QUAND LE NOBEL DE LA PAIX PARLE DU LUXEMBOURG

Le monde est lancé dans une nouvelle ruée vers l’or nucléaire, affirme l’ICAN, prix Nobel de la paix 2017, dans son rapport sur les soutiens financiers apportés à l’industrie des armes nucléaires. Deux sociétés luxembourgeoises ont reçu un « peut mieux faire ».

«La guerre! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires.» 

La phrase que Clemenceau a prononcée en 1887 – bien avant la Première Guerre mondiale – a été détournée par un éditorialiste du New York Times qui trouve que la «paix est une chose trop sérieuse pour la confier à des pacifistes». Si Bret Stephens souligne l’incroyable naïveté de l’«International Campaign to Abolish Nuclear Weapons» (ICAN), née en Australie il y a dix ans, la lauréate du prix Nobel de la Paix a «imposé» à l’ONU un traité d’interdiction des armes nucléaires: 122 pays ont dit oui à ce texte en juillet, sans aucune des grandes puissances nucléaires – ni le Luxembourg.

Depuis Genève, l’ICAN poursuit sa longue démarche de vulgarisation de cette thématique compliquée. 

Récemment, l’ONG dirigée par Béatrice Fihn, féministe suédoise de 37 ans, a publié une nouvelle version de son étude de ceux qui soutiennent financièrement les fabricants de bombes ou de matériels pour bombes nucléaires.

«Si vous vous demandez qui bénéficie de la menace de guerre nucléaire formulée par (le président américain) Donald Trump, ce rapport a la réponse», a affirmé Beatrice Fihn. 

Dans son rapport, ICAN et un autre groupe antinucléaire, PAX, dénoncent une «croissance massive» des investissements dans les vingt premières sociétés impliquées dans la production de composants clés pour les arsenaux nucléaires de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Inde et des Etats-Unis. 

Des investissements en hausse de 81 milliards de dollars 

Le rapport, intitulé «Ne misez pas sur la bombe» <https://www.dontbankonthebomb.com/2018-report/> , affirme qu’au total 525 milliards de dollars (422 milliards d’euros) ont été mis à la disposition de ces sociétés – une hausse de 81 milliards de dollars par rapport à 2016. 

«Une nouvelle course à l’armement nucléaire a rapproché l’horloge de la fin du monde d’Armageddon, mais elle a aussi déclenché une nouvelle ruée vers l’or nucléaire pour ceux (qui sont) désireux de s’enrichir sur la destruction massive», a affirmé Mme Fihn dans une déclaration. 

Parmi les 20 plus grosses sociétés ayant bénéficié de ce boom figurent, selon le rapport, Lockheed Martin, Boeing, Airbus et BAE Systems

Le tableau ci-dessous reprend les données de l’ICAN sur les investissements en millions de dollars des sociétés financières au profit des industriels de l’armement nucléaire. Les cellules jaunes montrent quelle société a bénéficié du plus gros soutien de chaque institution financière. L’article continue au-dessous.  
https://www.wort.lu/fr/economie/quand-le-nobel-de-la-paix-parle-du-luxembourg-5aa78fb1c1097cee25b84b53

Les auteurs expliquent que les fournisseurs des cinq autres puissances nucléaires – Russie, Chine, Pakistan, Israël et Corée du Nord – ne sont pas mentionnés dans le rapport car ils dépendent largement d’agences gouvernementales. 

D’autres sociétés sont citées dans le rapport: Honeywell International, Northrop Grumman, General Dynamics, Aecom, BWX Technologies, Huntington Ingalls Industries et Jacobs Engineering. 

Les auteurs ont également dressé la liste des sociétés d’investissement qui ont injecté la plupart des fonds dans les fabricants d’armes nucléaires en 2017, dont trois – BlackRock, Vanguard et Capital Group – ont à elles seules investi environ 110 milliards de dollars

Mme Fihn a enjoint aux investisseurs de se tenir à l’écart des producteurs d’armes nucléaires. «Produire, posséder et moderniser des armes nucléaires n’est pas quelque chose dont on devrait être fier», a estimé Mme Fihn, promettant de «faire honte» à quiconque aura essayé de profiter de la production de telles armes.

22 bons élèves et 41 «peut mieux faire» 

Le rapport a en revanche félicité 22 institutions financières qui ont limité leurs investissements ou refusé de placer des fonds dans ce secteur, contre 18 un an plus tôt. Parmi elles figure le puissant fonds de pension norvégien, qui pèse près de 1.000 milliards de dollars. 

«Ces sociétés devraient être remerciées pour se tenir au côté de l’humanité», a estimé Sue Snyder du groupe PAX. 

  • Le fonds de pension norvégien (1.000 milliards de dollars) avait déjà annoncé retirer ses capitaux aux entreprises impliquées dans les systèmes d’armes nucléaires. 
  • Le cinquième fonds de pension au monde, le fonds de pension néerlandais ABP, a annoncé qu’en raison des «changements dans la société, également au niveau international, les armes nucléaires ne rentrent plus dans notre politique d’investissement durable et responsable». Les 499 milliards de dollars du fonds ne seront plus dirigés vers ces sociétés. 

Et le rapport met aussi 41 autres institutions financières en évidence, provenant de quinze États, dont le Fonds de compensation luxembourgeois et Sparinvest, qui ont engagé des démarches pour exclure ces sociétés de leurs stratégies d’investissement mais dont les politiques ne sont pas complètes et n’empêchent pas tous les types d’implications financières avec ces entreprises

Onze de ces institutions excluent les sociétés qui ne sont pas membres de l’OTAN ou du Traité de non-prolifération nucléaire. «Avec l’adoption du traité d’interdiction des armes nucléaires, ces institutions financières devraient étendre leurs politiques à l’ensemble des entreprises produisant des systèmes d’armes nucléaires», note le rapport. 

Le nombre de ceux qui veulent devenir de bons élèves progressent depuis cinq ans. De 27, ils sont passés à 36 en 2013 et 41 cette année, avec les arrivées de Azzad Asset Management (États-Unis), KBC (Belgique), Nationale Nederlanden (Pays-Bas), Nei Investments (Canada), Länsförsäkringar (Suède) et Nykredit (Danemark). 
Signe que l’ICAN, même naïve, parle à une nouvelle génération.

NDLR : Pour voir le tableau qui reprend les données de l’ICAN sur les investissements en millions de dollars des sociétés financières au profit des industriels de l’armement nucléaire, cliquer sur :

https://www.wort.lu/fr/economie/quand-le-nobel-de-la-paix-parle-du-luxembourg-5aa78fb1c1097cee25b84b53