LA MÉTHODE COUÉ NE SAUVERA PAS L’INDUSTRIE NUCLÉAIRE

nucléaire LhommeCet article est une réponse à l’article de Monsieur Remy Prudhomme (professeur émérite des universités), article intitulé : « Réduire drastiquement le parc nucléaire français serait une folie »et publié sur le site : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/030498651162-reduire-drastiquement-le-parc-nucleaire-francais-serait-une-folie-2108599.php

En réponse, voici l’article de Monsieur Stéphane Lhomme (Directeur de l’Observatoire du nucléaire) :

Il est inutile d’invoquer un atome mythique comme il y a 20 ou 30 ans alors que l’industrie nucléaire est aujourd’hui plombée par les faillites et les désastres industriels, situation illustrée en France par les déboires d’Areva et d’EDF.
Dans sa récente tribune publiée par le Cercle, M. Prudhomme liste divers arguments pour tenter de réhabiliter l’énergie nucléaire et contester la fermeture annoncée de nombreux réacteurs.

Le problème est que l’auteur argumente comme on pouvait encore le faire il y a 15 ou 20 ans, en invoquant un atome mythique : « La France est un géant nucléaire« , « Notre considérable savoir-faire nucléaire« , etc.

Prudhomme semble donc ignorer que l’industrie nucléaire en France et dans le monde est dans une situation catastrophique, illustrée par la faillite des deux de ses entreprises emblématiques, le français Areva et l’américain Westinghouse, ce dernier ayant même entraîné dans le gouffre son actionnaire principal, le japonais Toshiba.

L’auteur agite le coût pour les finances publiques qu’impliquerait la fermeture de réacteurs, rappelant que « le gouvernement cherche frénétiquement des secteurs où économiser quelques milliards« , mais il oublie que ce même gouvernement creuse le déficit précisément en renflouant à grands frais Areva (3,3 milliards déjà versés, 4,5 milliards prévus, cf. Les Échos 10 janvier 2017).

Et encore, il ne s’agit là que d’un début : ces derniers jours, l’État français a racheté l’ensemble des actions d’Areva SA, devenu une « structure de défaisance » sur le même modèle que le fameux Consortium <https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_consortium.html#xtor=SEC-3168>  de réalisation chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais.

Il est d’ailleurs notable qu’Areva SA se retrouve à assumer le chantier EPR de Finlande, désastre industriel sans fin : le réacteur devait entrer en service en 2009, or, il n’est toujours pas terminé à ce jour. Une décision de justice internationale est d’ailleurs attendue avec, de façon quasi certaine, la condamnation de la France à payer 2,6 milliards aux Finlandais.

S’il est impossible de savoir aujourd’hui quelles autres mauvaises surprises – décomptées en milliards – réserve le cas Areva, que dire du dossier EDF ? L’électricien national est non seulement confronté à la désagrégation avancée des 58 réacteurs actuels, dont la rénovation ruineuse est assurément impossible à financer, mais aussi au désastre de son propre chantier EPR, à Flamanville (Manche).

La situation est si dramatique que l’Autorité de sûreté nucléaire est sommée de valider la cuve de ce réacteur malgré les graves défauts qu’elle présente : c’est d’ailleurs l’occasion de rappeler à M. Prudhomme que, en guise de « considérable savoir-faire nucléaire« , l’atome français est impliqué dans un des pires scandales industriels de tous les temps : des milliers de pièces nucléaires – dont la fameuse cuve de l’EPR – ont été mal fabriquées dans les forges d’Areva au Creusot, et souvent couvertes par des certificats de sûreté falsifiés.

Pendant des décennies, les débats sur le nucléaire ont principalement porté sur le risque et sur la question insoluble des déchets radioactifs. Alors que la catastrophe de Fukushima est toujours en cours et que des manifestations ont lieu dans divers pays – par exemple en France à Bure (Meuse) – contre les projets d’enfouissement des déchets, il est évident que ces questions restent d’une actualité brûlante.

Pourtant, aujourd’hui, c’est sur le plan industriel et financier que l’atome est mis en cause et, pour tout dire, condamné. Outre les faillites déjà évoquées, il est notable que même les chantiers déjà largement avancés de réacteurs soient stoppés, comme à Shin Kori en Corée du Sud ou en Caroline du Sud (cf. AFP 1er août 2017).

La part du nucléaire dans l’électricité mondiale est passée de 17 % en 2001 à 9 % à ce jour, un véritable effondrement qui va continuer inexorablement au fil des fermetures de vieux réacteurs. Or plus de la moitié des 400 réacteurs encore en service a plus de 30 ans.

Invoquer un atome mythique, comme le fait M Prudhomme, ne changer en rien la réalité industrielle et financière. La méthode Coué ne sauvera pas le nucléaire.

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-172945-la-methode-coue-ne-sauvera-pas-lindustrie-nucleaire-2108694.php