Alors que la Maison-Blanche cherche un moyen de répondre à la nucléarisation de Pyongyang, Washington menace de se retirer de l’accord nucléaire iranien de 2015. Une situation qui pourrait entamer les progrès réalisés depuis la guerre froide en matière de désarmement.
Évoquant jeudi le déploiement de «matériel stratégique» en Corée du Sud, la Maison-Blanche cherche une réponse à la nucléarisation du régime communiste qui a procédé à son sixième essai nucléaire le 3 septembre dernier. Cette montée en puissance s’accompagne d’une guerre des mots entre Kim Jong-un et Donald Trump, qui a menacé le 20 septembre à l’assemblée générale de l’ONU d’«anéantir la Corée du Nord». Le président américain s’en est aussi pris à l’Iran, qu’il accuse de ne pas respecter l’accord nucléaire de juillet 2015.
Concordance de calendrier et de lieu, une cinquantaine d’États ont commencé dans le même cadre onusien à ratifier un traité bannissant les armes nucléaires de la planète. Cette initiative a été critiquée par les puissances nucléaires qui craignent que ce texte vienne concurrencer le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) signé en 1968. Sur fond de crise nucléaire avec Pyongyang et de tensions avec Téhéran, Le Figaro analyse les risques de prolifération.
Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est-il menacé?
Pyongyang, qui faisait partie du TNP depuis 1985, en est sorti unilatéralement en 2003. «C’est une première, qui crée un précédent car aucun dispositif contraignant n’a permis de l’en empêcher», explique Barthélémy Courmont, maître de conférences à l’Institut catholique de Lille et directeur de recherche à l’IRIS. «D’autres puissances nucléaires ne font pas partie du TNP, mais l’ont toujours condamné», précise-t-il. Non-signataires, l’Inde, le Pakistan et Israël possèdent effectivement la bombe, quoique de façon non-officielle dans le cas de Tel-Aviv. New Delhi et Islamabad reprochent au traité de créer une discrimination entre les États dotés d’armes nucléaires (les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU) et le reste des autres États qui n’y ont pas le droit.
«Ce qui est inquiétant dans le cas nord-coréen, c’est moins le risque de guerre que la perte de crédibilité en matière de désarmement», analyse le géopolitologue pour qui «Donald Trump s’est lancé dans un bras de fer sans se rendre compte qu’il ne pourrait pas aller jusqu’au bout».
Faut-il renforcer ou remplacer le TNP?
La communauté internationale appelle principalement au renforcement du TNP. «Il faut améliorer la mise en œuvre des sanctions techniques contre la prolifération entre États», estime Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. Il s’agit notamment de faire respecter les embargos sectoriels sur certains composants à double usage susceptibles de servir à un programme nucléaire militaire. «Pyongyang est malheureusement passé maître dans leur contournement», explique-t-il.
Pour Corentin Brustlein, chercheur à l’IFRI, le TNP est aussi menacé par la concurrence du nouveau traité visant l’interdiction des armes nucléaires, dont ses auteurs lui reprochent d’avantager les puissances déjà nucléarisées. «Ce nouveau traité est irréaliste alors que le TNP a été efficace depuis la guerre froide. Avant sa signature [1968], on pensait qu’il y aurait 30 puissances nucléaires contre 9 aujourd’hui. Mais on ne peut pas désinventer la bombe. Même si on supprime nos arsenaux, on pourra toujours en reconstruire. Je ne voudrais pas vivre dans un monde où il n’y aurait qu’une seule puissance nucléaire, la Corée du Nord…», dénonce lui aussi Barthélemy Courmont.
La Corée du Nord pourrait-elle devenir un modèle pour des États autoritaires?
Avec la perte de crédibilité du TNP, le premier risque est celui d’une «prolifération horizontale» (augmentation du nombre de puissances nucléaires). «Si un nouvel État se nucléarise, le régime de non-prolifération risque de s’effondrer», avance Corentin Brustlein, néanmoins prudent: «Je ne vois pas qui serait susceptible à court terme de franchir le pas». Mais «le risque d’un effet domino vers le Japon et la Corée du Sud peut se poser si ceux-ci venaient à douter des garanties de sécurité américaines», estime Antoine Bondaz, qui note cependant que «Tokyo et Séoul ont rappelé que ce n’était pas leur objectif».
