Lundi 26 et mardi 27 juin, un groupe d’experts nucléaires doit donner son avis sur la cuve et la calotte de l’EPR de Flamanville, dont l’acier n’est pas suffisamment homogène en carbone. Le feu vert final devrait être accordé en septembre prochain par l’ASN. Un processus sous hautes pressions industrielle, économique et politique.
Reporterre vous explique ce dossier compliqué.
La cuve de l’EPR de Flamanville, dont l’acier défectueux accroît le risque de rupture, va-t-elle malgré tout être validée par le gendarme français du nucléaire ? La décision finale de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) reste inconnue, mais le calendrier se précise. « L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) vient d’achever un dossier technique, pour l’heure confidentiel, de 193 pages. Il y livre son analyse de tous les tests réalisés par Areva pour évaluer la résistance de la cuve, eux-mêmes consignés dans un dossier que le fabricant a remis le 13 décembre dernier à l’ASN », explique Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace et membre du groupe de suivi « Anomalie cuve EPR » au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire (HCTISN). Ce rapport doit être présenté au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (GPESPN), dont les membres sont désignés par l’ASN, ce lundi 27 et mardi 28 juin au cours d’une réunion à huis clos.
Les membres du groupe permanent devraient s’appuyer sur le document de l’IRSN pour rédiger leur avis sur l’utilisation de la cuve défectueuse. Forte de ce rapport et de ces recommandations, l’ASN devrait rendre un premier avis qui sera soumis à consultation publique « tout l’été et durant les deux premières semaines de septembre », précise Yannick Rousselet. Le gendarme du nucléaire devrait rendre sa décision définitive sur la cuve dans la deuxième moitié du mois de septembre. Qu’elle soit positive ou négative, EDF et Areva devront s’y tenir.
Quel est exactement le problème de la cuve — pièce monumentale de 7 mètres de diamètre, 11 mètres de hauteur, 425 tonnes — et de sa calotte ? Le forgeage de cette dernière a été achevé en octobre 2006 à l’usine Areva du Creusot, le fond en décembre 2007. Mais des tests menés par Areva ont révélé, fin 2014, que l’acier n’était pas suffisamment homogène et que les pièces présentaient à certains endroits de fortes concentrations de carbone. « Pour les fabriquer, Areva a recouru à une technique de forgeage récente qui utilise un lingot d’acier de carbone très lourd, jusqu’à 160 tonnes, expliquait à Reporterre Thierry Charles, directeur général adjoint de l’IRSN chargé de la sûreté nucléaire, en novembre dernier. Or, un lingot en train de refroidir ressemble à un fondant au chocolat : le cœur reste coulant plus longtemps que l’extérieur. Et le carbone migre préférentiellement dans la phase liquide. »
« L’ASN subit des pressions considérables »
Ce phénomène a modifié les propriétés mécaniques de l’acier. En conséquence, les pièces ont échoué aux tests de résilience, qui mesurent la capacité de l’acier à encaisser un choc sans se rompre en cas de choc de température chaud ou froid : la calotte de l’EPR a obtenu un résultat moyen de 52 joules et minimal de 36 joules, au lieu des 60 joules minimum imposés par la réglementation. Pire, ces valeurs sont « très largement inférieures à ce qu’on aurait pu espérer du matériau s’il avait été conforme (…) pour une résilience attendue de 220 joules », indique dans une note le physicien nucléaire Gérard Gary, directeur de recherche émérite ex-CNRS rattaché au laboratoire de mécanique des solides de l’École polytechnique, à l’issue d’une réunion du GPESPN du 30 septembre 2015.
« Tout le monde est d’accord pour dire que la cuve n’est pas conforme, soupire Yannick Rousselet. L’ASN et l’IRSN ont employé des mots très durs en disant que les conditions de sûreté de niveau 1 n’étaient pas remplies et qu’il faudrait des mesures de niveau 2, ce qui est exclu d’un point de vue réglementaire. Si la cuve est validée dans l’état, on va rentrer dans un régime d’exception. » « Il a été consacré beaucoup de temps à la sûreté de niveau 2, de sorte que le non-respect de la sûreté de niveau 1 a semblé considéré comme acquis, ce que confirment les recommandations du GPESPN », confirme la note de Gérard Gary.
Interrogé par Reporterre, Areva nous écrit un courriel indiquant que le groupe a « mené un programme d’essais de grande ampleur qui démontre la ténacité de la cuve. (…) En complément et à la demande de l’ASN, Areva a effectué des études de scénario alternatif visant à fournir un descriptif des opérations à mener pour remplacer la cuve » au cas où la pièce défectueuse serait rejetée.
