L. a été condamné à 4 mois de prison avec sursis pour avoir saboté des grilles autour du futur site de la poubelle nucléaire CIGÉO à Bure. Voici la lettre lue devant les juges où il revendique pleinement son acte. Que valent quelques grilles tombées face au risque d’une contamination radioactive et la destruction complète d’un territoire?
Mesdames, Messieurs,
Puisque votre tribunal a statué illégal le défrichement orchestré par l’ANDRA dans le bois Lejuc sans donner de peine de prison, ne serait-ce que du sursis aux responsables de ce massacre.
Puisque votre tribunal a condamné un camarade à 6 mois de prison avec sursis et 2 ans d’interdiction de territoire alors qu’il ne faisait que défendre cette forêt afin d’empêcher son défrichement.
Sachez que je n’attends rien de votre institution que l’on nomme avec ignorance justice où rien n’est fait contre les voleurs en costard des affaires Clearsteam, Panama papers ou Luxleaks en passant par Fillon alors que des clochards voleurs de pâtes sont en prison.
Il y a la souffrance que le nucléaire a engendrée, toutes ses victimes qui ne sont plus là pour en parler. Et voici que l’on juge, celles et ceux qui osent s’en indigner. Si se taire aujourd’hui, c’est faire souffrir d’autres demain, voici, avec honnêteté, les raisons d’une rage qui n’en finit plus de monter.
« Dans la mesure où seul l’intérêt public est concerné, le châtiment est justifiable, si nous franchissons cette frontière, notre propre conduite devient criminelle. » (Thoreau, écrit de Jeunesse)
Ce projet n’est pas porté par l’amour de l’humanité, sinon ils l’écouteraient cette humanité quand en 2006 elle demandait avec une pétition de 50 000 signatures à la main, la tenue d’un référendum local.
Ils l’auraient écouté en 2013, quand les villageois de Mandres-en-Barrois exprimaient lors d’une consultation, leur opposition majoritaire à l’échange de leur forêt.
L’ANDRA sait être matinale pour s’accaparer un bois communal. C’était en juillet 2015 et « L’avenir appartenait à ceux qui se lèvent tôt ». Le vote a été fait à 6 h du matin avec quelques conseillers municipaux en conflits d’intérêt, actant l’échange à bulletin secret.
Chez l’ANDRA, on aime l’argent, pas les gens, d’ailleurs du fric, ils en ont tellement qu’ils peuvent vous en passer en l’échange de votre consentement. Il suffit de demander au GIP – le Groupement d’Intérêt Public- ces 60 millions d’euros qui arrosent chaque année les départements de Meuse et Haute-Marne. Un accompagnement économique pour faire accepter une poubelle atomique. Le paroxysme du poids de l’argent sur nos vies.
Satisfait ou matraqué ! Parce que oui, si le fric ne vous attire pas et que vous êtes un peu trop dérangeant, il y a les flics qui tirent des flash Ball et lancent des grenades de désencerclement. Les patrouilles de gendarmes qui pullulent depuis que l’ANDRA projette de polluer ce territoire.
Pourquoi s’attaquer au grillage ? Cela ne vous intéresse sûrement pas, pas plus que ce gendarme qui m’a dit pendant le trajet vers le commissariat : « Tu aimerais bien que je vienne péter ton grillage autour de ta maison ? Bon ben là c’est pareil. » Voilà la fonction policière imagée dans toute sa splendeur. Réprimer la conséquence sans jamais chercher à en comprendre l’origine, un grillage autour d’un projet de poubelle nucléaire serait le même que celui autour d’une maison.
Et vous, messieurs dames les juges, lorsque vous dites que vous n’êtes pas là pour juger les idées, la motivation mais les faits vous vous abaissez au même niveau et c’est vous que l’on appelle justice ?
Prendre autant de temps à parler d’où je viens, de mon statut social, ne serait-ce pas révélateur d’une justice de classe ? Cela changerait-il quelque chose à la peine prononcée si je suis un banquier ou plutôt un chômeur ? Un français ou un étranger ?
Nommer cela justice n’est qu’une odieuse supercherie. Sachez qu’au regard de toutes personnes habitant dans une maison, il n’existe aucune crainte de voir les manifestants qui se sont attaqués à l’ANDRA débarquer chez eux pour abattre leur clôture.
« Eh bien, messieurs, il n’y a plus de criminel à juger, mais les causes du crime à détruire. Oui je le répète, c’est la société qui fait les criminels, et vous jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos forces à transformer la société. Du coup, vous supprimeriez tous les crimes, et votre œuvre, en s’attaquant aux causes, serait plus grande et plus féconde que n’est votre justice qui s’amoindrit à en punir les effets. » (Ravachol)
L’industrie nucléaire a toujours eu une gestion des déchets à la hauteur de son humanité. Pendant plusieurs années et peut-être encore aujourd’hui, des fûts de déchets nucléaires d’origine européenne furent largués sur les côtes somaliennes. Lors du tsunami de 2004, une vague a fait remonter ces fûts sur la plage faisant apparaître des saignements et malformations chez les somaliens.
