INTERVIEW NUCLÉAIRE. RÉACTEUR À L’ARRÊT : LE DIRECTEUR DE LA CENTRALE DE FLAMANVILLE 1 ET 2 S’EXPLIQUE

À la centrale EDF de Flamanville (Manche), le réacteur n°1 a redémarré le 25 septembre 2023 après 18 mois d’arrêt et de nombreux reports. David Le Hir, le directeur, s’explique.

David Le Hir dirige, depuis le 1er mars 2022, la centrale de Flamanville 1 et 2 (deux réacteurs de 1 300 MW), dans la Manche.

À lire aussi : Nucléaire. Avant le démarrage, l’EPR de Flamanville s’offre une répétition générale

Sa première année et demie à la tête de l’établissement cotentinois n’a pas été de tout repos puisqu’il a dû gérer de nombreuses opérations de grande envergure et deux redémarrages dont celui du réacteur n° 1 qui s’est étalé sur près de 18 mois. Il répond à nos questions.

Actu : L’arrêt de tranche du réacteur n° 1 est désormais terminé après plusieurs mois de travaux mais aussi de reports. Pouvez-vous nous rappeler cette séquence ? Et quel était son objectif ?

David Le Hir : Cet arrêt, programmé dans le cadre du grand carénage du parc EDF (1), a débuté en avril 2022. L’objet principal de cette opération était le remplacement des quatre générateurs de vapeur. Ces composants affichaient 35 ans et on se devait de les changer afin d’améliorer la sûreté et la productivité du réacteur. C’est une opération particulièrement dimensionnante, préparée en amont pendant plusieurs années et lors desquelles le site flamanvillais était au rendez-vous sur les différents jalons. L’opération en elle-même du remplacement des générateurs a donc débuté le 17 juin 2022. Les moments forts ont été la sortie et la rentrée des pièces, lors de l’été 2022, à travers des opérations de levage très importantes étant donné que ces pièces pèsent chacune 500 tonnes, l’équivalent d’un Airbus plein. Nous étions d’ailleurs tête de série sur cette opération de levage puisque l’on mettait en place une toute nouvelle génération de générateur de vapeur. Dans la foulée, nous avons effectué tous les raccordements nécessaires, tout en étant fortement mobilisés sur le redémarrage du réacteur n° 2. C’est à ce moment-là que nous avons été touchés par la crise de la corrosion sous contrainte (2).

(1) : Il désigne en France un vaste projet et programme industriel de renforcement des installations de production d’électricité nucléaire, visant à allonger la durée d’exploitation possible des centrales nucléaires.

(2) : À la fin de l’année 2021, un phénomène de corrosion sous contrainte affectant le circuit primaire de plusieurs réacteurs nucléaires EDF a été découvert, ce qui a conduit à l’arrêt prolongé d’une vingtaine d’entre eux.

Quelles décisions avez-vous dû prendre et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

D.L.H. : Après la découverte de corrosion à Penly, nous avons été obligés de nous lancer dans des batteries de contrôle. Avec des contraintes importantes puisque, quand on découpait un bout de tuyauterie, elle partait en direction de Chinon (NDLR : où se situe le Laboratoire intégré d’expertises de Chinon, Lidec, d’EDF) pour être étudiée. Cela a entraîné un premier report conséquent. Ensuite, une deuxième découpe de la tuyauterie a repoussé de trois nouveaux mois le couplage. Car, nous sommes dans une chaîne bien réglée et bien précise. Quand une opération est à l’arrêt, elle bloque toute la succession d’activités. Finalement, les opérations de démarrage définitives ont débuté durant l’été dernier. Le réacteur a été chargé en juillet 2023 et le couplage a eu lieu le 25 septembre.

1 000 personnes

1 000 personnes ont participé à l’arrêt de tranche du réacteur n° 1, que ce soit en phase de préparation ou en logistique, qui a notamment vu le remplacement des quatre générateurs de vapeur.

 David Le Hir, à droite, en compagnie du nouveau préfet de la Manche, Xavier Brunetière. (©Ludivine LANIEPCE)

« Un grand moment de déception collective » 

Comment vit-on tous ces reports et parfois les critiques qui les accompagnent ?

D.L.H. : C’est un grand moment de déception collective. Car l’opération de remplacement des générateurs de vapeur est complexe avec beaucoup d’interférences à gérer. De fait, il y a beaucoup d’investissements de la part des équipes et ces reports peuvent s’apparenter à de grosses frustrations. Notre fonction première est de produire de l’électricité. Un réacteur qui ne produit pas, ce n’est pas conforme. Après, concernant les critiques, les équipes le sentent moins. Même si j’ai fait un grand nombre de communications pour expliquer les raisons des reports, la façon dont allait être remodelée la ligne de charge, etc. Au final, concernant le regard extérieur, c’est plus la direction et le service communication qui sont sollicités. Clairement, on sentait une incompréhension, mêlée d’une attente. À chaque fois, on essayait donc d’être le plus pédagogique possible.

