Le débat public national organisé sur la programmation pluriannuelle de l’énergie élude la question centrale de l’atome.
C’est un exercice paradoxal qui est proposé aux Français, avec la tenue, du 19 mars au 30 juin, d’un débat public national <https://www.debatpublic.fr/revision-programmation-pluriannuelle-lenergie> sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Paradoxal, voire virtuel, car les éléments soumis à la discussion par le ministère de la transition écologique et solidaire escamotent la question centrale du nucléaire.
Certes, l’équation énergétique de la France ne se réduit pas à l’atome. Pour autant, comme celui-ci fournit aujourd’hui les trois quarts de la consommation nationale d’électricité, on voit mal comment trouver la formule d’un nouveau mix énergétique si la valeur donnée à cette variable reste inconnue. Le ministère fait valoir qu’il ne souhaite pas préempter les conclusions du débat en annonçant à l’avance le contenu d’une planification encore en gestation. Mais la difficulté reste entière.
Instaurée par la loi de transition énergétique <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031044385&categorieLien=id> d’août 2015, la PPE vise à définir, pour deux périodes de cinq ans (2019-2023 et 2024-2028), une feuille de route plaçant le pays sur la bonne trajectoire pour atteindre ses objectifs à long terme. À savoir, la neutralité carbone au milieu du siècle, la diminution de moitié de la consommation d’énergie à la même échéance, la réduction de 30 % du recours aux fossiles d’ici à 2030, le développement des renouvelables à hauteur de 32 % des besoins énergétiques à la même date, mais aussi la baisse de la part de l’électricité d’origine nucléaire à 50 %, à une date… indéterminée.
Depuis l’abandon, en novembre 2017, de « l’horizon 2025 » prévu par la loi – qu’il faudra donc réécrire sur ce point – pour parvenir à cette baisse, l’exécutif est en effet resté des plus évasifs sur ses intentions en matière de nucléaire.
Pas de scénario d’évolution de la consommation d’énergie
On pouvait donc espérer que le dossier remis par le maître d’ouvrage <https://ppe.debatpublic.fr/dossier-du-maitre-douvrage-dmo> , c’est-à-dire par le ministère de la transition écologique, pour alimenter le débat public, dissiperait ce flou. Il n’en est rien. Cette contribution de 168 pages brosse un état des lieux détaillé du système énergétique actuel, mais réussit le tour de force de ne pas présenter de scénario d’évolution de la consommation d’énergie – base de toute programmation –, de ne pas fixer d’objectifs pour les renouvelables au-delà de ceux déjà retenus par l’actuelle PPE pour 2023 et de demeurer extrêmement vague sur le nucléaire, traité au chapitre de la « sécurité d’approvisionnement ». Le mot « nucléaire » n’apparaît même pas dans l’éditorial du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, qui introduit ce document.
Tout au plus est-il écrit que « l’objectif du gouvernement reste d’assurer dès que possible l’atteinte de l’objectif de réduction à 50 % de la part d’électricité d’origine nucléaire », et que « le rythme de fermeture des réacteurs nucléaires doit être cohérent avec l’évolution de la demande [d’électricité] et de la dynamique de progression des énergies renouvelables et du parc thermique ». Une indication est toutefois donnée : sur les cinq scénarios rendus publics à l’automne 2017 par RTE <http://www.rte-france.com/sites/default/files/bp2017_synthese_17.pdf> (filiale d’EDF gestionnaire du réseau de transport d’électricité), le ministère n’en a retenu que deux – ceux qui maintiennent le nucléaire aux niveaux les plus élevés en 2035.
Selon le cabinet de M. Hulot, la PPE, qui doit être adoptée fin 2018, devrait « préciser à quelle date on peut arriver à 50 % de nucléaire ». On peut imaginer que celle-ci se situera autour de 2035. Un tel calendrier s’accorderait avec les propres plans d’EDF, qui prévoit de pousser une partie de ses réacteurs jusqu’à cinquante ans de fonctionnement et les autres jusqu’à soixante ans. L’électricien n’envisage de stopper de premières unités qu’à partir de 2029, en dehors des deux tranches de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), dont la déconnexion du réseau est programmée pour fin 2018 ou début 2019.
