Masahiro Imamura, le ministre japonais de la reconstruction, a récemment comparé à un marathon la reconquête des territoires contaminés par l’accident nucléaire à la centrale de Fukushima daï-ichi en mars 2011, en précisant que « la reconstruction en est au trentième kilomètre ». Cela a provoqué l’ire des personnes concernées et des élus locaux qui ne voient pas le bout du tunnel. Le gouverneur de la province a tenu à rappeler que certaines zones évacuées n’ont même pas franchi la ligne de départ (source).
Cet épisode montre le fossé existant entre la perception du gouvernement central, qui voudrait tourner rapidement la page, et la réalité sur place.
A Tchernobyl, les autorités soviétiques ont abandonné de vastes territoires et le réacteur accidenté. L’Europe vient de terminer la construction d’une arche gigantesque destinée à limiter l’impact d’un effondrement dans le bâtiment réacteur pendant au moins un siècle. A l’inverse, les autorités japonaises se sont lancées dans une politique de reconquête totale : les réacteurs accidentés vont être démantelés et les territoires contaminés rendus à leurs habitants. Six ans plus tard, alors que les autorités s’apprêtent à lever les ordres d’évacuer partout, sauf dans les zones les plus contaminées classées en « zones de retour difficile », il est évident que le volontarisme affiché ne parviendra pas cacher les limites de cette politique.
A la centrale, les progrès sont impressionnants, mais les trois réacteurs où il y a eu fusion du cœur sont encore menaçants. Pourraient-ils supporter un nouveau séisme majeur ou un tsunami ? Les piscines avec des combustibles usés sont toujours pleines et pourraient entraîner une catastrophe encore plus grande en cas de rupture. Mais les débits de dose sont tels qu’il est impossible de travailler dans les bâtiments réacteur. Les travaux de déblaiement des débris et de reconstruction prennent du retard.
Quant au corium, ce magma de combustible fondu mélangé à des débris, excessivement radioactif, TEPCo ne sait toujours pas exactement où il est. Les robots envoyés dans l’enceinte de confinement pour le localiser n’ont tenu que quelques heures, sans succès. Les robots qui pourront aller rechercher ce corium n’existent pas encore.
En attendant, il faut continuer à le refroidir continuellement pour éviter une montée en température qui provoquerait des rejets radioactifs significatifs. L’eau qui y est versée se contamine avant de se mélanger à l’eau de la nappe phréatique dans les sous-sols des réacteurs. Toutes les mesures mises en place pour juguler les infiltrations et les fuites, allant de la construction de barrières souterraines au gel du sol tout autour des réacteurs accidentés, n’ont pas eu les effets escomptés. L’eau contaminée continue donc de s’accumuler dans des cuves à perte de vue.
Dans de telles conditions, qui accepterait de retourner vivre près de la centrale accidentée ? De facto, le taux de retour dans les territoires où l’ordre d’évacuer a été levé est seulement de 13%, soit 2 500 personnes. Outre les craintes que suscitent les réacteurs, il y a aussi un manque de services, commerces… et, surtout, un risque d’exposition aux retombées radioactives car les autorités japonaises s’accrochent à la limite la moins contraignante des normes internationales.
Le Japon a beau avoir engagé un chantier pharaonique de décontamination, il ne vient pas à bout de la radioactivité. Alors, les autorités s’obstinent. Même dans les communes les plus contaminées, classées en zone de retour difficile, un petit centre devrait être installé pour que l’on ne puisse pas dire qu’elles ont été rayées de la carte. Le programme de décontamination à venir ne concerne que 5% de la surface. L’idéologie de la reconquête a même poussé les autorités à inscrire dans la loi que les 16 km2 de terrains tout autour de la centrale de Fukushima Daï-ichi, qui vont recevoir 22 millions de mètres cubes de déchets radioactifs issus de la décontamination, seront rendus après 30 ans. Outre la folie de déplacer une nouvelle fois un tel volume, il n’y a aucun autre site d’accueil. Alors, qui peut croire que ces terrains seront rendus ?
Pas les populations qui, quand elles le peuvent, ont refait leur vie ailleurs. La fin des aides au logement pour les personnes qui sont parties d’elles-mêmes et la levée des ordres d’évacuer les plongent dans le désarroi. Le gouvernement pousse au retour, passant outre les directives de l’ONU sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays qui leur garantissent protection, le droit de choisir entre le retour et une réinstallation, ainsi que leur pleine participation aux décisions.
C’est l’idéologie qui gouverne les tentatives de reconquête totale des territoires contaminés par la catastrophe de Fukushima, teintée de nationalisme et de foi en le nucléaire. Il y a aussi beaucoup d’argent en jeu. In fine, c’est la démocratie et les populations exposées qui en font les frais.
Entre l’abandon de vastes territoires et une politique de reconquête à tout prix, il y a un besoin impératif de rechercher une autre politique à l’écoute et au service des populations affectées. Qu’en serait-il en Europe après un accident grave ayant entraîné l’évacuation de territoires contaminés ?
Le rapport rédigé pour les cinq ans de la catastrophe, Fukushima cinq ans après, retour à l’anormale, disponible en anglais, reste d’actualité. Les données ont été mises à jour dans l’article sur les chiffres clé.
http://fukushima.eu.org/fukushima-lobstination-de-la-reconquete/
Commentaires récents