À L’EXAMEN DU BREVET DES COLLÈGES, UNE PROPAGANDE SUBTILEMENT NUCLÉARISTE

PondichéryLes épreuves scientifiques de l’examen du brevet des collèges à Pondichéry ont fait réagir les auteurs de cette tribune. Selon eux, les sujets ont présenté aux élèves une approche « partielle et partiale » de l’énergie, promouvant le nucléaire.

Le sujet de sciences du diplôme national du brevet donné à Pondichéry, premier publié depuis la réforme du collège de 2016, était attendu avec impatience par les enseignants de sciences. Espérons que les messages véhiculés par les sujets futurs ne soient pas aussi caricaturaux, pour ne pas dire scandaleux, du point de vue de la formation des futurs citoyens que sont les collégiens de troisième.

Dans la partie de Physique-chimie, il s’agissait de montrer pourquoi le développement de l’énergie éolienne n’a pas été fait « à grande échelle » (entendre « sur tout le territoire français »). Pour ceci, après avoir fait estimer qu’il faudrait couvrir l’équivalent d’un département français d’éoliennes actuelles (aucune allusion aux innovations techniques à venir dans le domaine) pour répondre à la consommation d’aujourd’hui, on demande aux candidats de formuler un avis uniquement « à charge » en formulant deux arguments pour conclure que l’énergie éolienne ne peut pas être le seul choix pour répondre aux « besoins croissants » en électricité (efficacité et sobriété énergétiques ne sont jamais évoquées).

La partie Sciences de la vie et de la terre est encore plus caricaturale : on demande en effet aux élèves de trouver quel mode de production d’énergie est plus adapté à différentes villes françaises. Tout semble discutable, tant sur le fond que sur la forme : une classification des énergies pour le moins originale (les énergies non renouvelables, les énergies renouvelables… et l’énergie nucléaire), un centrage sur trois énergies renouvelables seulement (qui oublie la biomasse et l’hydraulique) en présentant des cartes de France (répartition du débit d’énergie géothermique, moyenne d’ensoleillement et vitesse des vents), ou encore un tableau très partiel et partial présentant apparemment les avantages et les inconvénients de ces trois énergies alors qu’il omet, par exemple, la question des rejets polluants. L’élève-citoyen doit alors se positionner et indiquer la ou les énergies renouvelables pertinentes pour trois villes françaises, puis, enfin, proposer une solution d’approvisionnement énergétique (alors qu’il n’est question ici que d’électricité) pour la ville de Reims, qui ne répond évidemment à aucune condition d’exploitation des trois énergies renouvelables.

Cela porte un nom : cela s’appelle du scientisme 

En résumé, on demande donc qu’avec si peu d’informations, en oubliant deux tiers des énergies renouvelables, en omettant complètement la question du transport de l’énergie, celle de l’utilisation d’énergie non électrique, et toutes celles liées aux rejets polluants et en passant totalement sous silence la question de la place de la technique dans la société, l’élève-citoyen puisse conclure à un recours logique au nucléaire pour la ville de Reims.

Il nous parait inadmissible que ce sujet de brevet ne respecte pas une certaine éthique dans l’appropriation citoyenne des résultats scientifiques. Il propose de façon insidieuse un choix orienté des résultats présentés puis demande d’en tirer une conclusion apparaissant comme logique, objective et neutre. Cette manière de faire du tri dans l’information transmise, de prioriser certains critères face à d’autres relève bel et bien de choix politiques et non d’une objectivité scientifique.

Pour que la science ne soit pas remise en cause et délégitimée par les citoyens, il nous apparaît nécessaire de distinguer le résultat scientifique, qui se doit d’être objectif, de son appropriation par les citoyens et du tri des informations, qui relèvent d’un choix politique personnel influencé par d’autres ressources que seulement scientifiques. Dans ce sujet de brevet, non seulement la distinction n’est pas faite, mais de plus, la seule expertise nécessaire à la prise de décision politique relèverait de la science… Cela porte un nom : cela s’appelle du scientisme.

Cette manière partielle et partiale de présenter le problème est très connotée politiquement. Elle s’inscrit dans un contexte historique et est au service d’une cause économique spécifiquement française : le nucléaire. En tant qu’enseignant et éducateur, nous sommes donc censés diffuser ce document, faire travailler nos élèves de troisième sur ce sujet… exemplaire ! Un joli message pour former nos élèves à l’esprit critique…

Produire un sujet simple sur une question de société complexe n’est évidemment pas chose aisée. Mais relever ce défi ne doit pas conduire à confondre simplification et orientation forte du débat sous couvert d’une apparente neutralité scientifique.

Jacques Vince et Julien Machet sont enseignants et formateurs en physique-chimie dans l’académie de Lyon.

https://reporterre.net/A-l-examen-du-brevet-des-colleges-une-propagande-subtilement-nucleariste