La réalisatrice belge Isabelle Masson-Loodts présentera vendredi 17 mai son documentaire Un héritage empoisonné. Elle fait le parallèle entre les déchets militaires de la Grande Guerre dans le nord de la Meuse et les déchets nucléaires que l’État souhaiterait enfouir dans le sud de ce département.
C’est une soirée cinéma exceptionnelle que proposent la municipalité de Villerupt et l’association « Ginkgo mon amour », vendredi 17 mai à 20 h 30, au Rio. Le documentaire Un héritage empoisonné, qui fait salle comble dans les villes où il est programmé depuis plusieurs semaines, sera projeté en présence de sa réalisatrice, la Belge Isabelle Masson-Loodts.
Le synopsis : alors qu’un siècle a suffi pour faire oublier le danger, pourtant encore réel, des rebuts de 14-18, comment croire que notre mémoire permettra de maintenir la vigilance des générations futures autour des déchets nucléaires qui resteront dangereux pour plusieurs millénaires ?
D’où est venue l’idée d’effectuer ce parallèle entre obus de Meuse et déchets hautement radioactifs que l’industrie du nucléaire voudrait enfouir dans ce département ?
« Lorsque j’ai démarré mon travail d’enquête sur les séquelles environnementales de la Grande Guerre, avec des morts et des blessés chaque année à cause des obus déterrés, j’étais loin d’imaginer à quel point il prendrait du sens. Au cœur des commémorations du centenaire de ce conflit, durant l’été 2015, le lait et les céréales de sept exploitations agricoles ont été détruits pour cause de suspicion de pollution par des résidus de munitions toxiques de 1914-1918, aux alentours du village de Muzeray. J’ai découvert que 1,5 million d’obus chimiques et 300 000 obus explosifs ont été détruits là, contre l’avis de la population. Lors des conférences que je donnais sur le sujet, des habitants du nord de la Meuse m’ont alors alerté sur le fait que l’histoire risquait de se répéter, avec le projet d’enfouissement des déchets nucléaires qu’on souhaite leur imposer à Bure, dans le sud de ce département. À l’heure où tous les pays nucléarisés font face à l’épineuse question de la gestion de ces déchets, comment ne pas s’interroger sur la façon dont se construit la mémoire des choses indésirables ?»
Quel est l’objectif de ce film ?
« Ce n’est pas d’analyser la pertinence technique du stockage de ces déchets, car qui peut garantir une solution capable de tenir plusieurs centaines de milliers d’années ? Mais s’ils sont enfouis, et qu’il n’existe aucun moyen sûr de transmettre le danger qu’ils représentent pour les milliers de générations qui vont suivre, que reste-t-il ? « Rien d’autre que le recours à l’illusion », comme le disait Henning Mankell dans Sable mouvant, son livre testament. C’est-à-dire feindre qu’il n’y a rien là où il y a pourtant quelque chose. L’outil dont nous disposons, c’est l’oubli. »
L’un des intervenants de votre film évoque les « rebuts de la modernité » que nous allons laisser à nos enfants.
« À Bure aujourd’hui comme à Muzeray hier, tous les ingrédients de l’oubli semblent réunis. Bien que ce film soit intimement lié à l’actualité, je veux faire en sorte qu’il s’en détache pour offrir l’occasion d’une réflexion plus large : il y a un siècle s’est ouverte une nouvelle ère, celle de la production de déchets dont les effets délétères se prolongent sur des périodes dépassant la vie humaine, et même celles de nos sociétés. En s’attachant à la question de leur mémoire, ce film est un appel à l’humilité et à l’honnêteté. »
Entrée libre
Propos recueillis par Sébastien BONETTI, article publié le 14/05/2019 à 05h03
https://www.republicain-lorrain.fr/edition-de-longwy/2019/05/14/des-obus-de-1914-1918-aux-dechets-nucleaires-de-bure
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