ESSAIS NUCLÉAIRES EN POLYNÉSIE : LES PETITS-ENFANTS OUBLIÉS DE LA BOMBE

L’étude menée par le Dr Christian Sueur sur des enfants polynésiens dont les grands-parents ont travaillé sur les sites des explosions atomiques atmosphériques est alarmante.

C’est un rapport qui dérange. Les essais nucléaires atmosphériques qui ont eu lieu, entre 1966 et 1974, en Polynésie française, ont-ils eu des répercussions génétiques sur les descendants des vétérans du Centre d’Essais du Pacifique (CEP) ayant participé à ces essais, et plus largement sur les populations locales ? C’est ce que laisse entendre le rapport alarmant du Dr Christian Sueur, responsable jusqu’en décembre 2017 de l’unité de pédopsychiatrie du Centre Hospitalier de Polynésie française. Dans ce document que nous avons pu nous procurer, ce praticien, retourné en poste en Métropole depuis janvier, relève des anomalies morphologiques parfois couplées à des retards mentaux chez de nombreux enfants.

Les observations du docteur Sueur sont le fruit d’un travail de consultation et de recherche clinique, mené entre 2012 et 2017. Un travail réalisé à Tahiti, et dans cinq archipels, en particulier aux îles des Tuamotu-Gambier, l’une des zones les plus touchées par les retombées radioactives des 46 essais atmosphériques polynésiens menés durant huit ans à Mururoa et Fangataufa.

Déficiences génétiques

271 enfants ont consulté pour des troubles envahissants du développement (TED)*. Parmi ces jeunes patients, 69 d’entre eux ont également développé des anomalies morphologiques et/ou des retards mentaux. Dans son rapport, le praticien relève des pathologies liées à des déficiences génétiques, susceptibles d’avoir été provoquées par des retombées radioactives sur les « cellules germinales » des grands-parents, avant de se transmettre sur plusieurs générations. La grande majorité de ces enfants ont en effet des aïeux qui ont travaillé sur place à l’époque des essais nucléaires et dont les parents sont nés à cette période. Fait troublant, plus de 70 % de ces enfants ont des parents mais aussi des frères et sœurs qui ont développé des pathologies telles que leucémies, cancers du rein ou de la thyroïde. Autant de pathologies radio-induites, c’est-à-dire des maladies considérées comme pouvant être liées aux retombées radioactives.

Certaines données relevées dans ces îles des Tuamotu-Gambier posent question. À Tureia, atoll habité le plus proche de Mururoa et touché par 39 retombées radioactives, un enfant sur 4 est atteint d’un cancer de la thyroïde, de jeunes adultes sont décédés à la trentaine ou ont développé des pathologies héréditaires. Sur près de 300 habitants, le docteur Sueur a relevé une vingtaine de pathologies possiblement radio-induites, soit une morbidité d’une personne sur 5. À Reao, où vivent 369 habitants, près de 10 % de la population est touchée par une maladie radio-induite.

Les responsables politiques alertés en vain

Étonné par cette concentration de cas dans une population infanto-juvénile sur une zone restreinte, Le Dr Sueur a alerté de cette situation il y a quelques années auprès des autorités polynésiennes et a interpellé les différents ministres de la Santé qui se sont succédés au sein du gouvernement polynésien. Sans effet.

Si des scientifiques se sont déjà intéressés aux différents cancers en Polynésie française, rares sont ceux qui se sont penchés sur la question des anomalies génétiques ou morphologiques chez les enfants. Dès 2012, le pédopsychiatre a travaillé sur le lancement d’un programme de recherche avec l’aide de Bruno Barrillot, délégué du comité du suivi des conséquences des essais nucléaires. Ceci jusqu’au décès de ce dernier en mars 2017.

L’idée des deux experts était de lancer une recherche épidémiologique chez les anciens travailleurs du CEP et leurs descendants (première et deuxième génération) mais aussi au sein de la population de la Polynésie française. En effet, selon des documents secret-défense déclassifiés en 2013, le territoire aurait été survolé dans son ensemble par les nuages radioactifs.

