Le gisement d’Imouraren, au Niger, n’était pas un bon filon pour Areva, géant français de l’énergie. Après l’affaire Uramin, la justice enquête.
Une nouvelle tuile en perspective pour Areva. Selon nos informations, la brigade financière a reçu mi-mai une étude sur Imouraren, un potentiel gisement d’uranium au Niger, qui remet en question la valorisation du site retenue dans les comptes 2016 du groupe nucléaire. Des auditions ont déjà eu lieu et ce dossier spécifique pourrait déboucher sur l’ouverture d’une enquête préliminaire, à côté des deux instructions judiciaires déjà lancées sur les comptes d’Areva et le rachat d’Uramin.
C’est au milieu de la précédente décennie que le groupe, alors dirigé par Anne Lauvergeon, décide de reprendre l’exploration d’Imouraren, situé à quelques dizaines de kilomètres au sud d’Arlit, où il exploite deux mines en fin de vie. A l’époque, l’entreprise souhaite reconstituer son portefeuille minier et va acquérir, dans des conditions parfois troubles, plusieurs projets qui ne déboucheront pas : comme Uramin, une société canadienne propriétaire de trois gisements en Afrique pour lesquels Areva a dépensé, en vain, quelque 3 milliards d’euros (investissements compris).
Début 2009, Areva obtient du gouvernement nigérien le permis d’exploitation d’Imouraren. Le groupe parle alors d’un « gisement de classe mondiale » avec quelque 275.000 tonnes de minerais en terre et un niveau de production potentiel de 5.000 tonnes d’uranium par an pendant trente-cinq ans.
Il faut recadrer « avant que ça ne finisse comme Uramin…«
Dans la foulée, Areva va dépenser environ 900 millions d’euros pour mettre en exploitation le gisement. Un chiffre qu’Areva refuse de commenter. Les travaux vont se poursuivre jusqu’au début de 2014. Mais tout s’arrête en mai de cette année-là : Areva annonce que les conditions de marché ne permettent pas la poursuite du projet. Le groupe licencie le personnel nigérien, rapatrie les salariés français et vend une partie des équipements.
Surprise, dans les comptes 2014, Areva n’intègre aucune provision pour déprécier sa participation dans Imouraren. Si le gel du projet l’a obligé à passer une charge de 48 millions d’euros en exploitation, il se contente d’indiquer que les actifs corporels et incorporels immobilisés à Imouraren sont évalués à 865 millions d’euros. L’année suivante, le groupe commence à déprécier le site nigérien : une provision pour perte de valeurs de 194 millions, ramenant la valeur des actifs à 694 millions (sans compter une nouvelle charge pour report du projet de 42 millions). En 2016, Areva a de nouveau dévalorisé sa participation dans Imouraren, pour un montant de 316 millions. La valeur des actifs tombe donc à 348 millions d’euros.
Pour quelles raisons ne pas avoir mis à zéro la participation dans Imouraren dès 2014, le projet étant abandonné? D’autant qu’à la lecture des témoignages de géologues qui connaissent bien le site, on a l’impression qu’Imouraren ne sera jamais le « gisement de classe mondiale » promis un peu trop rapidement par Areva. Mais un mirage comparable à Uramin. Dans un e-mail envoyé en juin 2012 à Luc Oursel, le successeur d’Anne Lauvergeon, un géologue qui a longtemps sillonné le Niger pour le compte du groupe écrit : « Vous êtes dans l’incapacité d’en connaître les réserves récupérables (exploitables) avec certitude. Imouraren !!!… C’est 50.000 tonnes commerciales au grand maximum. » Avant de conclure : « Maintenant, il est de votre responsabilité de recadrer tout cela… Avant que ça ne finisse comme Uramin… Par un scandale médiatique!!!«
« Areva n’a pas réalisé l’ensemble des analyses nécessaires avant de prendre la décision d’investir à Imouraren, raconte un ancien géologue du groupe. Comme le minerai se trouve à plus de 100 mètres sous terre, il aurait fallu creuser un puits et quelques galeries pour étudier le minerai et sa géométrie. Cela n’a jamais été fait. Areva s’est reposé sur des relevés de radiométrie, alors que cette méthode donne des résultats imprécis et parfois faux. » Ce géologue préfère d’ailleurs parler de site à propos d’Imouraren et non de gisement, puisque les minéralisations d’Imouraren n’appartiennent à aucun modèle géologique connu. Il précise qu’il y aurait peut-être 30.000 à 50.000 tonnes d’uranium récupérables dans la zone centrale, baptisée Imfout, si les conditions du marché le permettaient.
Le consultant Behre Dolbear ne dit pas autre chose. Dans un rapport remis à EDF en mars 2012, il lui déconseille fortement d’investir dans Imouraren : Areva propose alors à l’électricien de prendre une participation de 19%. Constatant lui aussi qu’Areva ne dispose d’aucune étude sérieuse sur la géologie du site, il met ouvertement en doute le niveau de ressources en uranium annoncé. L’électricien ne donnera pas suite à la proposition d’Areva. Pour justifier la valorisation du projet, Areva affirme que « le site d’Imouraren n’a pas été abandonné. Il a été mis sous cocon dans l’attente d’un redémarrage. La valeur retenue dans les comptes correspond à l’estimation de la valeur recouvrable de l’actif après prise en compte de la baisse du prix de l’uranium intervenue ces dernières années« . Un discours déjà entendu quand Areva a dû justifier les provisions passées sur Uramin.
Vers des contestations d’actionnaires minoritaires?
Mais ce discours est inaudible pour la justice. Le refus de provisionner en totalité la participation dans Uramin avant la fin de l’année 2011 a débouché sur l’ouverture d’une instruction judiciaire pour « diffusion de fausses informations aux marchés, présentation de comptes inexacts, abus de pouvoir, faux et usage de faux« . Ce qui pourrait aussi s’appliquer à Imouraren, selon le rapport remis à la brigade financière.
Ce risque judiciaire soulève un autre problème. Si Areva avait dû provisionner en totalité sa participation dans Imouraren dès 2014, alors les comptes présentés depuis sont contestables. Et dans ce cas, que devient l’augmentation de capital, dont le montant (2 milliards pour Areva, et 3 milliards pour Areva Newco qui porte les actifs « sains » dont Imouraren) a été calculé en fonction de la situation financière du groupe à fin 2016? Ne pourrait-elle pas être contestée par les actionnaires minoritaires? Le sauvetage du groupe s’annonce de plus en plus périlleux.
Article de Thierry Gadault
http://www.lejdd.fr/economie/uranium-la-mauvaise-mine-dareva-au-niger-3371576
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