Au bord de la Baltique, à un jet de pierre du chantier de l’EPR, le centre d’enfouissement nucléaire d’Onkalo ne suscite pas de protestations.
Mis à part le portail de sécurité à l’entrée du terre-plein et les camions garés devant un grand bâtiment de tôle jaune et vert, rien ne trahit la présence du site d’Onkalo (« la caverne », en finnois). Pourtant, c’est bien ici, au bord de la Baltique, à un jet de pierre de la centrale nucléaire d’Olkiluoto, où le français Areva achève péniblement la construction de son réacteur EPR, que la Finlande a décidé d’enterrer, pour l’éternité, ses déchets les plus radioactifs. Ils devront y rester enfouis pour au moins cent mille ans, le temps qu’ils deviennent enfin inoffensifs.
On est à trois heures de route d’Helsinki, sur le territoire de la commune d’Eurajoki, dans un paysage digne d’une carte postale, avec des petits hameaux de maisons en bois au milieu de bouleaux et de pins à perte de vue. Près de la centrale d’Olkiluoto, un sentier aménagé, ouvert aux promeneurs, longe le bord de la mer, passant à quelques centaines de mètres seulement du chantier d’Onkalo.
Mais aucun signe ici d’activistes en colère ou de riverains décidés à en découdre. Alors qu’ailleurs dans le monde, des initiatives similaires ont été abandonnées ou retardées, plombées par les doutes sur la sécurité des installations et l’opposition des populations locales, le projet finlandais avance sans obstacle, respectant même, à quelques années près, le calendrier fixé dès 1983.
En novembre 2015, la compagnie Posiva, créée conjointement par les deux entreprises d’électricité finlandais TVO et Fortum en 1995 pour gérer les déchets produits par leurs centrales d’Olkiluoto et de Loviisa, dans le sud-est du pays, a ainsi obtenu le feu vert du gouvernement pour la construction du site définitif, dans la prolongation du laboratoire, édifié en 2004. Elle devrait déposer une demande d’exploitation dès 2020 et pourrait commencer l’enfouissement du combustible usé quelques années plus tard. Il faudra attendre la fin de l’exploitation des deux centrales pour enterrer les derniers déchets et sceller le site, autour de 2100.
Casque de sécurité sur la tête et veste jaune fluo, le géologue Tuomas Pere conduit prudemment sur la route poussiéreuse qui s’enfonce dans la roche, sur quatre kilomètres. À 420 mètres sous terre, la route s’arrête brutalement. L’atmosphère est humide et le bruit assourdissant. Des ouvriers sont en train de sécuriser la paroi d’une galerie latérale, tandis que d’autres, en contrebas, creusent dans le granit pour ouvrir les corridors qui mèneront vers la zone de dépôt.
Tuomas Pere montre des puits, creusés à intervalles réguliers, dans le sol d’un tunnel de démonstration : « Ce sont dans des cavités similaires que les barres de combustible seront enfouies, après avoir été refroidies en piscine, puis insérées dans des étuis en fonte, placés dans d’épais conteneurs en cuivre hermétiques. Les silos seront ensuite rebouchés à l’aide de bentonite et scellées par d’immenses bouchons de béton. »
Avec ses deux milliards d’années au compteur, la roche granitique de la péninsule d’Olkiluoto est idéale, assure-t-il, pour héberger le cimetière nucléaire : « C’est une zone géologique stable. Elle n’a subi que des altérations minimes pendant les dernières glaciations. En évitant toutes les fractures et les failles, cela devient une impossibilité mécanique pour les conteneurs en cuivre de se casser, y compris dans le cas d’un tremblement de terre. » Et même si l’inconcevable se produisait, « nos modélisations montrent que la radioactivité qui remonterait à la surface sera largement en dessous des doses autorisées ».
« Confiance dans les autorités »
À Eurajoki, l’assurance du géologue convainc. « Si les experts disent qu’il n’y a pas de problème de sécurité, nous leur faisons confiance », affirme le maire, Vesa Lakaniemi, très sérieux. Depuis la fin des années 1970, la centrale nucléaire d’Olkiluoto fait vivre la commune de 6 000 habitants. L’entreprise TVO est un des plus gros employeurs de la région. Cette année encore, les taxes foncières payées par l’entreprise couvriront près d’un tiers du budget communal de 60 millions d’euros.
Une centaine de sites ont été étudiés pour héberger le futur tombeau nucléaire. Eurajoki a toujours fait figure de favori, révèle Pasi Tuohimaa, le directeur de la communication de TVO, qui avoue que la décision d’y établir Onkalo était aussi « politique que scientifique ». Posiva savait alors qu’elle obtiendrait le soutien des élus : le 24 janvier 2000, le conseil municipal, qui disposait d’un droit de veto, a voté en faveur du projet, avec 20 voix pour et 7 contre.
