LA MÉTHODE D’EDF POUR PASSER DE 280 À 400 TWH DE PRODUCTION NUCLÉAIRE EN 2030

Si revenir à 360 térawatt-heure (TWh) de production électronucléaire en 2030, contre 280 TWh en 2022, serait déjà un exploit industriel, EDF promet d’aller au-delà, jusqu’à 400 TWh. Il en va de la souveraineté industrielle du pays. On sait maintenant comment l’électricien compte s’y prendre.

La balle est désormais dans le camp d’EDF. Si l’électricien national a obtenu un accord sur la régulation du prix de l’électricité nucléaire post Arenh qui lui est favorable, calé sur un coût global de production de 70 euros du mégawattheure prenant en compte les investissements dans la maintenance du parc, le réseau et les nouveaux réacteurs, cela n’est pas sans contrepartie. EDF doit impérativement garantir à minima un volume de production de son parc nucléaire historique autour de 360 TWh d’ici à 2030 alors qu’il était descendu à 280 TWh en 2022, un plus bas historique. Or ce dernier n’était pas uniquement lié au problème de corrosion sous contrainte ou à une désorganisation des plannings de maintenance due au Covid.

Misant de plus en plus sur sous la sous-traitance, EDF n’a pas su adapter sa maintenance au vieillissement du parc, anticiper le renouvellement des compétences et gérer la complexité accrue des arrêts avec les modifications post Fukushima. La durée de quasiment tous les arrêts de tranche – que ce soit pour rechargement du combustible (35 jours, 4 000 à 5 000 actions à mener), pour visite partielle (90 jours, 12 000 actions) ou pour visite décennale (150 à 180 jours, plus de 20 000 actions) – dérapait quasi systématiquement, réduisant d’autant la disponibilité du parc et donc la production. «Le premier jalon des arrêts de tranche était respecté dans 1 cas sur 44 en 2019. On avait vraiment un problème», explique Étienne Dutheil, directeur de la division production nucléaire lors d’un point sur le sujet avec la presse.

Numériser les opérations de maintenance

Pour revenir à la normale d’ici à 2025, un programme d’amélioration de la performance des arrêts de maintenance baptisé START 2025, pour « Soyons Tous Acteurs de la Réussite des arrêts de Tranche », a été lancé en 2019. Il est découpé en quatre grands chantiers. Le premier est d’adapter l’organisation à chaque site, avec en plus la mise en place d’équipes mutualisées, comme le font les Chinois de CNG. Le deuxième chantier concerne les compétences, « car réaliser des arrêts de tranche, cela ne s’apprend pas à l’école », rappelle Étienne Dutheil. Le troisième vise à industrialiser la phase de préparation des arrêts à l’échelle du parc avec un outil numérique pour en diviser par deux la durée. Sur les arrêts simples, il a déjà permis de passer de 18 à 11 semaines là où il a été installé. « Nous sommes en train de changer aussi notre système d’information pour faciliter la recherche des pièces », explique Étienne Dutheil.

Enfin, Start 2025 vise aussi à responsabiliser les équipes en leur redonnant des marges de manœuvre afin que les sites eux-mêmes fixent la durée des arrêts. « On n’a plus d’arrêts qui débutent avec des gens qui nous disent « ce n’est pas possible » », observe le directeur de l’exploitation d’EDF.

Donner de l’autonomie aux sites

Le programme, qu’Étienne Dutheil dit avoir voulu « le plus participatif possible » pour que « les solutions viennent du terrain », a été expérimenté sur certains sites volontaires et est entré en 2023 dans une phase de déploiement généralisé, mais selon une feuille de route définie par chaque site. Plus question d’un « projet qui descend de Paris et qu’on applique de A à Z, ce qui peut conduire parfois à traiter des problèmes que l’on n’a pas », explique le dirigeant.

Une méthode qui marche. Avec « leur planning », à Paluel (Seine-Maritime), « une visite partielle a par exemple été menée en 100 jours, ce qui n’avait pas été vu depuis 12 ans ! », continue Etienne Dutheil. Des succès qui « changent aussi complètement l’état d’esprit ». La qualité du travail serait en plus au rendez-vous, avec un taux d’arrêts fortuits qui n’augmente pas, à 3,1%.

Modifier 13 turbines 900 MW

Contenir la durée des arrêts de tranche et enfin démarrer l’EPR de Flamanville 3 ne vont néanmoins pas suffire à remonter la production à 400 TWh. EDF veut augmenter la puissance des réacteurs 900 et 1 300 MW. Pour les 900 MW, il suffit de remplacer le corps basse pression de la turbine, comme cela a déjà été réalisé sur 9 réacteurs il y a dix ans. Mais « cela avait été arrêté, car la loi TECV [loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, ndlr] plafonnait la puissance [nucléaire] installée », explique Étienne Dutheil. L’opération pourrait être menée sur 13 autres réacteurs 900 MW, durant n’importe quel type de visite, avec un gain potentiel de 30 à 40 MW de puissance électrique. Et ce, dès 2027. Le délai « est assez court, mais on s’est mis en ordre de bataille pour tenir cet objectif », assure Etienne Dutheil.

Changer les caractéristiques du MOX

La modification envisagée pour augmenter la puissance des réacteurs 1 300 MW est plus complexe et n’a jamais été réalisée. « On avait lancé des études mais qui avaient été arrêtées puisque la loi TECV les rendait impossibles à mettre en œuvre. On est en train de rouvrir le dossier », explique le directeur de la division nucléaire.

Pour diminuer la fréquence des arrêts de tranche pour rechargement de combustible, et donc mécaniquement augmenter la disponibilité du parc, EDF envisage aussi de changer les caractéristiques du combustible MOX, à base de plutonium recyclé, pour passer les cycles de 12 à 16 mois à l’horizon 2028. « Cela concerne tous les réacteurs de 900 MW, sauf les 4 de Bugey, qui sont déjà en cycle long », précise Étienne Dutheil.

Un « moxage » des tranches 1 300 MW sur des cycles de 18 mois est aussi à l’étude. Cela nécessitera d’adapter le système de protection du réacteur ainsi que les conditions de réception du combustible neuf « qui sont les mêmes que celles quand on évacue du combustible usé, puisque c’est un combustible retraité ». Ce serait une première. « Cela a été fait pour nulle part ailleurs », dans le monde, selon Étienne Dutheil. Encore un défi.

Par Aurélie Barbaux, publié le 20 novembre 2023 à 10h00

Photo en titre : EDF veut « moxer » les réacteurs 900 MW pour ne recharger le combustible que tous les 18 mois. © EDF/Philippe Eranian

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