EN INDE, L’OPPOSITION AU MÉGA-PROJET NUCLÉAIRE DE JAITAPUR NE FAIBLIT PAS

En IndeEDF espère installer six réacteurs EPR au bord de la mer d’Arabie, pour constituer la plus grande centrale atomique au monde.

Et une manifestation anti-nucléaire de plus ! Dimanche 20 août, plusieurs milliers de personnes ont convergé vers Madban, un village indien de la côte de Konkan, qui s’étire entre Bombay et Goa. Après une marche de 5 kilomètres, cultivateurs et pêcheurs, accompagnés de leurs familles, ont organisé un sit-in à proximité d’un terrain promis à EDF, sur un plateau d’une vingtaine de mètres de haut dominant la mer d’Arabie. Comme lors des 150 rassemblements qui ont déjà eu lieu sur place ces dix dernières années, les habitants de la région ont exprimé leur désarroi face aux six réacteurs à eau pressurisée de troisième génération (EPR) que l’électricien français envisage de bâtir là, et qui constitueraient la plus grande centrale atomique au monde, avec une capacité installée de 9,9 gigawatts.

Pour l’instant, la parcelle est fermée par une grande clôture et aucune activité n’est visible depuis l’extérieur. Des travaux exploratoires ont eu lieu afin de déterminer l’épaisseur exacte de latérite qui couvre la roche basaltique sur laquelle les fondations sont appelées à reposer. Mais EDF attend toujours le top départ du gouvernement de Narendra Modi, tandis que les opposants au projet ne désarment pas. Cette fois, à leur grande surprise, ils se sont retrouvés encadrés par de nombreux policiers armés de matraques, et ont vu un drone les survoler

« Mobilisation apolitique »

Satyajit Chavan, le président du mouvement Jan Hakka Seva Samiti, qui fédère les associations de lutte contre le projet de Jaitapur, s’est dit « choqué » de voir les forces de l’ordre déployer de tels moyens. « Notre action a toujours été pacifique et c’est la première fois qu’un drone nous surveille », a-t-il déploré. D’après lui, l’État cherche à « montrer ses muscles » et à « intimider la population », méthode qu’il juge en contradiction avec le « droit démocratique à manifester » inscrit dans la Constitution indienne.

Lundi 21 août, la presse locale soulignait la « tension » qui aura marqué ce énième rendez-vous, relevant que plus de 700 manifestants ont été interpellés, dont plusieurs députés de l’État du Maharashtra et de l’Assemblée nationale qui réclament l’abandon du projet. Satyajit Chavan s’est insurgé contre les tentatives de récupération politique, pointant notamment du doigt le Shiv Sena, une formation régionale d’extrême droite qui, en dépit de son alliance avec le parti au pouvoir à Delhi (Bharatiya Janata Party, BJP), s’affiche résolument contre le projet d’EDF. « Notre mobilisation est totalement apolitique », a-t-il martelé.

Sur le fond, les opposants estiment que la future centrale va « saccager » ce littoral réputé pour ses plantations de manguiers et sa faune marine. Ils continuent aussi de répéter que le plateau de Madban est traversé par une faille souterraine propice aux tremblements de terre, ainsi que l’avait mis en lumière, dès 2002, un rapport confidentiel du Department of Atomic Energy (DAE) s’appuyant sur des études du ministère des mines.

Coût « délirant »

Les échéances restent incertaines car EDF n’a obtenu de l’Inde qu’un accord de principe. En mai, le gouvernement Modi a annoncé la construction de dix réacteurs : ils viendront s’ajouter à un parc de 6,5 gigawatts qui en compte vingt-deux actuellement. Cependant les nouvelles installations seront toutes de technologie indienne. Et si l’exécutif a par ailleurs signé, fin juillet, un contrat avec le russe Rosatom pour ajouter deux tranches à la centrale de Kudankulam, dans le Tamil Nadu (sud), il n’a rien dit des six EPR de la centrale de Jaitapur. L’investissement s’élèverait, d’après le futur exploitant du site, Nuclear Power Corporation of India Limited, à 2 970 milliards de roupies (près de 40 milliards d’euros). « Délirant », estime Satyajit Chavan, qui s’étonne qu’EDF reprenne à son compte un projet conçu initialement par Areva, « une entreprise qui a fini en faillite ».

Au printemps, EDF a laissé entendre que le chantier pourrait démarrer en 2018, pour une mise en service entre 2025 et 2027. « On ne désespère pas de pouvoir signer un premier accord cette année pour engager des études », a déclaré Xavier Ursat, directeur exécutif chargé de l’ingénierie et des nouveaux projets nucléaires du groupe français. Depuis, le président français a annoncé qu’il se rendrait bientôt en Inde. La visite d’Emmanuel Macron est attendue pour les derniers jours de 2017 ou les premiers de 2018. Elle sera déterminante pour les habitants de Jaitapur.

http://www.lemonde.fr/energies/article/2017/08/22/en-inde-l-opposition-au-mega-projet-nucleaire-de-jaitapur-ne-faiblit-pas_5175075_1653054.html