Cette pollution dévastatrice, s’ajoutant à la pêche intensive des bateaux occidentaux avaient fini par excéder les populations locales et petits pêcheurs qui s’organisèrent en « Gardes côte volontaires de Somalie ». Ils lancèrent des assauts armés contre ces cargos de la mort. On les a appelé les « pirates somaliens » en montrant seulement des images de violences, se gardant bien d’en expliquer l’origine qui mettrait en lumière notre part de responsabilité. L’essentiel étant de les stigmatiser afin de légitimer une répression d’envergure militaire.
Voici ce que l’un des leaders des pirates, Sugule Ali, déclara : « Il s’agit de mettre un point final à la pêche illégale et les déchargements dans nos eaux. Nous ne nous considérons pas comme des bandits de la mer. Nous considérons que les bandits sont ceux qui pêchent illégalement et jettent leurs poubelles. »
Il y a quelques décennies, la solution officielle pour les déchets nucléaires fut de les balancer dans la Manche et l’Océan Atlantique. L’abandon de cette folie ne fut pas le fruit de la filiale nucléaire qui l’avait mise en place, c’est sous la pression des manifestants et actions qu’ils furent contraint d’arrêter.
Aujourd’hui, ils projettent de les mettre sous terre, mais les diverses oppositions locales à chaque endroit où ils essayèrent les firent reculer. Apprenant de leurs défaites, ils sont venus à l’assaut de la Meuse de manière plus stratégique. Ils achètent les terres agricoles pour dissuader les paysans en bail précaires et déversent ces millions d’euros pour le silence des élu.e.s et de celles et ceux qui en bénéficient.
« Je rêve d’un peuple qui commencerait par brûler les clôtures et laisserait croître les forêts. » (Thoreau)
Ce projet apporte la mort avec lui, c’est une condamnation qui plane sur des milliers de générations, il est nécessaire de mettre à mort ce projet. Il en va de la sauvegarde de l’humanité, la leur, ils l’ont troqué contre des mannes financières, des vigiles tortionnaires, les matraques et grenades policières.
De cette manifestation du 18 février, je ne regrette rien, si ce n’est de ne pas être resté au cœur de l’action collective qui a mis à terre les grilles de l’ANDRA. J’ai voulu en faire tomber une de plus, alors que le groupe se repliait, j’ai cru que je serais assez fort pour le faire seul avec une pince monseigneur. Je pensais pouvoir repartir en courant, si les gendarmes chargeaient.
Malheureusement, une crampe s’est déclarée en même temps que le stress et ma course fut laborieuse, j’ai fini plaqué au sol par un gendarme. L’interpellation dure plusieurs longues minutes, les gendarmes n’arrivent pas à me remonter, ils sont 4. Je n’arrête pas de leur parler, d’exprimer l’indignation contre ce projet, leurs regards fuient le mien, ils soupirent et perdent leur force au fur et à mesure que la parole se libère. J’ai même cru à un moment qu’ils me laisseraient partir.
Mais le commandant Dubois est venu redonner par sa présence la force de la soumission qu’incarne sa supériorité hiérarchique. Je continue tout de même à parler, le commandant m’étranglera pendant plusieurs longues secondes pour que je me taise. Je ne pouvais ni respirer, ni parler. Des marques de strangulations seront notées par le médecin pendant ma garde à vue. Serais-je encore libre si c’était moi qui avais étranglé le commandant ?
Nous ne faisons que nous attaquer aux structures matérielles de l’ANDRA, et c’est une violence contre des personnes que les gendarmes ont délibérément exercée contre nous. Qu’ils s’écartent de notre chemin révolutionnaire et ils ne seront plus victimes de jets de pierre ou autre joyeuseté. Un manifestant a dû se faire opérer au pied suite à une grenade policière, il craignait de ne plus pouvoir marcher.
Le projet d’enfouissement de déchets nucléaires doit être freiné, entravé et donc saboté pour la légitime défense de la santé, du sol, de l’air et de l’eau.
« C’est bien beau de s’opposer, mais vous proposez quoi ? »
Au regard de la gestion laborieuse que la filiale nucléaire a réalisé en Somalie, dans la manche et dans divers sites d’enfouissement aux multiples accidents (Nouveau Mexique ou en Allemagne); il semble évident qu’il ne faut pas laisser la gestion des déchets nucléaires à ces individus irresponsables.
« On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés » (Albert Einstein)
Il est important de reconnaître avec honnêteté, sans le mensonge qu’un nuage radioactif s’arrête à la frontière, que nous ne savons pas quoi faire et nous n’avons jamais su quoi faire des déchets nucléaires. Dès lors, l’arrêt immédiat de la production de ses déchets est une évidence.
Cette question de la gestion devrait être prise en compte par la société toute entière, en finançant des recherches indépendante. Où trouver l’argent ? Il y a 60 millions d’euros déversés dans le département de la Meuse et Haute-Marne, afin d’acheter le consentement de celles et ceux qui demain seront irradiés. Redirigeons cette somme dans la recherche d’alternative. Tenter de trouver des solutions par la science, plutôt que l’achat des consciences.
Il y a les PDG du nucléaire, nucléocrates et autres personnes qui se sont fait des millions, voir milliards de bénéfices sur le dos de notre vie, il faudra également qu’ils rendent l’argent, pour la survie de l’humanité.
L. un tombeur de grilles
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