Le secrétaire exécutif de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais atomiques, Lassina Zerbo, prône le dialogue après l’escalade de la Corée du Nord en 2017.
Ouvert à la signature en 1996, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) prohibe tous les types d’essais quelle que soit leur puissance. Il a été signé par 183 États et ratifié par 159 d’entre eux dont la France, mais il n’est toujours pas entré en vigueur car 8 États possédant des capacités nucléaires significatives ne l’ont pas ratifié : les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël, l’Iran, la Corée du Nord et l’Égypte. En revanche, le système de surveillance internationale prévu dans le traité pour détecter les explosions nucléaires, grâce à des stations de mesure certifiées réparties dans le monde, progresse. À ce jour, 92 % des 337 stations prévues sont certifiées.
Secrétaire exécutif de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE), Lassina Zerbo a répondu aux questions du Monde.
L’année 2017, avec en septembre le sixième essai nucléaire nord-coréen, marque-t-elle l’échec de tous les instruments du désarmement nucléaire ?
Je préfère voir le verre à moitié plein, même si le contexte géopolitique reste morose. Si l’on prend l’OTICE comme un cadre permettant d’amener des États à discuter, on a progressé, et nous avons renforcé le dispositif de vérification des essais. Nous avons pu obtenir en une seule année que soient certifiées cinq stations de mesure, en Chine, pays qui a longtemps dit qu’il ne certifierait qu’une fois obtenue la mise en œuvre du Traité. Et nous avons une nouvelle station aux Galapagos. Ces deux points symboliques vont dans le sens de la crédibilité du système de surveillance mondial.
L’essai nord-coréen doit nous ramener à la réalité. Le leadeur Kim Jong-un dit qu’il ne veut pas se retrouver dans la situation de Saddam Hussein ou de Mouammar Kadhafi [qui ont été déposés après avoir renoncé à leurs armes nucléaires]. Il veut montrer ses muscles et bâtir une dissuasion. Je ne crois pas qu’il veuille employer l’arme nucléaire. Il dit : « Je fais des essais pour éviter qu’on ne m’attaque. » A-t-il raison ? Certainement pas, car la marche vers le désarmement est irréversible quoi qu’on en pense, la communauté internationale pousse vers ça.
Que faire alors avec la Corée du Nord ?
On n’est pas en mesure de lui tordre le bras, et il faut respecter ce pays, en raison de l’expertise de ses scientifiques, de sa résilience depuis trente ans, de sa capacité à faire des essais malgré les sanctions. Si les sanctions fonctionnaient il n’y aurait pas eu six essais.
Rien ne peut se faire sans compromis. La négociation est une nécessité. Or, la communauté internationale n’établit pas le cadre de ce dialogue. Les déclarations américaines récentes vont pourtant dans ce sens, c’est un premier pas. Mais il faut arrêter l’hypocrisie du système multilatéral : les États dotés de l’arme nucléaire sont perçus par les États non dotés comme n’ayant pas réalisé de pas significatif vers le contrôle des armements ou le désarmement.
Le Traité d’interdiction totale des armes nucléaires [le Ban Treaty, adopté par 122 pays à l’ONU en juillet 2017] est le produit de la frustration des pays non dotés. Il a eu le prix Nobel [remis en 2017 à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, l’ICAN]. Mais qu’est-ce qui suit ? Rien ! On ne peut pas penser qu’une utopie peut devenir une réalité immédiate.
Le pas à franchir le plus simple, réalisable, dans le contrôle des armements au service de la non-prolifération, c’est la mise en œuvre du TICE, et celle du futur traité sur l’interdiction de la production de matières fissiles. Je ne fais pas la promotion béate du TICE, mais j’utilise la situation géopolitique pour dire qu’il est le dénominateur commun qui peut amener les gens autour de la table.
Comment progresser, à l’heure où les États-Unis affichent une volonté de développer leurs armes et ont des déclarations tous azimuts peu lisibles ?
Il faut montrer que les institutions multilatérales sont plus fortes que les individus. Compte tenu des déclarations publiques récentes, la révision de la « posture nucléaire » américaine [publié par le Pentagone le 2 février] aurait pu être pire. Ils acceptent le moratoire sur les essais nucléaires, mais ils laissent la porte ouverte en cas de besoin.
Mais si les États-Unis vont à la prochaine conférence d’examen du Traité de non-prolifération (TNP) sans mettre le TICE en avant, ce sera le chaos car c’est le Ban Treaty qui va alors occuper tout le champ, et la division entre États dotés et non dotés conduira à un blocage total.
La situation laisse le champ libre aux pays proliférants. Les non dotés peuvent dire « ou bien vous mettez fin à tout, ou nous développons nos armes ». Mais elle peut aussi créer un sursaut d’orgueil parmi les États dotés qui pensent que le temps n’est pas venu de relancer le désarmement.
Quel rôle peut jouer la France ?
La France est le pays qui est allé le plus loin en matière de désarmement, en démantelant sa production de matières et ses sites d’essais, en ratifiant le TICE, en promouvant le Traité d’interdiction de la production de matière fissile… C’est un acquis qu’il faut vendre.
Tout cela est assombri par le fait que sa position ferme contre le Ban Treaty n’est pas comprise. Il faut créer un dialogue. Admettre que depuis quinze ans, le seul cadre qui a permis d’avancer est celui qui a conduit à l’accord iranien. Reconnaître qu’il existe des risques de cassure en vue des discussions du TNP en 2020. La France doit prendre un rôle moteur dans le désarmement en promouvant le TICE au conseil de sécurité, à l’ONU. Indépendamment de ce que fera la Corée du Nord, on n’a que cet instrument en main pour ramener la confiance.
L’Europe peut être un moteur pour relancer ce traité, en étant soutenue par la Russie et la Chine. Le président Macron suggère une « initiative pour la paix et le désarmement », dans l’esprit de la COP 21, c’est positif. Si cette conférence de Paris reconnaît le TICE, on placera de façon constructive la Chine et les États-Unis devant leurs responsabilités, et cela ouvrira une porte pour le dossier de la péninsule coréenne. Personne ne veut que la Corée du Nord dise : « Balayez d’abord devant votre porte. »
Pourrait-on, comme certains l’ont suggéré, convaincre l’Iran de revenir dans ce traité, alors qu’il l’avait signé et ouvert une station de mesures avant de tout quitter ?
C’est une bonne idée. Téhéran gagnerait à montrer des gages. Et si elle transmet ses données dans ce cadre, ce sera un pas pour restaurer les conditions de la confiance. Il ne faut pas nécessairement lier cette démarche à l’accord signé sur le nucléaire en 2015.
Propos recueillis par Nathalie Guibert
http://www.lemonde.fr/international/article/2018/02/15/la-france-doit-prendre-un-role-moteur-dans-le-desarmement-nucleaire_5257532_3210.html
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