Berlin (Allemagne), correspondante
Le clap de fin doit avoir lieu dans quatre ans, fin 2022. Une page tournée, pour de bon. Les sept dernières centrales nucléaires d’Allemagne seront retirées du réseau d’électricité, prêtes pour leur démantèlement. La conclusion d’un tournant majeur dans la politique énergétique du pays, initié en quelques jours seulement par la chancelière Angela Merkel en 2011, à la suite de la catastrophe de Fukushima.
Mais l’Allemagne n’en a pas fini avec le nucléaire pour autant. Que faire des 28.000 mètres cubes de déchets hautement radioactifs produits par ses centrales ? Que faire également des 300.000 mètres cubes de déchets faiblement et moyennement radioactifs, dont certains seront encore produits par l’industrie et la recherche médicale après 2022 ?
Les Allemands se posent ces questions depuis des décennies, sans trouver de réponse fiable. Ils faisaient pourtant figure de pionniers en inaugurant le stockage de déchets nucléaires dans une mine de sel dans les années 1960. Le site d’Asse, dans le nord-ouest du pays, était alors une fierté nationale, présenté comme une solution simple et peu coûteuse. 126.000 barils de déchets faiblement et moyennement radioactifs y ont été entreposés à 700 mètres de profondeur. Nul besoin de containers spéciaux, croyait-on : le sel suffirait à protéger les fûts pour des millions d’années.
L’an dernier, l’Allemagne est donc repartie complètement à zéro
La prouesse technologique a viré au désastre quelques années plus tard. La poubelle radioactive s’est transformée en gruyère, la mine s’est fissurée. Plus de 12.000 litres d’eau salée s’y écoulaient chaque jour, menaçant d’entrer en contact avec la matière radioactive et de contaminer les nappes phréatiques. Dans certaines cavités, les fûts se sont écrasés les uns contre les autres sous l’effet des mouvements géologiques. En 2009, le gouvernement fédéral a décidé de démanteler le site.
À un projet de coffrage en béton jugé hasardeux, les autorités ont préféré l’extraction des fûts, et leur stockage temporaire à quelques kilomètres de là, sur le site de Konrad. Coût estimé pour le contribuable allemand : jusqu’à dix milliards d’euros. Après une phase délicate de sécurisation, les premiers barils doivent sortir de terre au plus tôt en 2033. Konrad doit également accueillir les déchets en provenance de Morsleben, l’ancien site d’enfouissement d’Allemagne de l’Est, qui menace lui aussi de s’effondrer.
Le sort des déchets les plus dangereux n’est, quant à lui, absolument pas réglé. Au départ, ils étaient destinés au site de Gorleben, à 120 kilomètres au sud-est de Hambourg. Entre 1995 et 2013, 113 fûts y ont été stockés. 1,7 milliard d’euros ont déjà été engloutis dans le projet, essentiellement financé par les compagnies propriétaires des centrales nucléaires. Mais le site de Gorleben est… une ancienne mine de sel, située en bordure de l’Elbe, laissant craindre des fragilités géologiques identiques au site d’Asse. Après la mobilisation des habitants et des associations écologistes, là encore, le projet est suspendu.
L’an dernier, l’Allemagne est donc repartie complètement à zéro dans sa recherche d’un site de stockage définitif. Pas question d’exporter les déchets, ils doivent rester sur le sol allemand. En revanche, l’enfouissement reste le mode de stockage privilégié, à l’instar du projet français Cigéo, à Bure (Meuse). Tous les sous-sols de sel, d’argile et de granit d’une épaisseur d’au moins cent mètres sont étudiés, à l’exception des zones endommagées ou à risque sismique. Les fûts doivent pouvoir être stockés à au moins 300 mètres de profondeur.
Une agence ad hoc a été créée, la Société fédérale pour le stockage définitif (BGE). Elle est chargée de mener les recherches mais aussi de rétablir la confiance avec la population, selon un processus entièrement transparent qui doit faire oublier la façon dont Gorleben avait été imposé par le gouvernement. Un comité national d’accompagnement a été mis sur pied, incluant des citoyens sélectionnés au hasard dans tout le pays. D’ici 2020, une liste de sites potentiels doit être rendue publique, pour un choix définitif fixé à 2031 et une ouverture du site en 2050.
« Les contraintes de temps pourraient finalement conduire à une simplification de la procédure »
Mais tout le monde ne joue pas le jeu, loin de là. La Bavière, première région allemande à inaugurer une centrale nucléaire en 1961, refuse purement et simplement les recherches, jugeant qu’elle « n’est pas un lieu de stockage adapté pour les déchets radioactifs ». D’autres régions, comme la Saxe-Anhalt, où se trouve le site de Morsleben, mais aussi la Basse-Saxe, où se trouvent Gorleben, Asse et Konrad, ou encore la Rhénanie-Palatinat, à la frontière avec la France, rechignent à confier leurs données géologiques à la BGE. Les compagnies minières privées leur ont également adressé une fin de non-recevoir, au nom du secret des affaires.
Pour y remédier, le ministère fédéral de l’Énergie a promis de réformer la législation, mais le texte a déjà été repoussé et ne devrait pas être examiné par le parlement avant 2019. De plus, il imposerait l’examen des requêtes au cas par cas, ce qui fait bondir la BGE : « Cela n’est pas réalisable compte tenu du grand nombre de données et de l’incertitude concernant les droits des tiers », s’inquiète l’organisme dans un communiqué.
Du côté des autorités comme des associations, plus personne ne semble croire que la mission sera menée à bien, alors qu’elle vient à peine de commencer. « Il est presque illusoire de penser qu’un site sera trouvé d’ici 2031, juge Thorben Becker, de l’ONG environnementale Bund. Nous considérons que le calendrier est dangereux, car les contraintes de temps pourraient finalement conduire à une simplification de la procédure. » Comprenez : à revenir au choix initial de Gorleben, malgré les risques environnementaux et l’opposition de la population.
Par Violette Bonnebas (Reporterre), le 18 décembre 2018
https://reporterre.net/En-Allemagne-la-gestion-des-dechets-radioactifs-dans-l-impasse
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