LE « RÉCIT » QUI DOIT SAUVER L’HONNEUR DE L’ASN, LA CUVE DU RÉACTEUR EPR ET LES DERNIERS ESPOIRS DE L’INDUSTRIE NUCLÉAIRE FRANÇAISE

EPRLe sauvetage de l’EPR passe par la réécriture du rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire

Le « récit » est de nos jours une arme extrêmement importante utilisée par les « faiseurs d’opinion » pour parvenir à leurs fins, nous en avons d’ailleurs eu récemment la démonstration lors de la campagne présidentielle. L’idée est d’imposer dans les médias et donc dans l’opinion une « vérité » qui soit porteuse … quitte à arranger ou réinterpréter les faits, voire même à les déformer ou carrément les inventer.

C’est précisément un de ces fameux « récits » qui nous est actuellement servi pour tenter de sauver l’industrie nucléaire française. Celle-ci a en effet accumulé de très graves déconvenues (1) ces dernières années et elle joue probablement sa survie dans l’affaire de la cuve du réacteur EPR qu’EDF tente péniblement de construire depuis 2007 à Flamanville (Manche).

Cette cuve, qui est assurément la pièce la plus importante du réacteur, a été mal fabriquée par Areva dans ses forges du Creusot : elle présente des zones de concentration en carbone bien plus élevée que la limite exigée pour assurer une bonne résistance.

La cuve devrait donc théoriquement être recalée, ce qui laisserait EDF face à deux options : renoncer à mettre en service l’EPR, ou bien le détruire en partie pour en extraire la cuve défectueuse, la remplacer par une autre (qui reste à fabriquer… correctement si possible), et reconstruire les parties détruites. Ce serait dans les deux cas un scénario catastrophique pour EDF sur les plans industriel et financier, et cela ruinerait définitivement le maigre crédit dont bénéficie encore l’industrie nucléaire française, déjà largement déconsidérée.

On comprend alors aisément le caractère crucial de la décision que doit prendre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) concernant cette fameuse cuve dont le sort, aussi incroyable que cela puisse paraître, n’est pas scellé : EDF prétend qu’elle peut être utilisée malgré ses défauts, et l’ASN se prépare même à choisir cette hypothèse glaçante.

Glaçante car, précision cruciale, la rupture de la cuve est dite « exclue«  dans les documents et procédures de sûreté, ce qui ne signifie pas qu’elle ne peut pas se produire mais qu’elle ne doit surtout pas avoir lieu : aucune parade n’est possible et le scénario aurait alors probablement des conséquences comparables à celles de la catastrophe de Fukushima (Japon).

Alors que l’ASN est censée publier sa décision début juillet 2017, il serait terriblement naïf de croire que les dirigeants d’EDF et l’État se contentent d’attendre, les bras croisés, en espérant une bonne nouvelle. Au contraire, tout est mis en œuvre pour rendre acceptable aux yeux de l’opinion la validation de la cuve car, il ne faut nourrir aucune illusion, c’est bien cette décision insensée qui va être annoncée.

C’est à ce niveau qu’intervient le fameux « récit » qui repose sur trois mensonges :

  • l’ASN aurait pleinement joué son rôle, sans se plier aux intérêts de l’industrie nucléaire, en rendant publiques les défectuosités de la cuve de l’EPR ;
  • EDF et Areva auraient caché la vérité à l’ASN qui, elle, n’aurait commis aucune faute ;
  • l’ASN aurait prouvé son « indépendance » en saisissant la justice dans cette affaire ;

Ce « récit » est installé dans l’opinion pour que la validation de la cuve par une ASN si « compétente » et « intransigeante » ne puisse être valablement contestée. Nous devons donc rétablir la vérité dans ce dossier afin de ne pas laisser valider une cuve qui, objectivement, doit être recalée.