Mais Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, a indiqué dans un entretien accordé au quotidien les Échos, le 6 juin dernier, qu’il était « plus [confiant] que jamais pour obtenir l’approbation par l’Autorité de sûreté nucléaire de la cuve et des éléments du circuit primaire de Flamanville 3 ». Yannick Rousselet est également convaincu que le gendarme du nucléaire va valider la cuve et sa calotte. « L’ASN subit des pressions considérables de la part des industriels et des politiques », dénonce-t-il.
En premier lieu, plutôt que d’interrompre le projet le temps de réaliser tous les tests et de s’assurer de la bonne tenue des pièces défectueuses, EDF et Areva se sont dépêchés de poursuive les travaux. « Je tiens à préciser que le chantier suit son cours, soulignait ainsi Laurent Thieffrey, directeur du projet Flamanville 3, lors d’une réunion de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) le 25 octobre 2016. Nous sommes en cours de finalisation des montages électromécaniques avec un taux d’avancement aujourd’hui supérieur à 80 % et bien en cours de préparation des essais d’ensemble dont je vous confirme qu’ils commenceront bien en mars 2017, comme annoncé. » Résultat, EDF a déjà englouti 10,5 milliards d’euros dans le chantier. Une fuite en avant pointée par les opposants au projet d’EPR, qui dénoncent une stratégie pour mettre l’ASN devant le fait accompli. Contactée, cette dernière a indiqué à Reporterre qu’elle n’accordait pas d’interview avant la fin de la présentation du rapport au GPESPN.
Un rejet de ces pièces entraînerait, « par effet domino, la chute de toute l’industrie nucléaire française »
D’autres facteurs macroéconomiques expliquent la pression subie par l’ASN. Les finances d’Areva sont au plus bas. Or, Bruxelles a conditionné sa recapitalisation à hauteur de 4,5 milliards d’euros au feu vert accordé à la cuve et à la calotte de l’EPR de Flamanville. Enfin, un rejet de ces pièces entraînerait, « par effet domino, la chute de toute l’industrie nucléaire française : l’EPR de Flamanville serait condamné, les projets d’EPR d’Hinkley Point en Angleterre en pâtiraient, les Chinois renonceraient à leurs commandes et demanderaient des indemnisations et la situation s’aggraverait avec les Finlandais, avec qui nous sommes déjà en conflit juridique à cause des retards du chantier d’Olkiluoto 3 », analyse Yannick Rousselet.
Le militant écologiste, également membre du groupe de suivi « anomalie cuve EPR » du HCTISN, pointe l’opacité dans laquelle toute cette histoire de cuve et de calotte a été gérée. « À l’annonce des anomalies dans l’acier de certaines pièces de l’EPR, le HCTISN a décidé de s’autosaisir pour reconstituer l’historique du problème, puis a été saisi par la ministre de l’Environnement de l’époque Ségolène Royal, raconte-t-il. Les premières réunions ont été très dures : les exploitants ne comprenaient pas qu’on leur demande des explications, ils adoptaient des attitudes très négatives. »
Finalement, c’est la publication par l’ASN de toute la chronologie de l’affaire et des échanges de courrier avec Areva qui a permis au haut comité de mieux comprendre l’enchaînement des événements. Mais Areva et EDF ont continué à faire de l’obstruction, rapporte Yannick Rousselet : « Nous savions que 22 rapports d’expertise, dans lesquels étaient inscrits tous les résultats aux tests et les méthodologies adoptées, avaient été produits. Mais Areva et EDF n’ont pas voulu nous les communiquer au nom du secret industriel. Ils ont fini par céder en nous disant qu’ils nous en livreraient trois, mais on n’en a eu finalement qu’un seul. »
Ce comportement a amené le HCTISN à dénoncer le manque de transparence d’EDF et d’Areva dans un rapport intermédiaire présenté le 14 juin dernier. Il devrait rendre public un nouveau bilan de toute l’affaire à l’automne prochain, après la décision finale de l’ASN. « Mais il faut souligner un point important, signale Yannicke Rousselet. Alors que les membres critiques à l’égard du nucléaire y sont minoritaires, le haut comité a été unanime pour dire qu’EDF et Areva n’avaient pas joué le jeu de la transparence et de l’information. »
Article d’Émilie Massemin (Reporterre)
https://reporterre.net/L-EPR-sera-t-il-autorise-malgre-une-cuve-defectueuse-Les-experts-discutent
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