Notre pays risque de faire face à une pénurie d’experts locaux pour démanteler ses centrales nucléaires, craint la Fondation suisse de l’énergie. Des politiciens exigent que Berne assure la formation d’un nombre suffisant de spécialistes.
C’est une première, écrit ce lundi le «TagesAnzeiger», faisant allusion au groupe BKW. L’entreprise sera, en effet, la première de Suisse à débrancher définitivement une centrale nucléaire, plus précisément celle de Mühleberg. Une fois cette étape réalisée avec succès, la structure sera démantelée. D’ici à 2024, BKW compte placer les assemblages combustibles dans l’entrepôt de Würenlingen (AG). Dès 2025, le reste des pièces radioactives devraient être démontées, le but étant de pouvoir utiliser les lieux à d’autres fins dès 2034.
Les travaux dureront non seulement longtemps, mais ils coûteront aussi une belle somme d’argent. Selon le journal, les frais sont évalués à environ 3 milliards de francs. Les experts parlent d’un des plus grands défis de la Stratégie énergétique 2050, acceptée l’an dernier par la population suisse. Depuis 2014, la firme BKW prépare une équipe, composée d’une trentaine de personnes, pour le démantèlement de Mühleberg. L’entreprise a d’ores et déjà recruté dix spécialistes externes, dont six en Suisse et quatre en Allemagne. Il s’agit principalement d’ingénieurs et de physiciens disposant des compétences nécessaires.
«Ce n’est pas idéal»
Selon le «TagesAnzeiger», le recours à de la main d’œuvre étrangère est controversée. Nils Epprecht, de la Fondation suisse de l’énergie (SES), met en garde contre de possibles pénuries si plusieurs centrales nucléaires devaient être démantelées au même moment, en Suisse et à l’étranger. Des projets en ce sens sont en effet en cours en France et en Allemagne. La SES pointe aussi un autre problème: en Suisse, plusieurs experts travaillant depuis de nombreuses années au sein de la même centrale nucléaire, s’approchent gentiment de l’âge de la retraite. «Ce n’est pas idéal. Les meilleures personnes contribuant au démantèlement d’une centrale sont celles qui connaissent la centrale en question.»
Ses craintes sont également partagées par plusieurs membres du Parlement. En 2016 déjà, l’ancien conseiller national Jonas Fricker (Verts) avait déposé une motion demandant au Conseil fédéral de veiller, dans la mesure de ses compétences, «à ce que la Suisse assure la formation et le perfectionnement d’un nombre suffisant de spécialistes du démantèlement des centrales nucléaires pour la période de post-exploitation et de démantèlement». Sa collègue de parti Irène Kälin, ayant repris sa motion, ajoute: «En collaboration avec l’inspection fédérale de la sécurité nucléaire, Berne doit évaluer assez tôt l’ampleur du besoin en personnel qualifié.»
«Nous misons sur le savoir-faire de nos collaborateurs»
Le Conseil fédéral, lui, estime cependant qu’il n’est pas nécessaire d’agir. «Aujourd’hui, la législation et la réglementation dans le domaine nucléaire tiennent déjà compte du maintien des connaissances spécialisées en matière d’installations nucléaires. L’ordonnance sur l’énergie nucléaire stipule que l’entité responsable de la désaffectation doit apporter la preuve à l’autorité de surveillance de l’engagement de personnel en nombre suffisant et disposant des qualifications professionnelles requises pour accomplir et surveiller les travaux de désaffectation», avait-il ainsi fait savoir dans sa réponse à la motion de Jonas Fricker, en novembre 2016.
Du côté des exploitants, on assure être suffisamment préparés pour le démantèlement. «Nous misons sur le savoir-faire de nos collaborateurs», explique une porte-parole de BKW. Même son de cloche auprès d’Axpo qui précise avoir lancé un projet en 2016 visant à recourir le plus possible à ses propres spécialistes. Malgré cela, Axpo a d’ores et déjà recruté des experts isolés en Allemagne parce qu’ils disposent de l’expérience nécessaire en termes de démantèlement.
La motion de Fricker sera débattue durant la prochaine session de printemps. Si la majorité des parlementaires s’accordent pour dire que recruter suffisamment de main d’œuvre qualifiée indigène sera un défi, les avis divergent quant à l’implication que devrait avoir le Conseil fédéral dans tout cela.
http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/La-Suisse-manque-t-elle-de-specialistes-indigenes–15855495
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