LES MINES D’URANIUM, CAMPS DE LA MORT DU GOULAG SOVIÉTIQUE

Le Livre Noir du Communisme mentionne des “camps de la mort” créés le 22 avril 1943, incluant notamment des “mines de radium” (la source est le travail de Jacques Rossi, ancien détenu). Il y a d’autres sources confirmant que certains camps de l’archipel du Goulag soviétique étaient des “camps de la mort”, où les conditions étaient intentionnellement catastrophiques pour ne laisser aucune chance aux prisonniers. L’uranium était destiné visiblement aux prisonniers condamnés à mort, ils devaient travailler dans les mines jusqu’à ce qu’accident, leucémie ou autre maladie mortelle s’ensuive. C’est une partie de l’histoire soviétique très peu étudiée (l’histoire des camps étant déjà beaucoup moins étudiée que les camps nazis), à l’évidence en raison du tabou entourant l’uranium et ses effets sur la santé humaine. En conséquence de quoi, l’existence d’une fonction d’extermination dans le système concentrationnaire soviétique a été globalement passée sous silence.

Avraham Shifrin, l’une des références les plus importantes sur le complexe concentrationnaire soviétique, qui a témoigné devant plusieurs comités du Congrès américain, a établi en 1982 une liste des camps d’extermination, dans lesquels on savait par avance que les prisonniers ne reviendraient pas vivants, et y inclut essentiellement… les mines d’uranium. Shifrin parle de taux de mortalité approchant les 100 % dans ces mines d’uranium et a comptabilisé 43 camps de ce type dans la 2ème édition de son livre (The First Guidebook to Prisons and Concentration Camps of the Soviet Union), ce qui représente plusieurs centaines de milliers de prisonniers. Chacun de ces 43 camps avait à un instant t entre 1000 et 5000 prisonniers environ selon Shifrin, on peut donc avec une hypothèse conservatrice postuler au minimum 20 millions de morts, non seulement sous Staline mais surtout sous Krouchtchev et Brejnev. Une hypothèse simple est que la “déstalinisation” a été organisée pour détourner l’attention de cette section particulière du Goulag qu’il fallait absolument cacher et qui travaillait intensément. Brejnev a conservé telle qu’elle l’organisation, c’est une évidence. La dépêche Associated Press ci-dessous prouve que Gorbatchev n’avait pas démantelé en juillet 1986 ces camps de la mort et j’apporte des arguments tendant à montrer que des structures similaires existent toujours dans le cadre des “colonies pénales” russes, il est difficile de croire à une perestroïka sur un environnement fondamentalement secret et impliquant des atrocités d’un niveau de gravité plus élevé que la Shoah, expliquant assez naturellement le vide démographique en ex URSS (pays connu pour ses statistiques démographiques manipulées) facilement visualisable dans toutes ces cités HLM de béton vides, et justifiant même probablement la politique sociale soviétique, destinée sans doute dans la tête des dirigeants à fournir des travailleurs forcés du nucléaire…

Il faut contrebalancer deux facteurs : la croissance permanente du stock d’armes nucléaires soviétiques jusqu’à la fin des années 80 (d’où une demande constante et énorme de travail forcé) mais aussi l’utilisation de surgénérateurs (ce qui explique d’ailleurs l’accident de Tchernobyl) qui réduisait les besoins humains des mines d’uranium. Je suis convaincu que les populations utilisées étaient essentiellement russes car cela devait avoir lieu loin des frontières où les oreilles ennemies étaient beaucoup plus présentes. L’URSS a démontré historiquement un talent incroyable dans l’organisation de la déportation invisible de son propre peuple et ma conviction ferme est que cela a été organisé de façon parfaite non seulement sous Staline mais aussi après sa mort et jusque dans les années 1980.

