LES DEUX CORÉES VISENT UNE PAIX SANS ARMES NUCLÉAIRES

VIDÉOS – À l’issue d’un sommet historique, Kim Jong-un et Moon Jae-in ont annoncé, vendredi, leur intention de mettre un terme à la guerre qui les oppose depuis sept décennies.

Embrasser l’adversaire, pour mieux le neutraliser. Dès ses premiers pas au sud de la ligne de démarcation, Kim Jong-un a bousculé les codes pour séduire Moon Jae-in, président d’une Corée du Sud sur ses gardes. «Il est bon de vous rencontrer», lance le premier leader nord-coréen à franchir la DMZ depuis la guerre de Corée (1950-1953). Visiblement ému dans son costume Mao sombre, le sourire crispé, le dictateur trentenaire entraîne aussitôt par le bras son homologue sur le territoire nord-coréen, pour une seconde poignée de main devant les caméras, s’asseyant sur le protocole. L’audace déclenche les applaudissements des journalistes sud-coréens qui suivent la rencontre sur un écran géant, dans la banlieue de Séoul. Par son charisme et ce geste simple, ce fils d’une danseuse séduit un peuple à fleur de peau, pourtant échaudé par la multiplication des essais atomiques et balistiques à répétition conduits par Pyongyang jusqu’à l’an passé.

L’héritier de la seule dynastie «communiste» de la planète, au regard habituellement impérieux, plaisante avec son homologue, lui proposant des «nouilles froides», la spécialité de Pyongyang. Avant de jouer de la corde sensible du nationalisme coréen. «Nous avons une seule langue, nous sommes un seul peuple, nous avons le même sang. Et nous vivons côte à côte. Partageons la coprospérité», a déclaré le «leader suprême».

Une atmosphère fraternelle inimaginable, il y a seulement quelques mois, avant la spectaculaire détente enclenchée à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver à Pyeongchang par les deux frères ennemis. À Panmunjom, au cœur de la Joint Security Area, décrite comme «l’endroit le plus terrifiant de la terre» par Bill Clinton, Kim et Moon ont promis solennellement de mettre un terme définitif à la guerre qui les oppose depuis sept décennies. Une annonce fracassante qui rappelle celle prononcée lors des précédents sommets, en 2000 et 2007, et qui lance des négociations complexe vers un traité de paix pour remplacer le fragile armistice conclu en 1953.

Sous le regard circonspect de Donald Trump, les deux Corées ont également affiché leur bonne volonté sur le front brûlant du nucléaire. Séoul et Pyongyang affirment «l’objectif commun d’obtenir, au moyen d’une dénucléarisation totale, une péninsule coréenne non nucléaire», dit la «déclaration de Panmunjom» publiée à l’issue de la rencontre. Une affirmation accrocheuse, qui laisse planer l’ambiguïté sur le contenu et le calendrier exact de ce processus. «La déclaration est lourde sur le traité de paix, et légère sur le nucléaire», décrypte Mason Richey, professeur à l’université Hankuk des études étrangères, à Séoul.

Les deux leaders ont évoqué la bombe, pour ne pas faire dérailler le sommet attendu entre Kim et le président américain dans les prochaines semaines, mais sans s’engager sur ce terrain miné qui pourrait faire capoter le fragile printemps coréen. La formule rappelle les promesses passées des prédécesseurs de Kim, qui conditionnaient l’abandon du nucléaire à un retrait des militaires américains de la péninsule. «L’absence de définition claire de la dénucléarisation par Washington offre aux Coréens l’opportunité de pousser une approche large permettant de maintenir la dynamique diplomatique», juge Richey (professeur à l’université Hankuk des études étrangères, à Séoul). En dépit de la décision fracassante de Kim de fermer son site d’essai atomique de Pyunggye-ri, le 21 avril, la plupart des experts doutent que le régime n’abandonne jamais son arsenal nucléaire, véritable assurance-vie. Le site serait en réalité déjà impraticable depuis la dernière explosion, en septembre 2017, affirme une nouvelle étude de University of Science and Technology of China, relativisant l’ampleur de la concession nord-coréenne. Une conclusion soigneusement écartée du rapport final, par les censeurs de Pékin, allié de Pyongyang. «La Corée du Nord est dirigée par des stratèges machiavéliens, et ils ne sont pas suicidaires», rappelle Andrei Lankov, professeur à l’université Kookmin, lors d’une conférence à l’Institut Asan, à la veille du sommet.

Des projets de coopération économique

Échaudé par le risque d’une frappe préventive américaine, étranglé par les sanctions chinoises, le maréchal Kim cherche de l’air vers le Sud, en jouant la carte de la fraternité. «Il voit en Moon une opportunité pour avancer son agenda de croissance économique», juge Abraham Denmark, chercheur au Wilson Institute, à Washington. Le président de centre gauche, dont les parents ont fui le Nord pendant la guerre, porte la déchirure de la péninsule dans sa chair et veut redonner un espace diplomatique à Séoul, pris en étau entre l’allié américain et la Chine.

Par son atmosphère, et ses annonces spectaculaires, le sommet pose les bases d’un nouveau rapprochement coréen qui devrait se poursuivre à l’automne par un nouveau sommet à Pyongyang, avec à la clé une relance des projets de coopération économique transfrontaliers. À condition que Donald Trump arrache une percée nucléaire tangible, lors de son tête-à-tête avec Kim, attendu d’ici à juin. Un accord au sommet allégerait le fardeau des sanctions internationales, autorisant Séoul à investir au Nord, au grand bénéfice de l’ambition économique de Kim. Mais un échec de Trump plomberait le printemps coréen, ramenant le spectre de la guerre sur la péninsule.

Pékin surveille le rapprochement éclair

De son balcon sur la mer Jaune, la Chine peut se réjouir du sommet entre les frères ennemis coréens sur la DMZ. La seconde économie mondiale appelle de longue date Séoul et Pyongyang à reprendre langue pour abaisser les tensions en Asie du Nord-Est. Pékin salue donc officiellement la lune de miel entre son allié le leader suprême Kim Jong-un et le président sud-coréen Moon Jae-in, qui éloigne le risque d’une frappe militaire américaine à ses portes. Mais le rythme ainsi que le caractère bilatéral du «printemps coréen» bouscule les stratèges de l’empire du Milieu. En acceptant abruptement l’invitation de Kim Jong-un, Donald Trump a pris de vitesse le leader suprême nord-coréen lui-même, mais aussi son meilleur allié, la Chine.

Contrairement aux pourparlers à six sur le nucléaire (Chine, États-Unis, les deux Corées, Japon et Russie) menés sous l’ère George W. Bush, Pékin n’est plus dans le poste de pilotage. La diplomatie du tête-à-tête privilégié par Trump, fait craindre aux capitales régionales comme Pékin, mais aussi Tokyo, un accord bilatéral dans leur dos.

Le président Xi Jinping a rapidement réagi en invitant pour la première fois le jeune leader suprême à Pékin début mars. «La Chine essaie de revenir dans le jeu», juge Abraham Denmark, chercheur au Wilson Center à Washington. Arrivé à bord de son train blindé à Pékin, Kim effectue sa première sortie internationale, et multiplie depuis les gestes officiels d’affection envers son grand frère, qui absorbe 90 % de son commerce international. Mais un rapprochement avec Séoul lui permettrait de réduire cette dépendance, grâce à des projets économiques transfrontaliers.

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