Les promoteurs du projet de Bure misent sur l’imperméabilité de la roche d’accueil. Mais la possibilité d’une production d’hydrogène et donc d’un incendie est source d’inquiétude.
Les déchets, talon d’Achille de la filière nucléaire ? Le projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique), à Bure (Meuse), mené par l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), prévoit d’enfouir à 500 mètres de profondeur quelque 80 000 m3 de déchets nucléaires à «moyenne activité à vie longue» (MAVL) et à «haute activité à vie longue» (HAVL). Ce qui représente 3 % de l’ensemble des déchets mais concentrant 99 % de la radioactivité totale. Selon l’Andra, Cigéo doit être exploité de manière progressive pendant au moins cent ans, avant d’être fermé définitivement.
Pourquoi le site de Bure a-il-été choisi ?
Plusieurs sites en France ont été envisagés, avant que le choix ne se porte sur Bure, village de 82 habitants dans la Meuse. Le site a été retenu pour les propriétés de sa roche souterraine, faite d’argile, réputé imperméable. Car le «danger pour les déchets nucléaires, c’est l’eau : elle finit par dissoudre les colis radioactifs et, au bout d’un certain temps, la radioactivité s’échappe», note Benjamin Dessus, président de l’association Global Chance. L’Andra y mène depuis vingt ans des recherches scientifiques dans un laboratoire souterrain. Si l’agence obtient toutes les autorisations, Cigéo pourrait être mis en service en 2025. Le projet est de 25 milliards d’euros selon la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, qui a tranché entre les estimations de l’Andra (32,8 milliards d’euros) et celles d’EDF, d’Areva et du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) qui tablaient sur 20 milliards.
Quels sont les risques de l’enfouissement ?
L’éboulement dans une galerie du labo souterrain de l’Andra le 26 janvier, qui a coûté la vie à un technicien, a remis en cause le choix de l’argile. «Contrairement au granit, cette roche nécessite un soutènement important pour maintenir la géométrie des alvéoles, explique Bertrand Thuillier, ingénieur agronome qui a réalisé une évaluation des risques du projet Cigéo. De plus, cette roche est imperméable mais elle est saturée en eau et elle va générer, en présence de radioactivité, une production importante d’hydrogène». Plusieurs risques ont été identifiés, comme la possibilité d’une explosion ou d’un incendie. L’Andra assure que des dispositions sont prévues en cas de feu comme «la limitation de la quantité de produits combustibles ou inflammables dans les installations nucléaires du stockage», «des dispositifs de détection» et «des systèmes d’extinction automatique, de ventilation et de compartimentage», avant l’intervention des pompiers.
Mais les incidents, qui ont déjà eu lieu dans d’autres sites n’aident pas à convaincre. Aux États-Unis, le Wipp (Waste Isolation Pilot Plant), un centre de stockage au Nouveau-Mexique, a connu deux soucis majeurs en 2014 : un incendie, suivi quelques jours plus tard d’un relâchement de radioactivité, entraînant une pollution en surface. Scénario similaire en Allemagne, ou l’ex-mine de sel d’Asse, qui a servi à stocker les déchets nucléaires, a dû faire face à des infiltrations d’eau dans les parois de la saline. Depuis 2010, le pays tente de faire machine arrière en retirant les 126 000 barils entreposés dans le site. «Quel que soit l’endroit où nous les mettons, peut-on assurer que pendant 500 000 ans, il ne va se passer ni tremblement terre, ni inondation ?» interroge Benjamin Dessus.
Sur ce point, les promoteurs de Cigéo tentent de rassurer. Le 11 juillet, le Parlement a adopté une loi qui introduit la notion de «réversibilité» de l’enfouissement des déchets radioactifs. En clair, il s’agit de pouvoir récupérer les colis, soit en cas d’incidents, soit parce qu’une meilleure solution de stockage aura été trouvée. Opération de com ou réelle possibilité ? Là encore, certains scientifiques et ingénieurs sont sceptiques. «Retirer des colis par 500 mètres de fond, ce n’est pas une opération simple, cela suppose des études poussées au préalable», confie Monique Sené, physicienne nucléaire et chercheuse au CNRS à la retraite.
Quelles alternatives ?
La mer a longtemps servi de poubelle nucléaire. A l’instar de nombreux pays, la France a jeté dans les années 1960 ses déchets radioactifs dans plusieurs sites de l’Atlantique nord-est et du Pacifique, avant que ce ne soit interdit en 1975 par la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers. Autre idée : la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Cette possibilité, prévue en 1991 par la loi Bataille, est encore à l’étude. Il s’agirait de «réduire le volume et la nocivité de ces déchets, en séparant les éléments à vie longue et en les transformant en éléments radioactifs de plus faible activité ou de durée de vie plus courte». Mais les recherches s’avèrent décevantes. Beaucoup le reconnaissent : aucune solution définitive n’est satisfaisante. En attendant, certains scientifiques préconisent donc le stockage à sec en sub-surface pendant plusieurs centaines d’années. «La sub-surface amène une protection contre les agressions extérieures, tels des événements climatiques ou des attaques terroristes, en choisissant, par exemple, un emplacement au flanc d’une montagne, tout en assurant, par construction, la capacité d’intervenir et de retirer les déchets si nécessaire. Ce qui n’est pas le cas de l’enfouissement profond», analyse le physicien Bernard Laponche. En attendant, les déchets s’entassent à la surface, dans des usines de retraitement à La Hague (Manche) et à Marcoule (Gard).
Par Estelle Pattée
http://www.liberation.fr/france/2016/08/14/un-profond-linceul-d-argile-plutot-qu-un-stockage-en-surface_1472401
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