Un exemple proche de nous est le camp de Yachimov (complexe concentrationnaire de la Tchécoslovaquie) : Anne Applebaum, spécialiste internationale, auteure de “Goulag, une histoire” (2005, Grasset), mentionne des camps en Tchécoslovaquie socialiste entre le milieu des années 40 et des années 50, où les prisonniers, forcés à extraire de l’uranium pour l’industrie soviétique, étaient destinés à mourir. Pour citer la page 502 de son livre de référence en question, “avec le recul, il est clair que les prisonniers politiques purgeant de longues peines – l’équivalent des détenus soviétiques astreints aux katorga [camps spéciaux isolés des autres où les conditions étaient particulièrement difficiles, même par rapport aux standards du Goulag] – étaient envoyés dans ces camps miniers pour y mourir. Chargés d’extraire l’uranium pour le nouveau projet soviétique de bombe atomique, ils n’avaient aucun vêtement spécial ni aucune forme de protection. Les taux de mortalité y furent notoirement élevés, même si on ignore jusqu’à quel point”.

Anne Applebaum, dans son ouvrage, ne mentionne pour sa part que peu de camps du Goulag où l’intention réelle était selon elle de TUER les prisonniers (et non de les exploiter pour en extraire un rendement économique), en dehors de cet exemple tchèque on trouve le camp de la Serpentine où les prisonniers étaient rapidement fusillés dans l’Extrême Orient russe (région de Magadan). Son travail est une œuvre de référence mais elle est aussi la femme d’un diplomate polonais (Radek Sikorski, qui a été ministre), peu susceptible donc de se plonger dans les détails de la dangerosité de l’uranium, pour les raisons que l’on comprend… Elle indique néanmoins que le NKVD (la police secrète) se vantait en 1944 d’assurer 100 % de la production d’uranium soviétique, chiffre plus élevé que pour d’autres productions minérales ou forestières. Il est dommage que Applebaum ait passé sous silence le travail de Shifrin, qu’elle connaissait pourtant (elle le cite aux côtés de Medvedev p.576 et, p.493, sur la page attenante à celle discutant de la production d’uranium par le NKVD ). De ce fait son propre projet, qui devait pourtant être une anthologie du Goulag, est incomplet.

Jaurès Medvedev, biologiste, auteur d’ouvrages sur le Goulag, connu pour avoir révélé la catastrophe de Mayak, rapporte dans un article que les premiers goulags de l’uranium ont été établis sur ordre de Staline fin 1944 en Asie centrale. Il compte 2 295 prisonniers en 1945 et 7210 en 1950 dans les mines d’uranium d’Asie centrale. Des milliers de « colons » déplacés de force (Moldaves, Tatars) y étaient également retenus de force pour travailler dans les mines d’uranium de la région à la même époque.

L’Extrême-Orient soviétique comptait également des mines d’uranium, notamment dans le Dalstroï et la Chukotka (côte arctique). Plusieurs sources rapportent que les mines d’uranium du Dalstroï avaient mauvaise réputation parmi les prisonniers, la radioactivité (en plus des conditions de travail catastrophiques, du froid et de la mauvaise alimentation) ne laissaient aucune chance de survie et la mort survenait le plus souvent « en quelques mois ». Les mines d’uranium du Dalstroï étaient intégrées dans un complexe côtier de camps particulièrement durs établis sur directive personnelle de Staline, destinés aux prisonniers politiques les plus « dangereux » (socialistes-révolutionnaires, trotskystes, menchéviks et des groupes nationaux, notamment Ukrainiens, haïs de Staline), et dont les prisonniers « n’étaient pas censés en ressortir en vie » selon Medvedev, suggérant une nouvelle fois qu’on utilisait l’uranium pour les condamner à mort. (le traducteur de Medvedev dit “to escape to freedom” mais il ne ferait pas sens de traduire en “s’enfuir” dans la mesure où c’était de toute façon systématiquement passible de mort)

