Les propos de Donald Trump jugeant l’Otan « obsolète » ont rouvert en Allemagne le débat sur la validité de la dissuasion nucléaire. L’auteur de cette tribune raconte que les dirigeants allemands sont tentés de se ranger sous le parapluie nucléaire français et de relancer l’Union européenne par la voie militaire.
Selon les proches de Merkel, dont les propos sont relayés par Der Spiegel ce mois-ci, le moment est venu de revisiter l’Europe. Première étape ? Convaincre les voisins et partenaires de l’Allemagne que le sauvetage de l’UE ne passe plus par l’union monétaire. Arrêtons de faire marcher les essuie-glaces à la même vitesse, selon les directives de la Commission de Bruxelles, arrêtons de faire marcher la planche à billets selon les directives de la Banque centrale européenne et essayons plutôt de propulser des missiles à la même cadence. Voici la recette préconisée pour remettre l’UE sur les rails : en empruntant le sillon militaire, on reprend le flambeau d’une Communauté européenne de défense (CED).
Séduisant, non ? L’Allemagne est de retour et le timing est parfait, car le pays n’est plus un nain militaire et les clichés d’un peuple de pacifistes bêlants qui rêvent de finlandisation sont dépassés. N’en déplaise à Chevènement ou à Mélenchon, Berlin sait concurrencer Paris pour figurer au hit-parade des marchands de canons et de sous-marins. Merkel va relancer son budget de la défense et réintroduire le service militaire obligatoire. Reste une étape à franchir : négocier l’européanisation de la dissuasion française.
Comme l’écrit le rédacteur en chef de la FAZ (le Frankfurter Allgemeine Zeitung), il va falloir penser à ce qui relève de l’impensable : un flirt allemand avec la bombe. Est-ce possible ? L’histoire nous donne des pistes : dans les années 1950, l’un des gourous de la dissuasion française, le général Pierre-Marie Gallois, rencontre le ministre de la Défense allemand Franz Jozef Strauss, pour tenter de « dealer » avec ce Bavarois nostalgique d’Adolf… les conditions d’une concertation nucléaire en échange de précieux marks pour l’usine d’enrichissement de l’uranium de Tricastin. En 1975, l’Allemagne ratifie à contrecœur le Traité de non-prolifération (TNP), l’équivalent à ses yeux du traité de Versailles.
Les élites à l’est du Rhin jalousent l’aventure nucléaire française
Pour retomber sur ses pieds, elle négocie avec la société Urenco, qui est le concurrent d’Eurodif, signe des contrats avec les Brésiliens et les Sud-Africains et ajoute au bas de sa signature (du TNP) que l’existence d’un programme nucléaire n’est pas contraire à ses engagements s’il s’inscrit dans le cadre d’une entité européenne plus ou moins fédérale. Bref, les élites à l’est du Rhin jalousent l’aventure nucléaire française. On l’avait oublié. En juin 1984, lorsque les missiles Pluton et Hadès ciblent l’Allemagne de l’Est (RDA), Helmut Schmidt propose une forme de cogestion pour le recours à la bombinette. Mais Mitterrand, coincé par son alignement sur l’Otan, fait la sourde oreille en estimant que les fameux « intérêts vitaux » de la France ne se partagent pas. À partir de 1990, les militaires de l’US Air Force expliquent aux Russes qu’une Allemagne unifiée non bridée par l’Otan et sans la base de Buechel où sont entreposées les bombes B-61 serait un feu vert pour l’avènement d’un nouvel acteur nucléaire sur le théâtre européen.
Le passé nous rattrape. Le « poids lourd » du continent est prêt à jouer une nouvelle partition européenne en mariant sa puissance économique avec la bombe « made in France ». Impensable, mais plausible : grâce à Trump, une dissuasion « étendue », évoquée jadis par Juppé, pourrait devenir une bouée de sauvetage pour notre arsenal de 300 ogives nucléaires. Une occasion inespérée de satisfaire les ambitions de moins en moins cachées de l’Allemagne et, du même coup, redonner à la « force de frappe » une légitimité qui lui fait défaut depuis l’effondrement du Mur de Berlin. On comprend mieux pourquoi le 6 septembre, à l’Université d’été de la Défense, le ministre Le Drian et ses comparses ont décidé de doubler les crédits pour l’armement nucléaire, sans consulter le moindre des députés, au risque de faire hurler des personnalités comme Paul Quilès, l’ancien ministre de la Défense.
Et pendant ce temps-là, Japonais et Sud-Coréens, bien conscients que leur parapluie nucléaire américain est un peu troué envisagent de plus en plus de boucher les trous par leurs propres moyens, quitte à élargir le club des adeptes de la bombe. Quant au commun des mortels, rien ne dit qu’il sera motivé, mobilisé et sacrifié pour une Europe-puissance-nucléaire-décomplexée.
https://reporterre.net/L-Allemagne-est-tentee-par-la-bombe-nucleaire-francaise
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