SÛRETÉ NUCLÉAIRE: L’HEURE N’EST PAS AUX DÉROGATIONS!

L'heure n'est pas EPRL’Autorité de Sûreté Nucléaire s’apprête à déclarer la cuve de l’EPR apte au service en dépit des défauts de fabrication de ses calottes. Une décision particulière choquante dans le contexte actuel. Il faut déterminer d’urgence l’état réel des réacteurs en exploitation et refonder, en préalable absolu, le système de contrôle des installations nucléaires. La CRIIRAD appelle à se mobiliser.

http://www.criirad.org/installations-nucl/EPR%20Flamanville/2017-09-05_note-info_consult-asn.pdf

L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) s’apprête à clôturer deux consultations sur des projets qui mettent en jeu la sûreté des installations nucléaires :

La première se termine le 10/09 et concerne un projet de décision laissant à Areva NP (New Areva) jusqu’à fin 2018 pour terminer la vérification des dossiers de fabrication d’équipements sous pression nucléaires forgés par l’usine Creusot Forge ;

La seconde consultation, qui se termine le 12/09, concerne le projet d’avis dans lequel l’ASN juge que la ténacité de l’acier des calottes reste suffisante, malgré la dégradation de ses propriétés mécaniques, et que la cuve de l’EPR est donc apte au service, sous réserve de contrôles complémentaires anticipés pour le fond et d’une utilisation limitée à 2024 pour le couvercle.

CREUSOT FORGE : TROP TARD, TROP PEU !

La CRIIRAD considère que l’identification et le traitement des anomalies affectant les équipements des réacteurs en exploitation (ou les pièces utilisées pour leur qualification technique)  doit être prioritaire : plus d’un an s’est déjà écoulé depuis qu’il s’est avéré que les irrégularités des dossiers de fabrication ne concernaient pas seulement 438 dossiers barrés (c.à.d. signalés par une ou deux barres transversales) mais pouvaient affecter n’importe lequel des quelques 6 000 dossiers de fabrication recensés. Tant que le travail d’analyse n’est pas terminé, personne ne sait combien de composants sont concernés ni quelle est la gravité des éventuelles anomalies. Et nul n’ose aborder la question taboue des irrégularités non documentées : des défauts de qualité qui ont été constatés mais qui n’ont pas été consignés, ni dans les dossiers barrés, ni dans les dossiers sans marque spécifique ! 

Il est choquant de constater que les ressources des exploitants, de l’ASN et de l’IRSN ont été mobilisées sur le dossier de l’EPR, un réacteur qui n’est pas en service, au lieu de servir à lever (ou confirmer) les doutes sur les équipements critiques des réacteurs en exploitation. Le projet de décision de l’ASN et la consultation du public associée arrivent ainsi avec un an de retard et accordent encore 16 mois de délai pour les contrôles. La décision est d’autant plus critiquable que le projet de l’ASN ne comporte aucune analyse des risques associés aux délais de vérification et ne définit aucune mesure conservatoire vis-à-vis des éventuels défauts des pièces concernées. De plus, aucune prescription ne vient garantir la fiabilité des vérifications alors que les inspections de l’ASN ont révélé des anomalies étonnantes dans le dispositif AREVA/EDF.

LA FAILLITE DU SYSTÈME DE CONTRÔLE

Les différents audits conduits à Creusot Forge depuis 2015  ont mis en lumière ce que l’ASN qualifie de « dysfonctionnements techniques et organisationnels majeurs qui ont perduré pendant plusieurs décennies ». La falsification de documents pour dissimuler des défauts de fabrication remet en cause les fondements mêmes du système de contrôle des activités nucléaires, largement basés sur l’autocontrôle, la déclaration des anomalies et la sincérité des documents soumis à l’ASN.

Par ailleurs, en passant au crible les 10 dernières années, on constate que les fabrications de Creusot Forge ont fait l’objet de milliers de contrôles, de l’assurance qualité interne aux inspections de l’ASN et des organismes habilités qu’elle missionne, en passant par la surveillance des services spécialisés d’Areva NP et d’EDF. De plus, à compter de 2005, tout le monde savait (sauf la population !) que l’installation posait problème, aussi avait-elle été placée sous surveillance renforcée d’EDF et de l’ASN. Dans un tel contexte, comment expliquer le nombre des écarts et la gravité des irrégularités constatés après coup ? Comment expliquer qu’aucun des maillons de la chaîne de contrôle n’ait détecté les manquements ? Le système tourne-t-il à vide ? En tout cas, des failles béantes ont été constatées et on ignore à ce jour la cause des défaillances.

Tant que des réponses précises n’auront pas été apportées, que des actions correctives n’auront pas été définies et mises en œuvre, que leur efficacité n’aura pas été vérifiée, les autorités devraient se demander s’il est possible, et à quelles conditions, de laisser en exploitation les 58 réacteurs du parc électronucléaire français. L’heure n’est pas aux dérogations permettant de mettre en service une cuve dont les composants ne satisfont pas aux exigences essentielles de sûreté fixées par la réglementation.

CUVE DE L’EPR : TROP DE ZONES D’OMBRE EN REGARD DES ENJEUX !

La CRIIRAD considère :

1/ que faute d’accès au dossier, toute véritable contre-expertise est impossible ; que, de plus, les documents à disposition émanent d’organismes impliqués dans les dysfonctionnements qui ont conduit à l’installation des composants défectueux et qu’il manque en conséquence le rapport d’experts qui ne soient pas en situation de conflit d’intérêt, ni soumis aux énormes pressions qui s’exercent ;

2/ qu’en regard d’une installation susceptible de bouleverser la vie de dizaines de millions de personnes, on ne peut accepter ni la réduction des marges de sécurité, ni la remise en cause du principe fondamental de défense en profondeur, ni les incertitudes résiduelles du dossier, notamment sur la représentativité des pièces utilisées pour les analyses ; qu’en outre la réalité des situations accidentelles est bien plus complexe que ce que les modélisations des experts peuvent scénariser ;  

3/ que les conditions posées par l’ASN pour autoriser la mise en service de la cuve (contrôle anticipé pour le fond et limitation à 2024 de l’utilisation pour le couvercle) ne sont pas de nature à compenser la dégradation des performances de l’acier ; que le délai de 7 ans est défini en fonction du temps nécessaire à la fabrication d’un autre couvercle sans qu’il soit démontrer qu’aucun défaut dangereux n’est susceptible de se développer avant cette échéance ;

4/ que l’analyse de la période 2005-2015 montre que les industriels ont fait fi de leurs engagements, des prescriptions règlementaires et des mises en garde de l’ASN ; qu’ils devraient donc être sanctionnés plutôt que bénéficier d’une dérogation leur permettant de passer outre les exigences essentielles de sûreté.  

En conséquence, la CRIIRAD appelle le public à dire massivement son opposition à l’autorisation de mise en service de la cuve et à exiger sans délai des garanties, tant sur l’état réel des réacteurs en service que sur le système de contrôle des installations.  Bien que sans illusion sur les dispositifs de « participation du public », elle considère que toutes les possibilités doivent être utilisées pour faire obstacle à une décision potentiellement catastrophique.

Après la catastrophe de Fukushima, un haut responsable de l’IRSN avait déclaré qu’il fallait désormais « imaginer l’inimaginable ». Il n’avait certainement pas prévu que l’inimaginable serait d’installer le réacteur de l’EPR dans une cuve dont les calottes présentent des défauts de fabrication !  Et pourtant nous en sommes bel et bien là !

https://blogs.mediapart.fr/association-criirad/blog/060917/surete-nucleaire-lheure-nest-pas-aux-derogations

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