Par Corinne Lepage, ex-ministre.
La deuxième édition du « World nuclear exhibition« , salon mondial de référence en matière d’énergie nucléaire, vient de s’ouvrir au parc des expositions du Bourget. Un événement complètement déconnecté de la réalité, dénonce Corinne Lepage, eurodéputée EELV.
Ce 28 juin s’ouvre une grand-messe organisée par Areva et EDF et qualifiée de « l’événement mondial de référence de la filière du nucléaire civil ». Il ne faut pas avoir peur, quand on est l’auteur de fiascos commerciaux et financiers de l’ampleur de ceux qu’ont produit Areva et EDF, d’oser organiser une telle manifestation. Si un prix hors catégorie devait être décerné à l’aplomb illimité, nul ne peut douter que les Laurel et Hardy du nucléaire l’obtiendraient.
Mais, malheureusement la situation n’est pas comique, elle est tragique pour notre pays, son image, ses finances, son industrie autre que nucléaire.
Alors que partout dans le monde, les entreprises énergétiques se retirent du fissile et demain des fossiles, EDF et Areva, à l’instar des entreprises des pays à économie étatique comme la Chine, la Russie ou la Corée du Nord, continuent à parier sur le nucléaire, mieux sur le tout nucléaire !
Ceci explique le retard abyssal de la France en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables, son incapacité à atteindre ses engagements communautaires en 2020 et l’impossibilité de mener à bien une politique énergétique à l’échelle européenne.
La situation financière catastrophique dans laquelle se trouvait notre filière au début de l’année est connue et a conduit le directeur financier d’EDF à démissionner en raison de la mise en péril d’EDF si la décision de construire Hinkley Point était finalement prise. 40 milliards de dettes, 50 milliards prévus pour une opération de grand carénage dont la Cour des comptes considère qu’elle coûtera 100 milliards, 25 milliards minimum pour l’opération de Bure – probablement 35 – sans compter le coût du démantèlement remis au XXIIe siècle.
Les mises en demeure et mise en garde de l’autorité de sûreté nucléaire, dont les moyens ont été volontairement limités par le gouvernement, n’y changent rien. Cette situation est bien entendu très préoccupante sur le plan financier ; elle l’est tout autant sur le plan de la sûreté et encore plus sur le plan démocratique.
En effet, non contents de prendre les Français pour des imbéciles, nos décideurs sont désormais dans le déni, comme si nous étions condamnés à une forme permanente de nuage de Tchernobyl bloqué à la frontière de la part des pouvoirs publics malgré les efforts indéniables de l’Autorité de sûreté nucléaire pour essayer d’informer convenablement.
Les exemples sont légion. L’affirmation par la ministre de l’Écologie de l’absence d’incidence sur les centrales nucléaires des dysfonctionnements et peut-être malversations techniques constatées au Creusot a été aussi rapide qu’inexacte. Elle faisait suite aux déclarations d’EDF datées du 12 mai selon lesquelles « ni l’analyse d’Areva ni celle de nos équipes ne conduisent à identifier un quelconque réacteur du parc en fonctionnement qui devrait être mis à l’arrêt ». Il n’a pas fallu attendre un mois pour qu’un réacteur de Fessenheim soit mis à l’arrêt et que l’Autorité de sûreté nucléaire annonce 80 irrégularités concernant 21 réacteurs.
La situation de la centrale finlandaise devient dramatique sur le plan financier. Il semblerait – mais comme par extraordinaire la presse française ne s’en est pas faite l’écho hormis la presse locale – que les pourparlers avec la partie finlandaise aient été rompus à l’initiative de la France. Certains parlent d’un risque de huit milliards d’euros ! Cette situation rend évidemment très difficile l’avenir d’Areva, puisque les 5 milliards d’euros promis par l’État, pris dans la poche des contribuables, ne suffiront certainement pas. Mais, silence et bouche cousue.
La situation de Flamanville est tout aussi obscure. En effet, Jean-Bernard Lévy a demandé que soit prolongée au 11 avril 2020 la mise en service de Flamanville III prévu pour avril 2017. Mais, compte tenu de l’aggravation de la situation de la cuve et du couvercle et au regard de la présence du carbone, il n’est pas du tout évident que l’Autorité de sûreté nucléaire donne un feu vert en 2017. On peut en revanche compter sur EDF pour faire toute la pression nécessaire pour obtenir le sésame. Et tant pis pour les risques pris en cas d’accident pour la population. De toute façon, EDF n’est pas assurée et le contribuable paiera…. Là aussi, le silence règne comme si la situation était sous contrôle.
Quant au cirque de Fessenheim, il semble parti pour durer. Les engagements à grand renfort de communication de la part de la ministre de l’Écologie sur sa volonté de prendre un décret de fermeture sont évidemment intenables, puisqu’elle a fait voter une loi qui ne lui en donne pas le pouvoir. Tout dépend du bon vouloir d’EDF, qui évidemment n’est pas pressé de déposer un dossier de demande de fermeture de Fessenheim, pariant sur le fait qu’un autre président de la République prendrait une position contraire. Donc, on amuse la galerie sur un prétendu débat sur l’indemnisation préalable d’EDF en cas de fermeture de Fessenheim pour retarder jusqu’à l’élection présidentielle toute décision.
Mais, il y a un grain de sable dans cette mécanique très bien huilée : l’arrêt du réacteur numéro 2, qui pourrait présenter des anomalies liées au travail réalisé au Creusot. Si le réacteur numéro 2 était effectivement défectueux, alors la fermeture au moins de ce réacteur pourrait-elle être décidée pour des risques graves. Paradoxalement, l’engagement du président de la République serait tenu grâce à des fraudes réalisées lors de la construction du réacteur.
Et que dire de la situation de Paluel, où l’invraisemblable chute d’un générateur de vapeur – accident jugé impossible par EDF – pourrait rendre inutilisables les installations ? Que dire du report à 50 ans voire plus des opérations de démantèlement des centrales nucléaires pour cause de non provisionnement des sommes nécessaires à ces opérations. Rappelons à cet égard que la Commission européenne avait épinglé la France quelques semaines auparavant précisément pour n’avoir réservé que 30% des sommes nécessaires et prévues.
Aussi, dans un tel contexte, aller se pavaner pour vanter l’exemplarité française ne manque pas d’audace et constitue, pour tout notre système industriel, un modèle déplorable et très probablement à l’opposé de ce que nos entreprises qui, elles, connaissent le succès, voudraient donner de l’exemplarité française.
Article édité par Rozenn Le Carboulec.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1533065-salon-mondial-du-nucleaire-jusqu-ou-va-aller-le-deni-francais.html
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