«Le seul fait que ce précédent nord-coréen existe est inquiétant», estime Barthélémy Courmont. Selon lui, particulièrement depuis la guerre d’Irak, les États-Unis ont envoyé un dangereux message: «Mieux vaut avoir la bombe si vous souhaitez garantir la survie de votre régime». «Washington a attaqué illégalement un pays où il n’y avait pas d’armes de destruction massive, mais n’a pas été capable d’empêcher la nucléarisation de Pyongyang. Regardez ce qui est advenu à l’Irak et à la Libye, les deux États qui avaient joué le jeu des négociations et du désarmement…», argumente-t-il dans une allusion à la chute de Saddam Hussein (2003) et de Mouammar Kadhafi (2011). Pour le géopolitologue, les risques de prolifération proviennent donc moins d’une faiblesse intrinsèque du TNP que de grandes puissances qui n’ont pas respecté les règles du droit international.
Les tensions avec l’Iran peuvent-elles aggraver la situation?
«Notre gestion du dossier nord-coréen a des implications pour l’Iran, et vice versa: la remise en cause de l’accord nucléaire par le président Trump intervient au pire moment», craint Antoine Bondaz: «Comment convaincre Pyongyang de négocier sa propre dénucléarisation si Washington revient sur ses engagements vis-à-vis de Téhéran?». Le chercheur rappelle que le traité conclu en 2015 vise à empêcher la nucléarisation de l’Iran et qu’il est pour l’instant respecté selon les inspecteurs de l’AIEA. «Il s’agit d’un accord sur le nucléaire, pas d’un accord généraliste sur la politique étrangère de l’Iran, notamment en Syrie», souligne-t-il.
Prenant exemple sur le cas de Pyongyang, dont la stratégie nucléaire pour garantir la survie de son régime semble jusqu’à maintenant fonctionner, l’Iran pourrait être tentée de se doter de la bombe si l’accord échoue. «Avec l’attitude hostile de Washington, Téhéran est en tête de la liste des pays susceptibles de franchir le seuil nucléaire», explique Barthélémy Courmont. Une crise iranienne pourrait entraîner une escalade avec Israël, puissance nucléaire non déclarée, et l’Arabie saoudite, qui n’en est pas dotée.
Doit-on craindre une course aux armements des grandes puissances nucléaires?
Au risque d’une «prolifération horizontale», s’ajoute celui d’une «prolifération verticale» entre grandes puissances. Pour protéger ses alliés, les Américains sont obligés de leur apporter des gages. Lors d’une rencontre bilatérale jeudi, les présidents américain et sud-coréen se sont entendus pour renforcer leur programme de défense conjoint, Washington promettant le déploiement de «matériels stratégiques». «Il ne s’agit pas forcément d’armes nucléaires», tempère Corentin Brunstein, même si, selon Le Canard enchaîné , Washington discute avec Séoul de la possibilité d’installer des armes nucléaires tactiques. Après la Guerre de Corée (1950-1953), ces armes avaient déjà été déployées, mais avaient été retirées en 1991. «Cette possibilité inquiéterait la Chine et la Russie», explique Antoine Bondaz.
Une telle peur existe aussi avec le déploiement des systèmes antimissiles américains THAAD en Corée du Sud. Comme lorsque Bill Clinton avait annoncé la création d’un bouclier antimissile en Europe pour se protéger officiellement de l’Iran, Pékin et Moscou estiment que Pyongyang n’est qu’un prétexte et que les missiles les visent directement. «C’est vrai, on ne va pas se mentir», confie Barthélémy Courmont, qui précise: «THAAD ne protège pas de la Corée du Nord car la fenêtre de tir est trop courte. Les boucliers antimissiles en Europe et en Corée du Sud sont des stratégies russe et chinoise de Washington».
Pour Antoine Bondaz, la réalité est plus complexe: «Il y a une modernisation des forces nucléaires de toutes les puissances nucléaires, sans exception. Ce n’est pas la Corée du Nord qui change la donne, même si elle renforce une tendance». «Les systèmes d’armes datent parfois des années 1970 et 1980. Il fallait les rendre plus efficaces, mais aussi plus sûrs. On n’est plus du tout dans le contexte de la guerre froide: il ne s’agit pas d’une augmentation quantitative, mais d’une amélioration qualitative des arsenaux».
http://www.lefigaro.fr/international/2017/09/28/01003-20170928ARTFIG00256-coree-du-nord-iran-doit-on-craindre-une-proliferation-nucleaire-dans-le-monde.php
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