À lire aussi : Nucléaire. Mise en service de l’EPR de Flamanville : les contributions se multiplient

À combien peut-on estimer le coût supplémentaire de tous ces reports ?

D.L.H. : Je ne peux pas donner de chiffre. Mais, clairement, une non-production est un réel impact pour EDF.

Quelle est la suite du programme pour les réacteurs n° 1 et 2 ? Les opérations de surveillance et de maintenance ne sont pas encore terminées ?

D.L.H. : Effectivement, nous avons au menu, en 2024, deux visites partielles (3). Celle du réacteur n° 2 est ainsi prévue pour fin février. Elle durera 110 jours. Et celle du n° 1 est programmée pour mi-septembre et s’étalera sur 95 jours. Je rappelle que ce sont encore des opérations assez dimensionnantes à piloter.

(3) : Il existe trois sortes d’arrêt de tranche. L’arrêt pour simple rechargement (tous les 12 ou 18 mois environ), la visite partielle et la visite décennale.

« Nous avons un calendrier à respecter »

Sans oublier, comme ce fut le cas pour le n° 1, un nouvel arrêt avec le changement des générateurs de vapeur sur le réacteur n° 2…

D.L.H. : Tout à fait. Cette opération est programmée pour le deuxième semestre 2025. Elle s’anticipe. On travaille donc déjà dessus, en capitalisant sur le retour d’expérience des aléas rencontrés sur le réacteur n° 1. On travaille sur le sujet avec une entité d’EDF basée à Marseille (NDLR : la Division Ingénierie du Parc nucléaire et de l’Environnement qui a notamment pour mission de concevoir et réaliser les modifications nécessaires aux centrales nucléaires afin de prolonger leur durée de vie). C’est elle qui engrange de l’expérience d’une opération à l’autre et qui doit nous permettre de traiter toutes les difficultés rencontrées.

N’est-ce pas pesant de multiplier les arrêts de tranche et de devoir régulièrement stopper la production d’électricité ?

D.L.H. : Nous avons un calendrier à respecter. L’enjeu, clairement, est la réussite du grand carénage. Nous travaillons sur la prolongation de vie des centrales afin qu’elles soient aptes à produire plusieurs dizaines d’années encore. Nous ne faisons rien de moins que de préserver notre patrimoine.

Ce nouvel arrêt de tranche a permis, notamment, de changer quatre générateurs de vapeur. (©EDF)

« Ces reports peuvent s’apparenter à de grosses frustrations pour les équipes »

Est-ce que les équipes de Flamanville 1 et 2 participent également à la mise en route de l’EPR, situé juste à côté ?

D.L.H. : Il y a de l’interface quotidienne entre les équipes. Notamment pour gérer les flux communs entre les unités d’eau, de vapeur, l’évacuation des déchets, etc. Tout ça se gère au quotidien. On profite également de nos opérations pour intégrer des équipiers de Flamanville 3 pour qu’ils découvrent les opérations en zone contrôlée, en particulier le chargement et le rechargement. D’ailleurs, le moment venu, on essayera de rendre la pareille.

Alors que de nombreux réacteurs se sont retrouvés à l’arrêt ces derniers mois, y a-t-il un réel sujet concernant la production nationale d’électricité, notamment à l’approche de l’hiver et de ses mois plus consommateurs ?

D.L.H. : Ça se présente beaucoup mieux. On a un engagement de produire 315 térawatt-heures (NDLR : 1 térawatt-heure est l’équivalent d’un milliard de kilowattheures) en 2023 sur l’ensemble du parc nucléaire français. La production nucléaire va d’ailleurs croître lors des prochains mois, passant de 35 GW en octobre à 50 en décembre. L’engagement devrait être tenu. En tout cas, nous sommes dans les clous.

Par Chrismaël Marchand, publié le 02 octobre 2023 à 20h36

Photo en titre : Lors de l’arrêt de tranche du réacteur n° 1 de la centrale de Flamanville (Manche), quatre générateurs de vapeur, pesant chacun 500 tonnes, ont été changés lors d’opérations d’envergure, notamment en termes de levage. (©EDF)

https://actu.fr/normandie/flamanville_50184/nucleaire-reacteur-a-l-arret-le-directeur-de-la-centrale-de-flamanville-1-et-2-s-explique_60152771.html