Non, l’ASN n’a PAS révélé l’affaire de la cuve

Lorsque l’on suit de près le dossier du nucléaire en France, on sait que pour la plupart des problèmes détectés, l’ASN ne découvre rien elle-même : elle est dépendante du bon vouloir des exploitants qui décident eux-mêmes de ce qu’ils veulent bien rendre public ou pas.

Dans l’affaire de la cuve et des pièces défectueuses, il suffit de se reporter au tout premier communiqué de l’ASN pour constater qu’il commence par la formule consacrée (mise en gras ici) : «  L’ASN a été informée par AREVA d’une anomalie de la composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville. » (2)

C’est donc formellement l’ASN qui rend publique l’affaire, certes, mais seulement parce qu’elle y est contrainte par Areva (3). Comme nous allons le voir, les dirigeants d’Areva, d’EDF et de l’ASN savaient depuis des années qu’il y avait de graves problèmes sur la cuve de l’EPR mais tout ce petit monde, à commencer par les dirigeants de l’ASN, avait décidé de ne pas en parler et de laisser le chantier continuer comme si de rien n’était.

Sans cet aveu venu subitement d’Areva, rompant avec l’omerta de mise depuis des années, EDF s’apprêterait avec la complicité silencieuse de l’ASN à mettre en service de façon totalement irresponsable une cuve défectueuse.

L’Observatoire du nucléaire dénonce donc la tromperie visant à laisser croire à une ASN qui aurait pris ses responsabilités en mettant sur la place publique les fameuses défectuosités de la cuve de l’EPR.

Il est d’ailleurs notable que l’ASN entretient elle-même cette duperie lors de ses communications en écrivant par exemple « L’ASN a rendu publique le 7 avril 2015 une anomalie de la composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville » (4) ce qui, à nouveau, n’est pas formellement faux mais est en réalité trompeur.

L’ASN a commis une faute majeure en autorisant l’installation de la cuve fin 2013

L’ASN a commis une faute majeure le 26 novembre 2013 en autorisant EDF à installer la cuve dans le réacteur en construction. Certes, l’ASN se défend en assurant que cette autorisation ne préjugeait pas de la validation ou non, a posteriori, de l’utilisation de la cuve. Mais :

 en autorisant EDF à installer la cuve, l’ASN a contribué de façon décisive (et coupable) à se piéger elle-même : il est aujourd’hui immensément plus difficile de recaler la cuve alors que les tuyauteries ont été soudées et que les travaux ont continué tout autour : il faut désormais détruire une partie du réacteur pour en extraire la cuve si elle est déclarée défectueuse.

 de toute façon, comme nous l’avons dénoncé depuis des années et comme cela a été récemment confirmé de façon incontestable par l’enquête menée pour Radio-France par Sylvain Tronchet (5), l’ASN savait bien avant 2013 que la cuve de l’EPR était défectueuse. Si contre toute logique elle en a accepté l’installation, c’était de toute évidence avec la ferme intention de valider cette cuve quoi qu’il arrive, dans le cadre de l’omerta évoquée ci-dessus.

Il est d’ailleurs dommage que l’enquête de Radio-France, qu’il ne s’agit pas ici de critiquer car elle a mis au jour des éléments extrêmement pertinents, accrédite involontairement le fameux « récit » trompeur, en particulier du fait du titre de l’enquête : « Défauts sur la cuve de l’EPR de Flamanville : l’Autorité de sûreté nucléaire avait alerté EDF dès 2005 de dysfonctionnements chez le fabricant« .

Ces révélations confirment, et c’est très important, que l’ASN savait depuis longtemps que la cuve de l’EPR présentait de graves problèmes. Par contre, le titre et certaines formulations tendent à laisser croire que l’ASN aurait fait correctement son travail mais n’aurait tout simplement pas été écoutée par EDF.

