AU JAPON, ON EST PASSÉ DE 80% D’OPINIONS FAVORABLES À 80% OPPOSÉS À L’ATOME

JaponSix ans après l’accident de Fukushima, une nouvelle donne énergétique émerge au Japon malgré les freins politiques. La part des énergies renouvelables progresse et le nucléaire n’est pas prêt de retrouver sa place dans le mix du pays où les citoyens se mobilisent en faveur d’alternatives.

Interview par Actu Environnement (AE) de Tetsunari Iida (TI), ancien ingénieur nucléaire, directeur de l’Institut pour des politiques énergétiques soutenables au Japon.

Actu-Environnement : L’accident de Fukushima-Daiichi a-t-il modifié la politique énergétique du Japon ? De quelle manière ?
Tetsunari Iida : Le gouvernement du premier ministre Abe, élu en décembre 2012, a confirmé en 2014 un nouveau Plan stratégique pour l’énergie. Celui-ci est revenu sur la position du gouvernement précédent, annoncée en septembre 2012, qui en appelait à zéro énergie nucléaire d’ici à 2030. En avril 2015, une vision à long terme de l’offre et de la demande énergétique était proposée, qui établissait les différentes sources de production d’énergie à l’horizon 2030 : 20-22% pour le nucléaire et 22-24% pour les énergies renouvelables, 56% pour les énergies fossiles. A comparer avec les projections d’avant Fukushima <https://www.actu-environnement.com/ae/news/demantelement-fukushima-centrale-nucleaire-radioactivite-corium-28420.php4> , qui fixaient un objectif de 50% pour le nucléaire à l’horizon 2030.. La part du nucléaire dans le mix énergétique était de 29% en 2011. Cependant pour atteindre cet objectif, il faudrait que tous les réacteurs soient autorisés à redémarrer par l’Autorité de sûreté nucléaire japonaise, ainsi que la plupart de ceux qui restent à inspecter, ce qui rend cette perspective peu atteignable.
Il y a eu un renversement dans la perception qu’a le public de l’énergie nucléaire. On est passé de 80% d’opinions favorables à 80% opposées à l’atome. Cependant, l’administration actuelle de M. Abe entretient des liens étroits avec l’industrie nucléaire, ce qui crée une importante polarisation. Mon sentiment est que l’administration Abe est un retour de bâton contre une véritable transition énergétique, mais tôt ou tard il devra se produire un changement.

AE : Quelle est la situation de la production nucléaire <https://www.actu-environnement.com/media/pdf/rapport-nucleaire-monde-2016.pdf>  actuellement au Japon ? Combien de réacteurs sont en fonctionnement ? Pour combien de temps ?
TI : Seuls deux réacteurs sont en fonctionnement, Sendai-1 <https://www.actu-environnement.com/ae/news/japon-reacteur-nucleaire-sendai-relance-25246.php4>  et Ikata-3, et un troisième devrait être mis en service. Les six réacteurs de Fukushima ont été définitivement mis à l’arrêt en 2011, cinq autres réacteurs (Mihama-1 et 2, Genkai-1, Tsuruga-1 et Shimane-1) ont été définitivement mis à l’arrêt en 2015. Actuellement, 24 réacteurs sont en cours d’examen pour redémarrage, parmi les 44 réacteurs. Cependant, peu d’entre eux devraient redémarrer.
En ce qui concerne la production de combustible nucléaire enrichi au plutonium, le Mox, elle a été reconduite par le Plan stratégique de l’énergie de 2014. Cependant, l’usine de retraitement de Mox de Rokkasho-mura, qui devait entrer en fonctionnement en 1997, ne fonctionne toujours pas.


AE : Quelle est la part des énergies renouvelables ? A-t-elle augmenté substantiellement depuis 2011 ? Y’a-t-il de nouveaux investissements dans ce domaine ? Sont-ils suffisants ?

TI : Nous avons introduit avec succès une loi sur les tarifs régulés en 2011, entrée en vigueur en 2012. A partir de là, les énergies renouvelables ont rapidement décollé, passant de 10% en 2012 à 15% de la production électrique fin 2016, 90% étant issus du solaire photovoltaïque.
Les gens se demandent souvent comment le Japon a pu faire face à la perte soudaine de 30% de capacité énergétique à la suite des événements du 11 mars 2011 sans coupures de courant majeures. Deux facteurs ont joué : les économies d’énergie et l’efficacité énergétique, et une utilisation accrue des énergies fossiles. Un aspect notable est que la consommation n’a pas augmenté depuis, au contraire, elle a continué à baisser. En 2015, la consommation d’énergie nationale était de 12% inférieure à celle de 2010. Cette évolution se traduit par une hausse de 5% de la consommation du gaz <https://www.actu-environnement.com/ae/news/interview-bernard-laponche-fukushima-nucleaire-energies-renouvelables-20403.php4>  et du charbon, tandis que la consommation du pétrole, après une brève reprise, s’est tassée à son niveau d’avant mars 2011.
Les énergies renouvelables <https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-28603-rapport-renouvelables-japon.pdf>  augmentent doucement et contribuent aujourd’hui à environ 5% du mix d’énergie finale, à comparer au 1% de 2010. Localement, les initiatives se multiplient. La préfecture de Fukushima promeut un objectif de 100% d’énergies renouvelables à l’horizon 2040. La ville de Takarazuka, dans la préfecture de Hyogo, s’oriente vers une fourniture de 50% d’énergies renouvelables pour la chaleur et l’électricité à l’horizon 2050, et parviendra à 100% grâce à une fourniture provenant de l’extérieur de la ville. D’ores et déjà, dans quatre préfectures, Oita, Akita, Toyama et Aomori, la part des renouvelables fournit plus de 20% de la demande.

AE : Est-ce qu’il y a une démocratie de l’énergie au Japon ? De quelle manière les citoyens peuvent-ils s’impliquer ?
TI : Il y a eu beaucoup de discussions sur la démocratie de l’énergie. L’administration de M. Abe s’oppose à cette approche. Cependant, beaucoup de Japonais travaillent à mettre en œuvre des collectifs de citoyens pour produire leur propre énergie. Le Japon compte maintenant 200 collectifs énergétiques <http://www.energy-democracy.jp/category/english/communitypower>  de petite et grande taille.
Propos recueillis par Agnès Sinaï,

https://www.actu-environnement.com/ae/news/tetsunari-iida-japon-fukushima-nucleaire-mix-energetique-renouvelables-28603.php4