*Les troubles envahissant du développement peuvent se traduire par différentes pathologies : autisme, syndrome de Rett, syndrome d’Asperger, dysharmonies d’évolution.

http://www.leparisien.fr/faits-divers/essais-nucleaires-en-polynesie-les-petits-enfants-oublies-de-la-bombe-20-01-2018-7512900.php

COMPLÉMENTS ET REMARQUES DE L’OBSERVATOIRE DES ARMEMENTS

« Si ce travail nous a apporté une certitude, c’est bien celle‐ci, toujours la même : la France n’assume pas l’héritage toxique de ces expérimentations nucléaires, et elle utilise toujours son armée, pour continuer de cacher au reste de la population de la République, ce qu’il en est réellement de ces complexes questions sanitaires, qui impliquent également la question du nucléaire civil, en métropole » constate le docteur Christian Sueur, psychiatre, dans l’étude qu’il vient de publier, au terme d’un travail rigoureux conduit entre 2012 et 2016.

Le rapport — Les conséquences génétiques des essais nucléaires français dans le Pacifique, chez les petits-enfants (2e génération) des vétérans du CEP, et des habitants des Tuamotu Gambiers — est une « conclusion d’étape » d’un projet de recherche élaboré à Tahiti au sein de l’unité de pédopsychiatrie du Centre hospitalier de la Polynésie française qu’il dirigeait. Un projet conçu avec Bruno Barrillot et l’association Moruroa e tatou.

En effet, 52 ans après le premier essai nucléaire et 22 ans après le dernier, les populations algériennes et polynésienne, comme les personnels, subissent toujours les conséquences sur leur santé et leur environnement et restent sans réponse crédible sur les risques auxquels ils ont été exposés. Eux et les générations suivantes.

Dans un dossier rédigé par Bruno Barrillot et publié en février 2016, nous alertions sur « les atteintes aux enfants  ». Une alerte résultant de constat empirique et des témoignages recueillis par Bruno au fil de ses travaux. L’étude conduite par Christian Sueur vient renforcer cette alerte en apportant des éléments issus d’observations cliniques, d’examens complémentaires et d’un important travail de recherche consigné dans ce rapport d’étape que nous vous invitons chaudement à lire.

Nous faisons nôtres les recommandations de Christian Sueur :

« Il y a donc urgence à ce qu’une conscience médicale se réveille, se mette en action pour explorer ce champ de la pathogénie génétique, et apporter des réponses thérapeutiques, psycho-éducatives, et institutionnelles spécialisées ; la question de la responsabilité des autorités sanitaires françaises et polynésiennes est clairement engagée dans ce domaine, face à son « inertie » coupable, il s’agit en urgence, comme cela est réclamé depuis des années par les associations de victimes, les ONG, et les militants du parti Tavini Huiaatira :

  • de mettre en place un «  Observatoire des pathologies radio-induites », non seulement chez les vétérans du CEP, mais aussi dans l’ensemble de la population polynésienne (enfants et adultes) possiblement contaminée (essentiellement lors des essais atmosphériques 1966-1974) ;
  • de réaliser des études épidémiologiques sérieuses et transparentes, qui s’appuient sur les recherches les plus récentes sur les effets des faibles doses de radioactivité (Projet DoReMi), et les connaissances récentes concernant les biomarqueurs des radiations ionisantes ;
  • de constituer, une « Registre des malformations » et un comptage des accidents périnataux (fausses couches, morts in utero, mort à la naissance, morts-subites dans les premiers mois…), registre dont l’importance s’est révélée cruciale après l’accident de Tchernobyl, en Biélorussie, et ailleurs en Europe.

Et, que l’on ne s’y méprenne pas, la question est éminemment politique, et confronte la population de la République, à la toxicité de l’activisme nucléaire civil et militaire des gouvernements français successifs depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, d’une part, et à son fonctionnement « néocolonial » indéniable, d’autre part, dans ses anciennes « colonies », et en particulier en Polynésie française. »

http://www.obsarm.org/spip.php?article300