VENT DEBOUT CONTRE LA «POUBELLE DE BURE»

BureDimanche, 11 h 15, face à la mairie de Mandres-en-Barrois, petit village de 130 habitants, voisin de celui de Bure et situé dans la Meuse. Plusieurs dizaines de personnes dansent devant une enceinte crachant Eye of the Tiger. Le visage dissimulé derrière des masques d’animaux découpés dans des assiettes en carton, les manifestants s’égosillent au rythme de la musique : «Andra, dégage, résistance et sabotage !» Andra ? C’est l’Agence nationale pour la gestion des déchets nucléaires, chargée, dans le département du projet dit «Cigéo» (centre industriel de stockage géologique), et rebaptisé «poubelle nucléaire» par ses opposants. L’idée : enterrer à 500 mètres sous terre les déchets les plus radioactifs et ceux ayant la durée de vie la plus longue du parc nucléaire français.

Un projet en gestation depuis deux décennies, mais contre lequel la lutte des «antis» a trouvé, il y a quelques mois, un nouveau souffle. Galvanisés au printemps par les premiers coups de pelleteuse dans le bois Lejuc, entre Bure et Mandres, ils ont été confortés début août par la décision du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc (Meuse), qui a suspendu les travaux, jugeant nécessaire une autorisation préfectorale. Pour ce week-end du 15 août, le collectif «Sauvons la forêt», qui rassemble divers groupes et associations, a donc lancé un appel à la mobilisation, afin de «continuer à mettre un coup de pression», explique Nicolas (1), casquette Gavroche sur la tête, peu avant le début du rassemblement.

A la place de cette forêt, ancien bois communal acheté par l’Andra, devrait se trouver une partie de l’infrastructure destinée à l’aération des souterrains (voir page 3). Dimanche après-midi, c’est sur ce site que la manifestation, partie de Mandres, emmène les protestataires, groupés derrière un tracteur qui ouvre la voie. Après une heure de marche en plein soleil, le cortège de 300 à 400 personnes découvre le bois, et surtout le mur de béton de deux mètres de hautjugé illégal par la justice – qui l’entoure partiellement. «La symbolique du mur, c’est écœurant», tempête Sylvain (1), l’un des porte-parole du mouvement.

Gendarmes absents

En chantier depuis juillet, l’enceinte fait partie du dispositif mis en place pour protéger le lieu, avec, normalement, la présence 24 heures sur 24 de gendarmes mobiles et de vigiles. Sauf que la veille, le collectif a été «pris de court» par le départ de ces derniers, laissant grand ouvert le portail en ferraille vert à l’entrée de la forêt. «On sait pas ce qui se passe», avoue Sylvain. Après l’évacuation, au début de l’été, de dizaines d’opposants qui occupaient le bois, le collectif n’avait plus pu y pénétrer. Et s’attendait donc, ce week-end, à un face à face pacifique en lisière de forêt. Jamais ils n’avaient envisagé pouvoir y pénétrer.

Un peu dépassés par le changement de programme, les membres du collectif n’ont pu empêcher, samedi, quelques dégradations – tags, sanitaires mobiles renversés, cabane de travaux incendiée. Au grand dam de Sylvain : «Si on décide de faire quelque chose, il faut que ce soit un acte politiquement fort, pas comme ça.» C’est finalement la destruction du mur qui est décidée, et entamée dimanche. Au même moment, «l’équipe bleue» – comprendre, les forces de l’ordre – se contente d’observer depuis leur hélicoptère.

Pendant que certains entreprennent de casser le mur, Cécile, un peu à l’écart, regrette qu’à Bure, «comme dans tous les projets toxiques, on donne des échéances lointaines pour empêcher les citoyens, plus sensibles aux actions immédiates, de s’en emparer». La mise en service de Cigéo est en effet prévue pour 2025 et officiellement les gros travaux ne démarrent pas avant quelques années. Quant à l’acheminement des déchets par voie ferroviaire, il devrait durer plus d’un siècle

(1) Les prénoms ont été changés.

Par Élise Godeau envoyée spéciale dans la Meuse

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