Chercheur à l’université de Tampere, Matti Kojo, qui a suivi le processus et reçoit régulièrement des appels de collègues étrangers stupéfaits par le manque de passion suscité par le projet, souligne l’importance des compensations financières qui ont été négociées : « Posiva a notamment prêté de l’argent à la municipalité pour financer la construction d’une maison de retraite et participé à la rénovation d’un immense manoir, près d’Olkiluoto, où la compagnie loue désormais ses bureaux. »
« La pire option serait de ne rien faire et de laisser les combustibles usés à la surface », juge Juha Aromaa de Greenpeace
Mais ce qui a joué un rôle déterminant, selon lui, c’est « la confiance dans les autorités et le régulateur » : la Stuk, l’Agence finlandaise de la sûreté nucléaire. Dans les enquêtes de popularité menées en Finlande, l’organisme public arrive souvent en tête, « juste après la police et les pompiers », révèle Jussi Heinonen, qui y chapote la gestion des déchets nucléaires. Les déboires de l’EPR français et les critiques répétées d’Areva contre l’intransigeance de la Stuk dans la gestion des dossiers – qui aurait contribué à retarder le chantier, selon le Français – n’a fait que renforcer sa crédibilité.
Le maire d’Eurajoki ne se fait donc aucun souci : « Beaucoup ici travaillent à la centrale et savent qu’elle est extrêmement sûre. Nous sommes convaincus que ce sera la même chose pour le site d’enfouissement des déchets nucléaires. » Vesa Lakaniemi vante, au passage, les campagnes de communication de TVO : « On est très bien informé, du coup les gens ont confiance. »
Posiva organise régulièrement des réunions avec les riverains. À l’entrée du site, un centre d’information accueille presque chaque jour des classes de la région. « C’est le deuxième musée le plus visité de la région », exulte le directeur de la communication de TVO. L’entreprise d’électricité publie deux fois par an un magazine rendant compte des développements à Olkiluoto. « On a compris très tôt que l’ouverture et la transparence garantiraient le soutien du public », commente Janne Mokka, le patron de Posiva.
À Helsinki, Juha Aromaa, porte-parole de Greenpeace, reconnaît la difficulté de mobiliser. Résignée, l’ONG n’a même pas organisé de campagne contre Onkalo, préférant concentrer ses efforts sur l’opposition à la construction de nouveaux réacteurs. D’autant, reconnaît Juha Aromaa, que « la pire option serait de ne rien faire et de laisser les combustibles usés à la surface ».
« Syndrome de Stockholm »
L’ancien patron de l’Institut finlandais de géologie, Matti Sarnisto, désormais à la retraite, est l’un des rares scientifiques à s’être mobilisé contre Onkalo. À près de 75 ans, il se dit prêt à renoncer, même s’il continue de recevoir de temps en temps les journalistes. L’indifférence de ses congénères l’exaspère : « Posiva dit qu’elle va boucher les tunnels avec de l’argile qu’on utilise dans les litières de chat et tout le monde est content ! » Il s’interroge sur les analyses des experts embauchés par Posiva, qu’il soupçonne de « souffrir du syndrome de Stockholm ».
Selon lui, il est impossible de prévoir ce qui se passera pendant et après la prochaine glaciation, d’ici quelques dizaines de milliers d’années. Le sol, explique-t-il, sera alors recouvert d’une épaisse calotte glaciaire qui exercera une pression considérable sur la roche. « Des tremblements de terre majeurs pourraient endommager les conteneurs en cuivre. » La pression exercée par le permafrost, ajoute-t-il, pourrait avoir des effets similaires.
À la Stuk, Jussi Heinonen reconnaît certaines interrogations, notamment sur les risques de corrosion des capsules de cuivre. « Posiva devra y répondre avant de commencer l’exploitation. » Malgré tout, la Stuk a préféré soutenir la construction plutôt que suspendre le projet, « ce qui aurait entraîné une perte de compétence ». À tout moment, cependant, « tout peut être arrêté », affirme-t-il.
Mais que faire alors des déchets radioactifs ? Car le problème, souligne la députée Verte Satu Hassi, qui dénonce une supercherie, c’est qu’il n’y a aucune autre solution envisagée : « En mai 2001, quand nous avons voté la décision de principe pour la mise en place d’un laboratoire à Onkalo, il n’était alors pas question d’un site définitif. Mais cela a mis fin à toute tentative visant à trouver une alternative. »
Les opinions semblent cependant évoluer doucement. Une majorité des habitants de Pyhäjoki, dans l’ouest de la Finlande, où l’entreprise Fennovoima espère construire un nouveau réacteur, s’opposent à l’enfouissement des déchets nucléaires dans leur commune. Face au refus de Posiva de s’en charger, Fennovoima envisage de demander à la municipalité d’Eurajoki la possibilité d’y construire un deuxième site.
Par Anne-Françoise Hivert (Eurajoki (Finlande), envoyée spéciale)
http://www.lemonde.fr/energies/article/2017/12/27/en-finlande-le-premier-cimetiere-de-dechets-radioactifs-au-monde_5234897_1653054.html
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