LE SECTEUR FRANÇAIS DE L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE NE RÉPOND PAS À SES PROMESSES

L’acteur dominant du secteur énergétique français, Électricité de France (EDF), doit laisser la place à des fournisseurs d’énergie plus petits qui offrent une alternative innovante au modèle du champion national de l’énergie nucléaire, écrit Philippe Girard.

(Philippe Girard est Directeur général d’E-PANGO et expert en énergie et en marchés de l’électricité.)

Comme a récemment averti l’Agence Internationale de l’Énergie, l’Europe pourrait être confrontée à un hiver rude cette année, bien qu’elle ait remarquablement fait face aux défis posés par la crise énergétique qui a suivi l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie.

Étonnamment, la France est mal armée pour faire face à une nouvelle crise énergétique cet hiver.

Pendant des décennies, le secteur de l’énergie nucléaire français a été vanté comme le meilleur d’Europe, voire du monde. Le secteur nucléaire français, autrefois puissant et responsable de 70% de la production électrique en France, aurait dû positionner le pays comme une force dominante dans le paysage énergétique Européen.

En 2022, cependant, la France a été contrainte d’importer de l’électricité d’Allemagne, d’Espagne et du Royaume-Uni suite à la fermeture d’une grande partie de ses réacteurs nucléaires pour des raisons de maintenance imprévue. Comment en est-on arrivé là ?

De nombreux analystes attribuent la crise énergétique actuelle de la France à une combinaison de facteurs externes tels que la pandémie de COVID-19, le changement climatique, l’incohérence des politiques gouvernementales et la malchance.

Il serait toutefois erroné d’attribuer cette crise à ces seuls facteurs.

Les troubles que connaît le secteur de l’énergie en France sont intimement liés à la structure qui en est à l’origine : Électricité de France (EDF), l’entreprise énergétique contrôlée par l’État. Des années de mauvaises décisions et de mauvaise gestion ont sapé l’avantage nucléaire du pays, ce qui a conduit la France à importer de l’électricité plutôt qu’à en exporter.

L’investissement initial de la France dans l’énergie nucléaire était une réponse à la crise pétrolière de 1973.

Jusqu’alors, une part importante de l’approvisionnement en électricité de la France reposait sur la production d’électricité à partir du pétrole ou du charbon. Confrontés au choc pétrolier, les responsables politiques ont commencé à chercher une autre source d’énergie que la France pourrait contrôler plus facilement.

L’énergie nucléaire s’est imposée comme le choix le plus judicieux. Au cours des 15 années qui ont suivi, la France a mis en service 56 réacteurs nucléaires qui lui ont permis non seulement de répondre à sa demande énergétique intérieure, mais aussi d’exporter de l’électricité au-delà de ses frontières.

Depuis des décennies, EDF n’a cessé d’ignorer l’appel du législateur à investir dans des solutions de stockage. Dans ses rapports sur la production d’électricité, le Parlement a, par exemple, souligné la nécessité de construire des capacités de stockage à quatre reprises entre 2002 et 2016.

Malgré ces directives explicites, EDF n’a pas pris de mesures décisives pour y répondre. En fin de compte, l’incapacité d’EDF à investir dans des solutions de stockage pour les capacités nucléaires excédentaires a entraîné une hausse des prix de l’électricité sur les marchés nationaux et européens.

L’électricité française ne pouvant être stockée dans des volumes importants, la production doit toujours être exactement égale à la consommation. Toute modification de la demande ou de la production d’électricité en un point donné du réseau de transport a un impact instantané sur l’ensemble du système.

Pourtant, au lieu d’investir dans des solutions de stockage, EDF a adopté une politique dite de modulation, ajustant la puissance de sortie des réacteurs nucléaires pour qu’elle corresponde exactement à la consommation d’électricité.

Cette politique a entraîné une augmentation des coûts d’exploitation qui s’est répercutée sur les consommateurs sous la forme d’une hausse des prix. Elle a également réduit la durée de vie des réacteurs nucléaires.

Les experts ont à plusieurs reprises mis en garde contre la modulation, arguant que cette pratique n’est viable ni sur le plan économique ni sur le plan technique, car elle empêche les réacteurs d’atteindre une efficacité et un retour sur investissement maximums.

Il est primordial que les autorités françaises évaluent l’impact de la modulation sur le processus de vieillissement du parc actuel de réacteurs nucléaires et explorent les possibilités de prolonger leur durée de vie à 50 ou 60 ans.

Dans un paysage dominé par EDF, la responsabilité de cette dernière doit être questionnée. À la fin de l’année 2022, les dettes d’EDF avaient atteint la somme stupéfiante de 64,5 milliards d’euros, ce qui en faisait l’une des entreprises les plus lourdement endettées au monde. L’acquisition complète d’EDF par l’État français en 2023 était cruciale pour la survie de l’entreprise.

Le gouvernement français est actuellement confronté à la tâche d’augmenter les revenus d’EDF sans imposer de dépenses d’électricité plus élevées aux consommateurs. Dans le même temps, il doit éviter les poursuites de la Commission européenne pour des infractions potentielles liées à des aides d’État illégales et à des distorsions de concurrence.

On ne saurait sous-estimer l’importance d’empêcher un acteur dominant de détenir un pouvoir de marché sur la capacité non intermittente. Dans le cas d’EDF, cela a eu un impact négatif sur les marchés européens et britanniques de l’électricité.

Compte tenu des bouleversements causés par EDF et de sa place dans l’écosystème électrique français, la voie à suivre devait consister à mettre fin au monopole d’EDF sur le secteur de l’électricité en diversifiant les fournisseurs d’énergie et en favorisant l’innovation.

Les petits fournisseurs d’énergie tels qu’E-Pango proposent une alternative innovante au modèle du champion national.

Les consommateurs auront beaucoup à gagner avec l’introduction d’une réelle concurrence sur le marché français de l’électricité.

Par Philippe Girard, publié le 2 octobre 2023

Photo en titre : Un panneau de signalisation se trouve devant la centrale nucléaire de Fessenheim, en France, le 12 juin 2018. [EPA-EFE/PATRICK SEEGER]

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