Pour l’économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui s’exprime dans une tribune au « Monde », ce que l’on dépensera pour prolonger les centrales atomiques manquera à l’objectif de transition énergétique. Et vice versa.
TRIBUNE. Le secteur électrique français se trouve dans une situation paradoxale. Depuis la fin des années 1980, la France tire plus de 75 % de son électricité de l’atome – proportion la plus élevée au monde. En rupture avec cette prépondérance historique, la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a fixé un nouveau cap : réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025. Pourtant, dans le même temps, EDF a entrepris de rénover l’ensemble de ses centrales pour prolonger leur exploitation bien au-delà de cette date. Ces deux objectifs ne sont pas compatibles : le prochain président devra résoudre cette contradiction coûteuse.
Le parc nucléaire est composé de cinquante-huit réacteurs construits sur une période relativement brève, de 1977 à 1997. Ces réacteurs avaient été conçus pour une durée de vie de quarante ans, mais il est possible, moyennant d’importants travaux de rénovation, de les exploiter vingt ans de plus. C’est le choix d’EDF, avec son programme de Grand Carénage : depuis 2014, l’électricien a entrepris de rénover l’ensemble de son parc, ce qui permettrait d’en maintenir le fonctionnement au-delà de 2040.
S’il est mené à son terme, ce programme maintiendra la logique du tout-nucléaire et rendra la montée en puissance des énergies renouvelables irréalisable. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) d’octobre 2016 a pourtant fixé pour objectif d’augmenter de 70 % la production d’électricité renouvelable d’ici à 2023. Respecter ces deux engagements simultanément conduirait à un excès de capacité électrique en France, et à une importante dépense inutile.
Incertitude des coûts
Car ces investissements sont très lourds. D’après un rapport récent de la Cour des comptes, la réalisation du Grand Carénage devrait coûter 51,4 milliards d’euros de 2014 à 2025, soit 918 millions d’euros par réacteur rénové. Il ne s’agit par ailleurs que d’une estimation, l’incertitude sur les coûts du nucléaire restant importante – on pourra rappeler le quadruplement du coût de l’EPR de Flamanville, ou de celui d’Olkiluoto, en Finlande, par rapport aux estimations initiales.
En outre, on ne connaît pas le coût marginal du kilowattheure (kWh) produit à la suite de ces investissements : EDF et la Cour des comptes n’ont pour l’heure publié qu’un simple coût moyen du kWh nucléaire lissé sur l’ensemble de la durée de vie prolongée de la centrale. Cette méthodologie masque le coût des seuls kWh qui seront produits après le Grand Carénage, et ne permet donc pas de les comparer directement aux autres sources d’électricité, renouvelables notamment.
Il faut souligner enfin que l’investissement d’EDF ne sera rentable que si l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) considère que les réacteurs sont assez sûrs pour être maintenus en activité vingt années de plus – ce qui n’est pour l’heure pas garanti.
Lever les contradictions
Une alternative existe pourtant. Les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim – les plus anciens de France – doivent normalement être fermés en 2018. Mais les centrales de Bugey, Dampierre, Gravelines, Tricastin et du Blayais comportent dix-sept réacteurs qui doivent également atteindre leur quarantième année d’exploitation au cours du prochain quinquennat.
Choisir de fermer ces réacteurs au lieu de les rénover permettrait d’économiser 15,6 milliards d’euros – sans compter leurs coûts d’exploitation sur la même période. Même en considérant une indemnisation d’EDF pour la fermeture de chacun de ces réacteurs à la hauteur de l’accord conclu pour la centrale de Fessenheim, l’économie réalisée resterait substantielle, à 11,8 milliards d’euros.
Cette solution a l’avantage de la cohérence : elle lèverait la contradiction entre la feuille de route d’EDF et les choix énergétiques du pays, tels qu’ils sont exprimés dans la PPE. Surtout, elle permettrait à la France de développer les technologies de production d’électricité renouvelable, et de rattraper l’Allemagne, le Danemark ou l’Espagne.
Article d’Aurélien Saussay (Économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/21/aurelien-saussy-fermer-les-plus-anciennes-centrales-nucleaires-est-un-choix-coherent_5114910_3232.html?h=11&h=11
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