ESSAIS NUCLÉAIRES: CLAUDE, L’OUBLIÉ DU DÉSERT

Le gouvernement permet désormais aux Français présents en Algérie entre 1962 et 1964 de bénéficier de la carte du combattant et de ses avantages. Claude Longué, arrivé dans le Sahara en 1965, n’y aura donc pas le droit. Pourtant, dans le Sahara, il a tremblé dans le plus terrible des chaos : celui des essais nucléaires. Trois bombes ont sauté sous ses yeux. Et aujourd’hui, le Pontivyen raconte.

Il promène désormais sa quiétude souriante le long de son jardin, à un jet de pierre du château de Pontivy. Heureux retraité à la moustache effilée, Claude Longué goûte aux journées ensoleillées, savourant bientôt son soixante-douzième été. Mais derrière ses yeux clairs, se voilent les souvenirs troubles d’un passé qu’il ne peut oublier. Un pan de sa vie passé en treillis et dans la chaleur de l’Algérie.

La destination inconnue

C’était en plein été 1965. En France, Charles de Gaulle n’était pas encore réélu et, en Algérie, le coup d’état du 19 juin venait de renverser la République. Claude avait 19 ans. Et l’insouciance qui allait avec. Jusqu’à ce que des gendarmes viennent toquer à la porte de son pavillon brétillien : militaire appelé, le natif de La Fontenelle (Ille-et-Vilaine) doit alors préparer ses bagages pour Fréjus. « C’était au camp Robert, dans l’infanterie de marine, où j’ai donc fait mes classes. Puis, trois mois après, on m’a emmené à Istres (Bouches-du-Rhône) », se rappelle le Breton qui, contraint, devra plier bagages. Pour une destination inconnue.

Les gazelles et les silences

« C’était la première fois que je prenais l’avion. Dedans, il y avait des gens menottés, probablement des insoumis. Moi, je ne savais même pas où l’on allait atterrir ». Ce sera In Amguel, au cœur du Sahara. Il ne le sait pas encore, mais le Pontivyen y restera 16 mois, à quelques kilomètres d’In Ecker où des essais nucléaires français souterrains sont menés depuis 1961. « Là-bas, la première personne que j’ai vue traînait une bouteille de Kronenbourg avec une laisse et sifflait dessus, comme si c’était un chien », s’étonne encore l’ancien cuisinier de métier qui, après coup, comprit cette attitude insensée : « ce gars jouait les fous pour être réformé et rentrer en France ». La France, justement, est loin.

Et pour Claude, le quotidien se résume aux assiettes de gazelle, aux nuits trop chaudes et aux silences imposés. « Je me suis évidemment et rapidement posé des questions, mais le capitaine ne nous disait pas grand-chose. Et surtout, il insistait sur le fait qu’il ne fallait rien divulguer de tout ce que l’on voyait ».

Les tremblements du désert

Un demi-siècle plus tard, Claude parle. « Car maintenant, je n’en ai rien à cirer ! », tonne celui qui évoque cette année passée de l’autre côté de la Méditerranée, où il était chargé de la sécurité des militaires sur un site d’essais nucléaires. « Ainsi, j’ai assisté à trois explosions. J’ai vu trois bombes atomiques péter sous mes yeux ». Des essais souterrains qui firent « trembler la terre et les camions à des kilomètres à la ronde », glisse le Pontivyen qui, la main sur la couture du pantalon, remettait l’ouvrage sur le métier. Sans savoir les risques qu’il prenait. « Lors de ma dernière mission, nous avons récupéré la fusée diamant à tête chercheuse. J’ai même dormi à côté pendant quinze jours. Là-bas, dans le désert, j’ai forcément risqué ma santé ».

Les souvenirs et les questions

Si beaucoup de ses collègues de l’époque « sont morts d’un cancer », lui, touche du bois. « Car tout va bien ». Mis à part quelques articulations qui grincent, comme tout bon vieux retraité qui se respecte. « Mais ma fille, puis ma petite-fille, a eu un kyste au cou et à l’oreille. Le médecin de Paris a évoqué un possible lien de cause à effet avec ma mission dans le désert ». Une mission dans le chaos et dans le plus grand secret qui n’est pourtant pas reconnue par la France. « Ma demande de reconnaissance de la Nation a été refusée il y a quelques mois. Je n’ai aucun dédommagement. Rien ». Juste des souvenirs. Ceux des bruits et des fumées. Il y a aussi les pages d’un livre de Joseph Kessel, sur lesquelles il a appris à lire, dans la moiteur du désert. Le titre de l’ouvrage : « Le lion ». Un lion qui n’a pas eu sa part.

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