vers le nucléaire, Mme Pannier-Runacher a déclaré que « ce qui pose un problème est de traiter différemment deux énergies qui contribuent aux mêmes objectifs [de décarbonation] », le nucléaire et les énergies renouvelables, toutes bas-carbones.

Sur ce sujet, le communiqué conjoint appelle les institutions financières à « classer l’énergie nucléaire avec toutes les autres sources d’énergie à émissions nulles ou faibles dans les taxonomies financières ».

Les États signataires de la déclaration conjointe ont un autre argument de choc : les capacités nucléaires devraient tripler dans le monde d’ici à 2050, si l’on s’en réfère aux scénarios de l’OCDE.

Moins optimiste, l’Agence internationale de l’énergie prévoit plutôt un doublement d’ici à 2050.

Contre la Russie

Le rendez-vous était l’occasion de se réunir entre défenseurs du nucléaire, mais seulement de « pays démocratiques qui partagent les mêmes valeurs », précisait l’entourage de Mme Pannier-Runacher mercredi (27 septembre), bien que la Turquie entretienne des relations ambigües avec la Russie.

Certes, les discussions à l’OCDE ne portaient pas directement sur la dépendance à l’industrie nucléaire russe de certains États d’Europe de l’Est et partie prenante de l’évènement, mais « en filigrane, il y a un engagement de tous les pays de l’OCDE dans la condamnation de l’invasion russe », a expliqué le cabinet de Mme Pannier-Runacher. 

Une pique envoyée à la Russie donc, d’ailleurs suspendue de l’Agence de l’énergie nucléaire.

Présents à l’évènement, ces États d’Europe de l’Est sont également membres de l’« alliance du nucléaire », elle aussi engagée à « mettre en place des partenariats pour sortir de cette dépendance [à la Russie] », a rappelé l’entourage de la ministre.

D’ailleurs, nul doute que leur présence a permis des discussions plus approfondies sur les négociations en cours à Bruxelles sur la réforme du marché européen de l’électricité, dont la France défend une approche favorable aux actifs nucléaires existants.

Mme Pannier-Runacher a signalé que le sujet ne serait pas sur la table des discussions à l’OCDE. Néanmoins, son cabinet déclarait en amont que des « réunions bilatérales avec plusieurs d’entre eux [membres de l’alliance du nucléaire] auraient bien lieu » pour, notamment, se « coordonner sur la question » de la réforme européenne.

Le matin de l’évènement, Mme Pannier-Runacher avait d’ailleurs rendez-vous avec son homologue italien Gilberto Pichetto Fratin « pour parler de coopération en matière de nucléaire et de l’avenir du marché européen de l’électricité », précisait-elle sur X (ex-Twitter).

L’Italie n’a pas pris part aux débats à l’OCDE ni n’a signé le communiqué conjoint, mais était présente en tant qu’observateur.

Quoiqu’il en soit, Mme Pannier-Runacher « concrétise son momentum », conclut pour Euractiv France Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique européenne près l’institut européen Jacques Delors.

Par Paul Messad | EURACTIV France, publié le 29 septembre 2023 à 12h10, mis à jour à 13h47

Photo en titre : « C’est la première fois depuis 10 que les ministres de l’Énergie de l’OCDE se rejoignent au sujet du nucléaire », a précisé Mme Pannier-Runacher en conférence de presse, co-présidente de l’évènement avec le directeur général de l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire (AEN), William D. Magwood, IV. [Krystal Kenney / OCDE]

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