« Nombreux angles morts »
En revanche, il n’est pas certain que la PPE fixera le nombre et l’échéancier des fermetures de réacteurs, sur les 58 que compte aujourd’hui le parc hexagonal. En tout état de cause, leur liste nominative ne devrait pas y figurer, contrairement au vœu initial de M. Hulot. À plusieurs reprises, celui-ci avait fait savoir qu’il souhaitait que la future programmation pluriannuelle soit claire sur ce point. « Il faudra dans la PPE avoir un calendrier précis, avec le nom des réacteurs qui vont fermer », déclarait-il au Monde en janvier. Il apparaît aujourd’hui que la vision du président de la République et de son premier ministre, désireux de donner du temps au temps, prévaut. « Ça n’aurait pas de sens de donner dès maintenant une liste de centrales à fermer », indiquait, il y a quelques semaines, l’entourage d’Emmanuel Macron.
Interrogé, mardi 13 mars, sur France Inter, le ministre de la transition écologique et solidaire s’est montré très élusif. « On est en train de faire tourner tous les modèles, a-t-il indiqué. Tout dépend [pour l’objectif de 50 % de nucléaire] de l’utilisation qu’on va faire du biogaz, de l’hydrogène, du stockage [des énergies intermittentes] et de notre capacité à changer d’échelle dans le développement des énergies renouvelables. (…) Le plus tôt sera le mieux. » Et d’ajouter : « 50 %, c’est un moment de vérité. Si on y arrive, on pourra peut-être aller plus loin. Si on n’y arrive pas, ça veut dire que, peut-être, il faudra garder un peu plus longtemps la part du nucléaire [à un niveau plus élevé]. »
Les partisans du nucléaire jugeront qu’il est sage de laisser toutes les options ouvertes. Mais cette indécision courrouce les ONG, dont plusieurs (France Nature Environnement, Réseau Action Climat, WWF, Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace, Sortir du nucléaire…) déclarent ne pas vouloir d’un « débat tronqué ». Du fait de ses « nombreux angles morts », le dossier du ministère ne constitue pas, selon elles, un « socle minimum » pour « une PPE qui mette réellement la France sur la voie de la transition énergétique ». Toutes demandent des engagements fermes sur une diminution rapide de la part de l’atome.
« Comprendre, agir, choisir, gouverner »
La Commission nationale du débat public, qui a pris l’initiative d’une consultation que l’exécutif n’avait pas demandée, est consciente des limites du dossier versé par le ministère. Elle a décidé de le compléter par le récent avis du Conseil économique, social et environnemental <http://www.lecese.fr/travaux-publies/comment-accelerer-la-transition-energetique-avis-sur-la-mise-en-oeuvre-de-la-loi-relative-la-transition-energeti> , qui invite à accélérer la mise en œuvre de la loi de transition énergétique. Les discussions, veut croire Jacques Archimbaud, président de la commission particulière mise en place sur ce dossier, doivent aider non seulement à « comprendre » les enjeux énergétiques, mais aussi à « agir », à « choisir » et à « gouverner ».
À cet effet, plusieurs dispositifs sont prévus : une « plate-forme contributive » en ligne, des réunions décentralisées dans des territoires urbains ou ruraux, des ateliers d’information, des controverses d’experts ou la constitution d’un panel de 400 personnes tirées au sort qui se prononceront sur les questions-clés issues de ces échanges.
Reste une interrogation : ce débat « en apesanteur » pèsera-t-il sur l’élaboration de la programmation énergétique ? Le gouvernement annonce une « première version » de la PPE cet été, ce qui signifie qu’elle sera, pour l’essentiel, rédigée en parallèle de la consultation publique. Le ministère de la transition écologique assure néanmoins qu’il sera « attentif » à la voix des citoyens.
Par Pierre Le Hir et Nabil Wakim
http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/03/15/le-grand-flou-du-gouvernement-sur-la-baisse-du-nucleaire_5271342_3234.html
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