«Vous n’avez aucune chance de me convaincre. Inutile de discuter. » La scène se passe dans les studios de BFMTV. Mon interlocuteur est Jean-Jacques Bridey, le président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Nous venons de débattre du désaccord entre le président Macron et le général de Villiers. Le débat ne s’est pas déroulé tout à fait comme le prévoyaient les organisateurs. En effet, au lieu de me joindre au concert des généraux révoltés contre l’agressivité du président, j’avais rappelé, qu’à mon sens, c’était le général qui avait commencé. Quand on est à la tête des armées de la République, on ne peut tout de même pas espérer dire « je ne vais pas me laisser… par Bercy » sans être rappelé à l’ordre par le chef des armées qui vient de nommer le ministre responsable du budget à Bercy.
En revanche, constatant qu’effectivement les conditions de vie des militaires sont désastreuses, j’avais tenté d’expliquer que le budget des armées était honorable mais que l’on dépensait mal en donnant beaucoup trop au développement de notre arsenal nucléaire. Cela n’avait pas vraiment plu à Jean-Jacques Bridey, persuadé qu’il faut dépenser nettement plus encore pour le nucléaire militaire.
« Les dépenses nucléaires sont inévitables. Il n’y a pas lieu de discuter. » Ce discours est tenu aussi bien à droite qu’à gauche. Et voilà que le prix Nobel de la paix est attribué à l’association qui vient de convaincre 122 États de la planète de voter pour l’interdiction totale des armes nucléaires. Peut-on traiter leur opinion par le mépris ? Peut-on continuer à dépenser toujours plus pour améliorer nos armes nucléaires ? Peut-on croire que les pays qui en sont pourvus ont tous les droits, parce qu’ils sont les plus forts ?
Entre le toujours plus et le zéro, la France ne peut-elle montrer la voie du bon sens ? Ne peut-elle conserver son rang de puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité, tout en réduisant ses dépenses nucléaires ? Lorsque le général de Gaulle a décidé de doter la France des trois composantes de la dissuasion nucléaire en dix ans, il a fallu, bien entendu, dépenser des sommes considérables. Mais aujourd’hui ? Nous avons fait des centaines d’essais nucléaires. Nous disposons de centaines d’armes. Nos missiles balistiques et aériens sont de plus en plus précis, etc. Comment peut-on affirmer qu’il faut dépenser autant – voire nettement plus – qu’à l’époque où nous devions tout découvrir, tout développer, tout construire ?
Bien sûr les grands industriels de l’armement nucléaire ont de multiples arguments techniques pour expliquer le besoin de renouveler sans cesse les lanceurs et les vecteurs. Et c’est sans compter les considérations sociales qui les accompagnent : il faut préserver les équipes, lutter contre le chômage… Alors, les décisions les plus coûteuses sont prises. Sans débat. Et, même lorsque les gaspillages sont gigantesques, la Cour des comptes n’y trouve pas trop à redire. Secret défense oblige.
Je respecte profondément Jean-Marie Collin et ses amis de la campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, qui ont remporté le prix Nobel de la paix. Ils rêvent d’un monde où les armes nucléaires seraient abolies. Comment ne pas rêver avec eux ? On peut quand même leur rappeler qu’interdiction ne veut pas toujours dire disparition. L’utilisation récente des armes chimiques en Syrie le prouve tristement. Il faut pouvoir garantir que personne ne pourra tricher. Comme il n’est pas possible de tout contrôler sur notre planète, il importe de continuer à dissuader (le mot n’est pas honteux) tout dictateur mégalomane de lancer la moindre attaque nucléaire. Il faut qu’il sache qu’une telle attaque entraînerait des représailles insupportables.
Supprimer du jour au lendemain toutes les armes nucléaires de la planète n’est pas réaliste. On doit agir progressivement. Pour commencer, il faudrait que les pays qui en sont dotés agissent en « bonne foi » – comme le prévoit le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires – pour tendre vers la suppression de celles-ci. Pour cela, le minimum est de ne pas multiplier les dépenses nucléaires. Et puis, il faudrait réfléchir pour trouver le moyen d’internationaliser une force nucléaire de dissuasion. Pas facile !
Si l’on en croit Jean-Jacques Bridey, le président Macron est convaincu par le « toujours plus ». Mais, j’ai entendu aussi ce même président dire qu’il ne céderait jamais au poids des lobbys. Le lobby nucléaire sera-t-il l’exception ? Peut-on espérer au contraire que notre jeune président saura montrer la voie : celle du désarmement nucléaire progressif. Peut-on, au moins, espérer voir la fin du « inutile de discuter » ?
Signé : Général Étienne Copel
https://www.la-croix.com/Journal/Prix-Nobel-contre-lobby-nucleaire-2017-10-23-1100886292
NDLR : une position modérée qui va (lentement) dans le bon sens ! Pour plus d’info sur ce général, voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_Copel
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