NOUS REFUSONS DE COGÉRER LE DÉSASTRE DES DÉCHETS NUCLÉAIRES

BureAprès avoir imposé l’industrie atomique, les nucléaristes veulent enfouir ses déchets pour pouvoir continuer à promouvoir l’énergie nucléaire. Pour l’auteur de cette tribune, il n’est pas question de rendre les populations responsables de cet échec. À Bure, dans la Meuse, la lutte s’amplifie.

Après 50 ans d’énergie atomique, nous ne savons toujours pas gérer les déchets radioactifs. Les ingénieurs ont imaginé les envoyer dans l’espace pour les brûler à proximité du soleil avant de les plonger plus prosaïquement dans les abysses des mers, polluant à jamais les océans. Maintenant, ils s’accumulent dans les piscines de refroidissement de la Hague ou les centres de reconditionnement, comme un poison invisible.

Le nucléaire illustre à son paroxysme la démesure et l’aveuglement de notre époque. Avec les déchets radioactifs, les nucléocrates lèguent aux générations et aux civilisations futures un terrible fardeau, la perspective d’une pollution quasi éternelle, mille milliards de becquerels pour les siècles des siècles. Le neptunium 237, par exemple, reste radioactif deux millions d’années. Les Égyptiens avaient cédé à l’humanité les pyramides, la filière nucléaire offre à nos descendants les rebuts toxiques de notre modernité.

Que valent 50 ans de confort énergétique (pour les plus riches) face au péril d’une contamination irrémédiable ? Jamais l’homme n’a mis en danger de manière aussi extrême son environnement, le cycle de la vie et son propre avenir.

Pour se débarrasser des déchets et continuer à faire marcher les centrales business as usual, les nucléaristes ont décidé d’évacuer le problème, de l’enfouir sous 500 mètres de déni et d’hypocrisie. Comme un gosse rangerait sa chambre en mettant tout sous son lit. C’est le projet CIGÉO aux confins de la Meuse. Personne n’en entend parler mais l’enjeu est décisif. L’État prévoit de bâtir un sarcophage de béton en creusant des kilomètres de galeries dans les entrailles de la Terre. Les fûts contaminés y seraient déposés pour toujours, concentrant près de 99,9 % de la radioactivité française.

Mais les questions restent sans réponse : Comment pourrons-nous garantir la pérennité d’une construction humaine au-delà de quelques milliers d’années ? Comment prévenir la contamination des nappes phréatiques, les incendies, les microséismes, les rejets de gaz ? Comment avertir les civilisations futures qui n’auront pas les mêmes modes de communication ?

Perdu au milieu des monocultures céréalières, le petit village de Bure a été choisi pour accueillir le site d’enfouissement. Il l’a moins été pour ses conditions géologiques que sociales : 6 habitants au km2, l’exode rural massif, la désindustrialisation, les stigmates de la Grande Guerre… Tout contribue à faire de ce petit bout de Meuse une région sinistrée et sacrifiée. Un territoire nié où la population est quantité négligeable.

Le nucléaire est l’arme de l’oligarchie

Il y a quelque chose de rageant à voir les promoteurs de l’atome s’installer ici, soudoyant les locaux à coup d’argent facile – 60 millions d’euros de subvention par an pour les départements de la Meuse et de la Haute-Marne – invitant les élus à des parties de chasse ou des restaurants chics, menaçant les paysans d’expropriation. La nuit, les lumières du laboratoire éblouissent l’horizon, comme pour mieux marquer sa présence. Les villages, eux, sont éteints. Derrière les façades rénovées, le vide. Bure ressemble à un ersatz de campagne transformée en complexe industriel et en poubelle de la ville.

Serge Mallet, un ancien membre du PSU, parlait de « colonisés de l’intérieur » pour évoquer les paysans du Larzac qui subissaient le mépris des élites et la folie des aménageurs. Quelques décennies plus tard, nous avons l’impression de vivre la même chose à Bure. Les technocrates débarquent tels des nouveaux seigneurs. La violence de classe est frappante. Le nucléaire a toujours été l’arme de l’oligarchie, nécessitant un État fort, des entreprises monopolistiques, un gouvernement d’experts.

Imposé en catimini dans les années 1970, l’atome a enrichi quelques fortunes capitalistes et imposé ses nuisances aux populations rurales déshéritées, aux classes populaires. Elle a dépossédé les citoyens de la maîtrise de l’énergie.

Nous ne sommes pas responsables de cette catastrophe

Il est assez étonnant de voir, aujourd’hui, l’argumentaire de la filière nucléaire. Elle cherche à faire fi de cette situation proprement autoritaire, elle joue l’innocente : « Mais les déchets, il faut bien les mettre quelque part ! », « Maintenant qu’ils sont créés, on en fait quoi ? », « Quelles alternatives proposez-vous ? ». En souhaitant nous rendre responsables d’un état de fait que nous n’avons jamais choisi, elle se dédouane elle-même. Elle culpabilise les masses pour mieux poursuivre le désastre nucléaire et étendre sa domination.

Mais nous ne sommes pas dupes. Nous refusons de cogérer la catastrophe. Qu’ils gardent leurs déchets, ce ne sont pas les nôtres ! À Bure, sur le terrain, la lutte contre le projet de poubelle nucléaire prend de l’ampleur. Depuis 6 mois, des dizaines de personnes occupent le bois Lejuc pour bloquer le début des travaux. Aux alentours, des granges sont retapées, des activités maraîchères et paysannes se développent pour se réapproprier le territoire.

L’enjeu n’est pas de trouver une alternative scientifique ou technique au stockage en profondeur des déchets radioactifs mais d’inventer d’autres formes de vie, plus résilientes et plus autonomes, d’alerter sur les conséquences irréversibles de la filière nucléaire sur un territoire : destruction de forêt, artificialisation de terres agricoles, disparition de villages, omniprésence policière…

L’été dernier, l’Andra – l’Agence en charge du projet – a été condamnée pour défrichement illégal. Il y a quelques jours, le 31 janvier 2017, au tribunal administratif de Nancy, le rapporteur public a reconnu « des vices de procédure » dans la cession du bois Lejuc à l’Andra. Mais au même moment, les vigiles de l’agence tentaient de reprendre la forêt avec des pelleteuses et des bulldozers. Un chef de chantier versait une bouteille d’essence sur des militants assis devant les machines. (Voir la vidéo) La situation se tend mais les opposants restent déterminés. Comment peut-on croire qu’une agence avec de tels comportements mafieux serait capable de gérer des déchets pendant des centaines de milliers d’années ?

RAPPEL : un rassemblement aura lieu à Bure samedi 18 février. Infos à VMC Camp

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