La Suisse n’a encore jamais démantelé une centrale nucléaire exploitée à des fins commerciales. Pour des raisons de coûts, Mühleberg sera arrêtée dès 2019, comme prévu par les exploitants. Mais si l’initiative passe, c’est dès l’an prochain qu’il faudra y commencer les travaux, comme pour Beznau I et II.
Sommes-nous prêts? Les exploitants et les autorités suisses s’inspireront des techniques éprouvées à l’étranger. C’est d’ailleurs ce qui a déjà été fait pour Mühleberg, explique le porte-parole de l’Inspection fédérale du nucléaire (IFSN) David Suchet. «Certaines manipulations, comme l’évacuation du combustible nucléaire, se font par ailleurs couramment lors de l’exploitation des centrales», ajoute-t-il.
Une procédure longuette et compliquée
La difficulté se situerait donc ailleurs. Selon le rapport 2016 du Forum nucléaire suisse, «le risque réel est lié aux coûts et réside en premier lieu dans les retards des travaux en raison des questions et conditions d’octroi d’autorisations.» La première étape du démantèlement est avant tout juridique. Lors de cette première phase, les exploitants sont tenus de présenter leur projet à absolument tous les acteurs concernés, du niveau communal au fédéral. Ces derniers ont ensuite la possibilité de faire recours sur la manière dont la centrale est démontée, notamment pour des questions de protection de l’environnement. Cette phase, qui peut conduire jusqu’au Tribunal fédéral, peut grandement allonger le processus.
Une autre difficulté réside dans l’évaluation du budget, qui doit être suffisamment élevé pour parer aux éventuels imprévus. Les exploitants sont tenus de financer entièrement la phase de démantèlement et de stockage des déchets radioactifs. Ils ont d’ailleurs été contraints d’alimenter deux fonds spéciaux à cet effet pendant toute la durée de l’exploitation. Si ces fonds sont insuffisants, les exploitants doivent verser ce qui manque de leur poche. Mais si les fonds des exploitants sont insuffisants, le parlement devra décider d’une éventuelle intervention. Le groupe BKW a pour sa part prévu 2,1 milliards pour le démantèlement de Mühleberg.
Des milliers d’employés
Autre point d’interrogation, le futur réservé aux travailleurs des centrales. Les habitants des communes abritant les centrales nucléaires craignent de perdre leur principal employeur. Gösgen représente environ 500 postes, tout comme Beznau I et II. Quant à Leibstadt, c’est presque 540.
A Mühleberg, les employés ont été rassurés. «Tous les collaborateurs garderont leur emploi au-delà de 2019, assure Tobias Fässler, porte-parole des BKW. Depuis 2013, nous avons développé les perspectives et défini le rôle futur de chaque employé de Mühleberg.» Seuls 2 des 350 employés concernés n’ont pas accepté leur nouvelle affectation.
Stockage polémique
S’ajoute à cela la grande question des déchets. Rien que pour Mühleberg, les exploitants prévoient 16 000 tonnes de déchets radioactifs. Un volume qui s’abaissera à 3000 tonnes après la phase de décontamination, dont 90 tonnes hautement radioactives.
Qu’en faire? La Nagra est la société coopérative nationale responsable du stockage des déchets radioactifs générés en Suisse. Elle a opté pour un stockage en couches géologiques profondes, afin d’y enfermer les déchets de manière sûre pendant au moins 100 000, voire 1 million d’années.
Reste encore à savoir où se trouvera le site de dépôt. Plusieurs régions ont été désignées, dont le Jura est (SO/AG) et Zurich nord-est (ZH/TG), les deux favorites pour l’instant. En Allemagne, les autorités se sont heurtées à de fortes oppositions de la population. Mais la Suisse a pris les devants. Bien que la loi fédérale ne laisse pas le droit aux communes choisies de refuser une installation, l’OFEN a lancé une procédure de consultation afin d’éviter une telle réaction.
«Nul besoin de connaissances scientifiques pour comprendre comment les déchets radioactifs sont dangereux, » estime Claudia Alpiger, auteure d’un rapport intermédiaire sur la procédure de consultation. « C’est exactement la raison pour laquelle les personnes concernées devraient également être prêtes à accepter la solution la plus sûre pour les déchets radioactifs – bien que ce soit dans leur propre région.»
La question technique n’est cependant pas résolue, de l’avis de certains spécialistes. L’ex-membre de la Commission fédérale de sécurité nucléaire Marcos Buser critique la manière de procéder de la Nagra depuis des années: «On a lancé ce processus sans savoir si tout jouait au niveau technique, et si la procédure de test de dépôt en couches géologiques profondes allait aboutir à un résultat positif. Mais on n’en sait rien! Il existe la possibilité que la roche suisse ne soit pas adaptée à cet entreposage. Nul ne sait comment elle va réagir. Il s’agit d’une question cruciale pour la sécurité», martèle le géologue.
http://www.tdg.ch/suisse/La-deconstruction-du-nucleaire-va-durer-des-annees/story/22971445
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