LES RIVERAINS DE FUKUSHIMA N’OSENT PAS REVENIR DANS LES ZONES OFFICIELLEMENT DÉCONTAMINÉES

Depuis la catastrophe du 11 mars 2011, l’IRSN suit les évolutions de l’opinion des citoyens directement impactés. Revenir dans son ancienne ville après la décontamination n’est pas une décision simple à prendre.

CONFIANCE. Ce programme qui allie l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’université japonaise Tokyo Tech s’appelle « Shinrai » soit « confiance » en japonais. Depuis 2014, il s’attache à comprendre les rapports qui se nouent entre les autorités en charge des conséquences de l’explosion des réacteurs nucléaires de la centrale de Fukushima et les habitants. Officiellement, tout se déroule au mieux. Selon la Préfecture de Fukushima, la zone d’évacuation totale n’est plus que de 371km² soit 2,7% de la surface de la Préfecture. De 165.000 évacués en 2012, on est tombé en décembre 2018 à près de 43.000 personnes qui ne peuvent toujours pas retrouver leur maison.

Au huitième anniversaire de la catastrophe, Shinrai publie un nouveau rapport qui montre combien le retour des populations dans leur ancien lien de vie est dans la réalité difficile. Les chercheurs suivent pas à pas 120 personnes via des entretiens personnalisés et recueillent leurs réactions aux décisions des autorités. Ils constatent ainsi que les retours vers la ville d’origine sont peu nombreux. En moyenne, 15% seulement des habitants sont revenus après la décontamination de leur quartier et l’autorisation des pouvoirs publics. À l’exception de la ville de Tamura qui a vu 80% de retour, d’autres agglomérations comme Kawauchi (28,5%) ou Naraha (31,8%) ont des taux bien plus faibles et dans des villes partiellement évacuées comme Tomokia et Namie, 4% seulement des habitants se sont réinstallés bien que les autorités assurent qu’il n’y a désormais plus de danger pour la santé.

Les anciens reviennent, pas les jeunes

MÉDECINS. Le rapport Shinrai confirme ce que le gouvernement japonais redoutait. Le taux de retour des enfants des 9 municipalités concernées est de 8,6% seulement. La tendance est clairement identifiée par l’Agence publique de reconstruction : plus la personne concernée est jeune, moins elle a envie de revenir. Dans les entretiens, les maires semblent ne plus se faire d’illusions : les familles avec des enfants en bas âge ne se réinstalleront probablement pas. Le portrait du « revenant » est donc celui d’un homme d’environ 50 à 60 ans, en bonne santé, autonome, ayant une voiture, capable d’entretenir des relations de voisinage et dont les enfants sont adultes et vivent ailleurs.

Ceux de la même génération mais ayant des problèmes de santé choisissent d’ores et déjà de se réinstaller dans les villes où vivent leurs enfants et où ils trouveront un bon encadrement médical. Les médecins et les infirmières font en effet majoritairement partie de la génération plus jeune qui ne se réinstallera pas. Certains élus comme ceux de Naraha cités par le rapport, estiment qu’au mieux 50% des anciens habitants reviendront y vivre. Dès lors, les autorités essaient d’imaginer ce que deviendront ces agglomérations dans 10 ou 20 ans. La notion de « ville marginale » refait ainsi surface. Définie en 1991 par le sociologue Akira Ono, elle décrit le devenir de ces zones urbaines où la moitié de la population a plus de 65 ans, dans le contexte du vieillissement de la pyramide des âges du Japon.

La reconstruction économique de la région pourrait profiter à des populations extérieures

RISQUES. Le rapport bat ainsi en brèche l’idée très ancrée que les habitants sont attachés à leur région et rechignent à la quitter même en cas d’accident nucléaire. L’exemple de Fukushima montre le contraire. La majorité des riverains ne veulent pas revenir et ce, malgré les efforts des autorités pour les rassurer sur l’absence de risque sanitaire. Shinrai identifie les principales craintes à l’origine de cette décision : risque d’exposition aux radiations notamment pour les enfants, peur associée au voisinage de la centrale accidentée, manque de structures médicales et d’écoles, manque d’infrastructures commerciales et sociales, la forte présence des ouvriers de décontamination de la radioactivité contrastant avec l’absence des amis et des voisins qui ne sont pas revenus…

Les discours rassurants des autorités nationales comme régionales ne peuvent rivaliser face au constat que l’accident a profondément changé les structures de vie. La perte des relations sociales et familiales est ainsi mise en exergue pour expliquer cette volonté de ne plus revenir. Les auteurs du rapport soulignent par ailleurs que cela ne devrait pas s’arranger. Depuis mars 2018 en effet, l’électricien TEPCO ne finance plus les aides au relogement en dehors de la zone contaminée. Des familles qui pouvaient ainsi occuper deux habitations, devront désormais choisir car incapables de payer deux loyers. Et le nombre des départs devrait augmenter.

Quelle politique de reconstruction doit dans ce contexte mener les autorités japonaises? Les actions engagées visent en effet à revitaliser le tissu économique de cette région en favorisant l’installation d’entreprises et la création d’emplois. Le rapport souligne que pour les habitants le mot « reconstruction » signifie plutôt le retour à un environnement sain apte à préserver leur santé et ne sont pas demandeurs de ces activités économiques. Les auteurs redoutent ainsi que les emplois créés attirent des populations économiquement plus fragiles d’autres régions de l’archipel, accentuant ainsi la dépendance des villes locales aux aides des autorités nationales.

Par Loïc Chauveau, publié le 11 mars 2019

https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/crise-nucleaire-au-japon/les-riverains-de-fukushima-ne-veulent-pas-revenir-chez-eux_132050