Le gouvernement a annoncé le démantèlement du surgénérateur de Monju qui n’a jamais fonctionné.
En validant, mercredi 28 mars, le projet de démantèlement du surgénérateur de Monju, l’Autorité de régulation du nucléaire (ARN) contrarie l’ambition japonaise de maîtriser le cycle du combustible et ajoute une nouvelle facture au nucléaire dans l’archipel.
Le projet prévoit un démontage sur trente ans de l’installation bâtie à Tsuruga dans le département de Fukui (centre). Il devrait coûter 375 milliards de yens (2,86 milliards d’euros). L’opération commencera dès juillet par le retrait du combustible. Puis le sodium – liquide de refroidissement délicat à manipuler car inflammable au contact de l’air – sera retiré. Le démontage suivra, avec une fin programmée pour 2048.
Monju devait permettre au Japon de réaliser le cycle du combustible nucléaire, un objectif formulé dans les années 60 pour augmenter l’indépendance énergétique d’un pays aux faibles ressources énergétiques. Le cycle, explique sur son site le Commissariat français à l’énergie atomique (CEA), correspond aux différentes étapes d’extraction, de fabrication, de retraitement puis de recyclage du combustible des centrales nucléaires. Il se traduit notamment par le recyclage d’une partie du combustible utilisé – dont l’usage s’est traduit par la formation de plutonium – pour produire du MOX, réutilisable dans les réacteurs.
Grave fuite de sodium
Le surgénérateur fonctionne bien avec du MOX. Monju a fait l’objet d’un investissement gouvernemental de plus de 1 050 milliards de yens (8 milliards d’euros) d’argent public mais n’a connu que dysfonctionnements et scandales. Connecté au réseau commercial en août 1995, il a subi en décembre de la même année une grave fuite de sodium suivie d’un incendie, qui l’a contraint à un arrêt durable.
L’incident reste comme l’un des plus graves de l’histoire du nucléaire japonais avant Fukushima en 2011. Les efforts de l’exploitant, la Société de développement de réacteur et d’exploitation du combustible nucléaire (PNC), pour en dissimuler la gravité avait suscité de vives protestations.
En 2010, la Commission de sûreté nucléaire (NSC) – prédécesseure de l’ARN – a accepté son redémarrage. Monju a été relancé mais un nouvel accident – la chute d’un engin de levage dans la cuve – l’a contraint à un nouvel arrêt.
En 2012, l’Agence japonaise de l’énergie atomique (JAEA), l’exploitant ayant succédé à PNC, a été reconnue coupable de ne pas avoir effectué les inspections sur près de 25 % des composants du site. L’ARN a recommandé de lui retirer la gestion du site en 2015 en raison de craintes pour la sécurité.
Accord de coopération avec la France
Le gouvernement a décidé en 2016 de fermer le surgénérateur, alors que le gouverneur de Fukui, Issei Nishikawa, souhaitait le conserver. Son département accueille 13 réacteurs, un record au Japon. M. Nishikawa reste un fervent promoteur de l’atome, même si 49,8 % des habitants de son département souhaitent, selon un sondage d’octobre 2017, l’arrêt de l’utilisation de cette énergie. Le ministère de l’économie, le METI, maître d’œuvre de la politique énergétique, ne voyait plus guère d’intérêt commercial pour la technologie et ne trouvait pas d’alternative sérieuse à la JAEA.
La fin de Monju interroge sur la poursuite au Japon de la politique du cycle nucléaire auquel l’archipel ne veut pas renoncer. Pour compenser l’abandon de Monju, les autorités évoquent un autre surgénérateur, le réacteur Joyo plus petit, construit dans les années 70 dans le département d’Ibaraki (est) mais arrêté en 2008 après un accident. Le Japon a également signé en 2014 un accord de coopération avec la France sur le projet de réacteur à neutrons rapides Astrid. Ce projet reste hypothétique même si la France a, selon la presse nippone, demandé au Japon de financer la moitié des 570 milliards de yens (4,3 milliards d’euros) pour la construction du réacteur.
Importantes quantités de plutonium
Toujours dans le cadre du cycle du combustible, le site de retraitement de Rokkasho (nord du Japon), autre installation fondamentale du cycle, ne fonctionne toujours pas. En décembre 2017, son opérateur Japan Nuclear Fuel (JNF) a annoncé un nouveau délai, le 23e depuis 1997, pour sa mise en route. Le site a déjà coûté 13 900 milliards de yens (106 milliards d’euros, financés par les compagnies d’électricité de l’archipel) et la facture devrait à nouveau grimper. Même s’il n’a jamais fonctionné, le site regorge d’installations désormais vieillissantes qu’il faut remplacer car la vétusté pourrait « faire perdre la confiance de la population dans l’installation », craint Ikuo Sasaki, gouverneur adjoint du département d’Aomori.
Les difficultés liées au cycle du combustible au Japon inquiètent les États-Unis car il pose la question de l’usage du plutonium. L’archipel en a accumulé 47,8 tonnes, à utiliser notamment à Monju.
En janvier, Tokyo et Washington ont renouvelé l’accord qui les lie dans le domaine nucléaire depuis 1988 et qui devait arriver à expiration en juillet. Cet accord autorise le Japon à produire du plutonium à usage civil. « Du point de vue de la prévention de la prolifération, il apparaît hautement problématique de posséder d’importantes quantités de plutonium – utilisable pour des armes nucléaires – sans avoir de projets particuliers pour son utilisation », s’inquiétait le quotidien Mainichi dans un éditorial au moment de la prorogation de l’accord.
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
http://www.lemonde.fr/energies/article/2018/04/01/nucleaire-les-ambitions-contrariees-du-japon_5279295_1653054.html
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