Le Butugychag du Berlag était notamment une mine d’uranium destiné à des prisonniers qui, c’est démontré, étaient l’objet d’une surveillance médicale à travers des dissections de cerveau sur les cadavres. Il reste un négatif montrant une dissection sur un cadavre et de nombreux crânes sciés (comme celui en illustration) ont été retrouvés dans ce qui était considéré comme un « camp pénal » pour récalcitrants ( http://gulag.ipvnews.org/article20060901_01.php ). Un laboratoire médical était présent dans ce très grand complexe concentrationnaire du Dalstroï destiné à des Ukrainiens (population haïe de Staline et donc clientèle logique pour les mines d’uranium, on se souvient de la famine orchestrée dans les années 30 en Ukraine). Il s’agissait à la fois d’extraire de l’uranium et de rassembler des données sur la santé humaine et la radioactivité. Au sujet du Butugichag, un article d’un groupe ukrainien pour les droits de l’homme est disponible en anglais sur cette mine http://khpg.org/en/index.php?id=1505150837 ).

La mine de Chaunskyi sur la côte arctique est un autre exemple parmi d’autres de camps qui partageaient une réputation commune : celle de “vallées de la mort” destinées à assassiner purement et simplement des hommes. Un site rapporte également que les mines d’uranium étaient destinées aux « condamnés à mort » (https://shapran.photoshelter.com/gallery/The-uranium-mines-of-Gulag-Chukotka/G00003_SXPlkZMbE/).

Pour citer une dépêche Associated Press de 1986 sur les mines d’uranium soviétiques: « Soviet Prisoners Exposed to Fatal Radiation in Uranium Mines » (Associated Press, July 11, 1986)

Shifrin mentionne aussi un réacteur nucléaire dans un camp du Goulag sur l’île de Wrangell (océan Arctique, où le diplomate Raoul Wallenberg aurait été détenu selon d’anciens détenus qui l’auraient croisé en 1962) utilisé pour des expériences sur des prisonniers. L’article de Medvedev sur le « goulag atomique » est aussi riche en informations sur le rôle du travail forcé dans la construction des premiers réacteurs soviétiques et du travail forcé dans les usines d’enrichissement. À Mayak par exemple, pour récupérer du combustible et économiser de l’uranium, l’ensemble des esclaves d’une colonie pénitentiaire a été obligé d’extraire sans aucune protection du combustible usagé (qui avait séjourné plusieurs mois dans un réacteur, dépassait les 100°C et représentait plusieurs millions de Curies) de gaines, même les superviseurs (dont un vice chef du MVD (gestionnaire du Goulag après la scission du NKVD), directement responsable devant Beria) sont morts en quelques années après l’opération à laquelle ils assistaient, qui représentait la manipulation de plus de 150 tonnes de combustible usagé par des milliers de prisonniers. L’article de Medvedev montre bien que les prisonniers étaient utilisés systématiquement pour la construction, l’opération et l’entretien des réacteurs, des usines d’enrichissement, de séparation du plutonium, toutes les tâches exposant à de hauts niveaux de radioactivité, avec des accidents à la chaîne. (Pour l’article de Medvedev, en anglais : http://www.spokesmanbooks.com/Spokesman/PDF/medvedev69.pdf )

Des camps de prisonniers existent toujours en Russie en parallèle des prisons (ils représentent même l’essentiel du système pénitentiaire, plus de 700 000 personnes en 2007 dans 766 colonies de travail forcé selon https://www.bu.edu/iscip/vol18/ponomarov.html contre 7 prisons), et le secteur de l’uranium russe est très opaque. Il serait très tentant de penser que bon nombre de prisonniers des colonies pénitentiaires de la Russie post-soviétique servent toujours pour l’extraction de l’uranium et l’industrie nucléaire. De tels camps existent toujours : par exemple près de la mine d’uranium de Chita (la plus grande du pays) où est installé le camp YaG 14/10 où a été évidemment envoyé un prisonnier très dangereux : Mikhail Khodorkovsky.

https://depleteduranium.org/2018/02/26/uranium-mines-the-death-camps-of-the-soviet-gulag-les-mines-duranium-camps-de-la-mort-du-goulag-sovietique/