Le projet d’ensevelissement de déchets nucléaires radioactifs durant plus de mille siècles suscite moult interrogations.
Enfouir, une pollution pour l’éternité
Les déchets les plus radioactifs produits depuis une poignée de décennies par nos centrales nucléaires resteront dangereux pendant 100 000 ans au moins. Mille siècles. Près de 4 000 générations d’humains. Imaginer ce que représente une telle durée dépasse l’entendement, alors que les pyramides, qui nous paraissent si lointaines, ont à peine 4 500 ans. Or que fait-on de ces encombrants reliefs de notre voracité énergétique ? On bricole.
En France, ils sont aujourd’hui entreposés en surface à La Hague (Manche) ou à Marcoule (Gard), donc à la merci des catastrophes naturelles ou des soubresauts de l’histoire. Une «solution» intenable à l’échelle millénaire. D’où l’idée de les enfouir loin, très loin sous terre, pour l’éternité. Si possible. Afin de saisir la (dé)mesure d’une telle entreprise, il faut voir Into Eternity, un documentaire de 2011 sur le projet de stockage géologique des déchets nucléaires finlandais d’Onkalo («la cachette en finnois»), à Olkiluoto.
Ultra dangereux.
Sis à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, le projet français de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) est tout aussi titanesque. Lancé dans les années 90, il vise à emprisonner par 500 mètres de fond, dans la roche d’argile fossile, les déchets vitrifiés à haute activité à vie longue (HAVL) et compactés à moyenne activité à vie longue (MAVL) issus des cœurs usés des réacteurs français. Les chiffres donnent le tournis : 80 000 m3 de déchets ultra dangereux, à même d’envoyer illico ad patres quiconque s’en approcherait, 250 km de galeries souterraines, plus de 30 milliards d’euros d’investissement…
Après plus de vingt ans de recherches dans son laboratoire de Bure, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) compte déposer sa demande d’autorisation de création de Cigéo en 2019. Elle espère lancer dès 2025 une «phase industrielle pilote» avec des «colis» factices. Et commencer à stocker réellement les containers de matière radioactive dans le sarcophage nucléaire à partir de 2035, ce qui nécessitera un feu vert du Parlement.
La loi prévoit ensuite une phase de «réversibilité» de cent ans minimum, qui doit permettre aux générations futures de récupérer les déchets stockés si un autre «mode de gestion» était envisagé ou si la sûreté du site était mise en cause. À ce sujet, les opposants à Cigéo pointent des risques multiples. Quid, par exemple, des boues radioactives hautement inflammables conditionnées dans du bitume, qui représentent environ 18 % des colis que l’Andra prévoit de stocker ? La question est sérieuse, à tel point que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé en janvier à l’Andra de revoir sa copie sur ces déchets «bitumés».
Infiltrations.
L’Agence prévoit de sceller le coffre-fort géologique pour toujours aux alentours des années 2140, dans l’espoir que le feu radioactif puisse s’y consumer en paix, sans intervention humaine et loin de toute forme de vie. Mais que se passera-t-il dans les profondeurs dans trois siècles, dans cent siècles ? Nul ne peut le dire.
Les scientifiques estiment simplement que les radionucléides ne remonteront pas à la surface avant 400 000 ans, sous l’effet de l’érosion et des infiltrations. «La radioactivité sera alors 1 000 fois inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui», indiquait à Libération le directeur de la R & D de l’Andra, Frédéric Plas, lors d’un reportage au fond des galeries expérimentales de Bure en 2017. Et d’ici là, en cas de guerre ? De catastrophe ? Mystère.
Plus incommensurable encore : comment avertir nos lointains descendants, communiquer avec l’avenir sur la dangerosité de ce lieu damné ? Comment réagira l’humain de l’an 6780 ? Et celui de l’an 43 867, si tant est qu’il existe ? Faudra-t-il plutôt tenter de «se souvenir pour toujours d’oublier» Cigéo et sa mortifère poussière sous le tapis ? Vertigineux.
Coralie Schaub <http://www.liberation.fr/auteur/12330-coralie-schaub>
http://www.liberation.fr/france/2018/03/01/enfouir-une-pollution-pour-l-eternite_1633214
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