Non, ce n’est PAS l’ASN qui a saisi la justice

Plus exactement, elle l’a fait près de six mois après l’Observatoire du nucléaire qui, l’AFP en atteste (6), a déposé plainte le 4 mai 2016. La nuance est cruciale car, comme expliqué dans plusieurs communiqués dès le départ (7) et par la suite (8), l’Observatoire du nucléaire considère à juste titre que l’ASN fait partie des coupables car, pendant des années, elle n’a rien dit et, pire, elle s’est rendue coupable de complicité active en autorisant fin 2013 l’installation de la cuve dont elle connaissait les défectuosités.

De fait, si l’ASN a fini par se résoudre à saisir à son tour le procureur, en octobre 2016, c’est de toute évidence pour essayer de se placer du bon côté de la barre lors du procès qui devrait normalement avoir lieu (sauf si l’affaire est enterrée malgré sa gravité).

Pour mémoire, l’article 40 du Code de procédure pénale prévoit que tout officier public ou fonctionnaire ayant connaissance d’un crime ou d’un délit dans le cadre de ses fonctions est tenu d’en « donner avis sans délai au procureur de la République« , et on ne peut pas dire que l’ASN ait agit « sans délai ». On peut même estimer que, si l’Observatoire du nucléaire n’en avait pas pris l’initiative, la justice n’aurait pas été saisie.

Cette saisine est par ailleurs l’occasion pour l’ASN de « prouver » à nouveau qu’elle est « intransigeante » et donc que sa future décision (à savoir la validation de la cuve) sera « parfaitement justifiée« . Encore faut-il pour cela que soit « oublié » le fait que c’est bien l’Observatoire du nucléaire qui a pris l’initiative de saisir la justice et non l’ASN.

C’est bien évidemment ce que s’appliquent à faire ceux qui veulent par tous les moyens sauver l’honneur de l’ASN et, de fait, l’EPR. On note aussi que de curieux « écologistes » croient ou font semblant de croire à la prétendue indépendance de l’ASN, et que celle-ci pourrait décider de recaler la cuve de l’EPR.

Il y a en réalité 0% de chance la cuve de l’EPR soit invalidée, et ce d’autant que l’ASN entend blanchir ses propres actes en même temps qu’elle décrètera la cuve bonne pour le service…

Article de Stéphane Lhomme, Observatoire du nucléaire

(1) Entre autres : désastres des chantiers EPR de Finlande (Areva) et Flamanville (EDF), faillite d’Areva, affaire de corruption Uramin (Areva, Lauvergeon), abandon des projets aux USA malgré des dépenses considérables déjà effectuées (EDF et Areva), chute d’un générateur de vapeur dans la centrale de Paluel (EDF), affaire des pièces défectueuses et des documents de « sûreté » falsifiés (Areva, EDF, ASN), etc.

(2) https://www.asn.fr/Informer/Actualites/EPR-de-Flamanville-anomalies-de-fabrication-de-la-cuve

(3) Il serait assurément utile de savoir qui, chez Areva, a décidé de « cracher le morceau« , et pourquoi. Selon nous, suite à divers remaniements de la direction (départ de Mme Lauvergeon, décès de son successeur M. Oursel), il est possible que les nouveaux dirigeants n’aient pas souhaité assumer le lourd secret caché par leurs prédécesseurs, sous peine de se retrouver tôt ou tard dans le camp des coupables…

(4) https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Controle-du-reacteur-EPR-en-construction/Anomalies-de-la-cuve-de-l-EPR/Historique-sur-l-anomalie-de-la-cuve-EPR

(5) http://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/info-franceinfo-defauts-sur-la-cuve-de-lepr-de-flamanville-l-autorite-de-surete-nucleaire-avait-alerte-edf-des-2005-de-dysfonctionnements-chez-le-fabricant_2121929.html

(6) http://www.connaissancedesenergies.org/afp/areva-lobservatoire-du-nucleaire-depose-plainte-pour-faux-et-mise-en-danger-dautrui-160504

(7) http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?article312

(8) http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?article326