EDF : JEAN-BERNARD LÉVY REMPILE AVEC UN PLAN ÉLECTRIQUE SIGNÉ MACRON

Le polytechnicien de 63 ans a été reconduit pour cinq ans à la tête du géant de l’énergie. Mais sa feuille de route dictée par l’Élysée s’annonce particulièrement explosive.

C’est désormais officiel : à la tête de l’électricien depuis le 26 novembre 2014 et candidat à sa propre succession, l’actuel PDG d’EDF va rempiler pour un nouveau mandat de cinq ans. L’Élysée a annoncé jeudi qu’Emmanuel Macron «envisage, sur proposition du Premier ministre, de renouveler Jean-Bernard Lévy en qualité de président-directeur général d’EDF». La proposition de reconduire ce polytechnicien de 63 ans à la tête du géant français de l’énergie sera faite aux actionnaires le 16 mai, lors de l’assemblée générale du groupe. Et comme l’État actionnaire est comme chez lui dans la maison Électricité de France, avec 83,66 % du capital, il n’y a guère de suspense. Ce sera la première fois dans l’histoire récente d’EDF qu’un dirigeant effectuera plus d’un mandat.

Socle

Il faut croire que Jean-Bernard Lévy est considéré par Emmanuel Macron comme l’homme de la situation pour piloter ce mastodonte – 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 150 000 salariés – dans la zone de turbulences concurrentielle, financière et stratégique qui s’annonce. Ingénieur télécoms au pays des X-Mines, ce Lorrain plutôt souriant, mais à l’allure un peu raide, a le profil d’un serviteur de l’État rompu au monde de l’entreprise. Après avoir commencé sa carrière de haut fonctionnaire à la Direction générale des télécommunications, «JBL» a travaillé chez Matra-Lagardère, puis à la banque Oddo, avant d’aller jouer les pompiers à la tête de Vivendi (Universal, Canal +, SFR…) en 2002 après la chute de Jean-Marie Messier. Il atterrit enfin à la tête de l’entreprise de défense et de sécurité Thalès en 2012, déjà à la demande de l’État. Et en 2014, François Hollande appelle Lévy aux commandes d’EDF pour solder l’ère Proglio et faire le ménage dans la filière nucléaire française, empêtrée dans le désastre industriel du réacteur EPR.

Cette fois, Emmanuel Macron semble avoir des projets plus précis pour EDF. En l’occurrence des projets de découpe. Depuis des mois, des scénarios de séparation des activités d’EDF circulent entre Bercy, Matignon et l’Élysée. En gros il s’agirait de regrouper les actifs nucléaires et hydrauliques au sein d’une entité restant sous le contrôle étroit de l’État. Et de filialiser les activités dans les énergies renouvelables et les services. Objectif : d’un côté, garder le socle stratégique de la production d’électricité dans le giron public (plus de 70 % du courant vient de l’atome et 10 % des barrages hydrauliques) tout en cantonnant le risque financier d’un parc nucléaire sujet à d’énormes coûts de modernisation et de déconstruction ; de l’autre, ouvrir le capital des activités des énergies de demain, comme l’éolien et surtout le solaire à des investisseurs privés. Un schéma qui aurait l’avantage de desserrer la pression financière pesant sur le groupe, mais qui fait hurler les syndicats maison. La puissante CGT énergie en tête, ces derniers restent farouchement opposés à ce qu’ils considèrent comme un «démantèlement» et une privatisation larvée d’EDF.

En échange, le gouvernement proposerait aux électriciens de garder leur fameux statut d’industries électriques et gazières (IEG). Ces derniers seraient donc moins malmenés que les cheminots de la SNCF. C’est cette mission délicate – suicide ? – que semble vouloir confier Emmanuel Macron à Jean-Bernard Lévy.

En tout état de cause, la situation d’EDF n’est pas rose quand on y regarde de près. Plombé par une dette qui flirte avec les 40 milliards d’euros, le groupe n’arrive pas à dégager assez de cash chaque année pour faire face aux énormes investissements que demande son parc de 58 réacteurs nucléaires. Bon an mal an, il ne dégage plus que 3 milliards d’euros de bénéfices. Et depuis l’ouverture à la concurrence, l’opérateur historique perd des clients même s’il domine toujours 80 % du marché de l’électricité des ménages. Or il va lui falloir débourser 50 milliards d’euros pour prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaires vieillissantes jusqu’à 2030 et au-delà. Et au moins autant pour démanteler les 14 réacteurs de 900 MW qui devront fermer d’ici 2035 dans le cadre de la transition énergétique décidée par la récente programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). L’électricien devra aussi maîtriser la dérive des coûts du réacteur EPR de Flamanville, dans la Manche, dont la mise en service, initialement prévue en 2012, a été encore reportée à 2020. De 3,3 milliards d’euros, la facture du gros réacteur de 1 650 MW a déjà plus que triplé, à près de 11 milliards ! Et il faudra aussi mener à bien le chantier à haut risque des deux EPR britanniques d’Hinkley Point.

«Nucléocrate»

Lévy connaît maintenant tous ces dossiers minés par cœur. Et il a su ménager jusque-là les syndicats d’EDF qui ont fait corps avec lui pour défendre l’activité nucléaire du groupe. Au grand dam de Greenpeace, qui a multiplié les actions spectaculaires sous son règne, avec notamment plusieurs intrusions dans les centrales censées démontrer leurs failles de sécurité. Honni par les partisans de la sortie de l’atome qui le considèrent comme un «nucléocrate», le boss d’EDF a tout de même présenté ces dernières années des plans de développement ambitieux dans le solaire, le stockage d’électricité ou la mobilité électrique.

Mais il devra se montrer particulièrement habile pour piloter la réorganisation d’EDF qu’exige de lui Emmanuel Macron dans un contexte social national tendu. Parmi les revendications des gilets jaunes, le maintien des services publics, dont EDF reste quelque part un symbole, et la maîtrise des prix de l’énergie, figurent en effet en bonne place. Ce vendredi matin à 11 heures, le désormais patron d’EDF jusqu’en 2024 en dira peut-être plus sur sa vision de l’avenir en présentant les résultats 2018 de son groupe.

Par Jean-Christophe Féraud, publié le 15 février 2019 à 21h06

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