POLYNÉSIE : LETTRE À LA FRANCE

Je me dois de rendre compte.

Je suis à Tahiti à l’heure où j’entame ces lignes. Plus particulièrement dans la ville de FAA’A dont le Maire est l’ancien Président de la Polynésie Française, Oscar TEMARU. Homme politique parfaitement intègre et ayant dévolu sa vie entière au service des plus déshérités et plus largement, de son Peuple. Je témoigne de la simplicité dans laquelle il vit, je témoigne de son engagement.

Au-delà de sa vision politique plus largement entendue, Oscar TEMARU, dont je suis l’avocat, est adepte de l’accession à la souveraineté de son pays et l’un des premiers, il y a plus de quarante ans, à avoir alerté sur les dangers des essais nucléaires français dans le Pacifique.

Depuis lors, il n’a cessé d’en dénoncer les effets.

Le Président Oscar TEMARU a obtenu la réinscription de la Polynésie Française sur la liste des pays à décoloniser et la France ne joue pas le jeu de ce processus international.

Oscar TEMARU a également déposé plainte pour crime contre l’humanité du fait des 193 essais nucléaires et de leurs conséquences dramatiques sur la population polynésienne et sur l’environnement. Ce sont deux actions politiques très gênantes pour le gouvernement français, alors même que le précédent Président de la république a reconnu sans contredit possible les conséquences néfastes desdits essais.

Dans la même ligne, l’actuel Président de la Polynésie Française, Édouard FRITCH vient de reconnaître courageusement que cela fait 30 ans qu’il a menti, avec d’autres, s’agissant des essais nucléaires qui -on le sait aujourd’hui-, n’étaient pas « propres ». Ses propos sont tout à fait clairs : « Notre propre leader a vu une bombe péter : lorsqu’on voit une bombe atomique péter, je pense qu’on se rend compte que ça ne peut pas ne pas faire de mal ». Il ajoutait donc : « Je ne m’étonne pas qu’on me traite de menteur alors que pendant 30 ans, nous avons menti à cette population, que les essais étaient propres : nous avons menti, j’ai fait partie de cette bande ».

La France a montré ce dont elle était capable lorsqu’il s’est agi de réduire au silence le Député Polynésien Pouvana’a a O’opa accusé à tort et fabriquant ainsi un martyr. Entendra-t-elle faire de même avec ceux qui combattent aujourd’hui aux côtés de Tavana Oscar ?

J’ai vu ici des enfants, des femmes, des hommes souffrant des pires maux. Des cancers, des leucémies, des malformations, le nombre de cancers, appelé « la prévalence », et le nombre de nouveaux cas annuels, que l’on appelle « l’incidence » explose. Pour le cancer de la thyroïde par exemple, les polynésiens sont sept fois plus touchés que le reste du monde, dans l’indifférence générale.

Ceux dont la peau part littéralement en lambeaux, dont la vie dès la naissance, de la naissance à la mort, est vouée à la souffrance, marquent à tout jamais mon esprit.

Pour le Français que je suis, le débat n’est pas simple : aimer la France impose de regarder cette réalité en face, telle qu’elle est et non telle que nous aimerions la raconter, que l’on dirige ce pays ou que l’on en soit citoyens. Les impératifs d’indépendance français au sortir de la guerre ayant motivés les essais nucléaires et la main mise gardée sur les cinq archipels pour des raisons géostratégiques, n’existent plus aujourd’hui de la même manière. Et notre devoir, en tant que français, nous dont les plus grands textes constitutionnels consacrent l’autodétermination comme un droit suprême de chaque peuple à disposer de lui-même, nous commande de ne plus mentir aux polynésiens et, avant toute chose, de ne plus nous masquer la réalité en payant sur l’autel du réel tribu de l’honnêteté.

Alors que les essais débutèrent le 2 juillet 1966, ce n’est qu’en 1976 que furent placés aux abords de Mururoa d’insignifiants panneaux blancs, marqués de rouge à l’adresse des polynésiens, « NE PAS BOIRE L’EAU DE COCO – NE PAS PÊCHER LES POISSONS DU LAGON ». Ces deux illusoires injonctions à destination d’un Peuple millénaire furent la seule précaution bien tardive qui leur fut adressée.

Lorsque Le Président TEMARU que rien ne destinait à la lutte menée inlassablement depuis plus de quarante ans a, parmi les premiers, compris ce qui se jouait ici, il fut traité de « terroriste », il était décrit tel « l’antéchrist », « agent de Cuba », « à la solde des puissances de l’Est » qui ne voulaient rien de moins que trahir la France en l’affaiblissant sur la scène internationale. 

Il s’agit de ce même Peuple qui, sur la base du volontariat deux décennies plus tôt, envoyait ses jeunes s’enrôler pour combattre au sein de l’armée de la France Libre, tel le père de mon Confrère, Stanley CROSS, quittant Tahiti à 17 ans, pour se rendre en Nouvelle Zélande, rejoindre ensuite le Canada puis, finalement l’Angleterre, pour voler sous la bannière des Forces Françaises Aériennes Libres, intégrées ensuite dans la ROYAL AIR FORCE, aux côtés de Romain GARY où il fréquenta Pierre MENDÈS FRANCE, Jacques CHABAN DELMAS et tant d’autres. Il revint suite à un crash le visage et les mains brulées pour la France et pour les valeurs qu’elle portait fièrement et qu’elle trahit depuis.

La différence majeure, notable, entre le fier Peuple Maohi et les autres peuples aujourd’hui décolonisés est qu’ici la violence n’est pas de mise, que la tradition de respect et d’accueil de « l’étranger » est une valeur cardinale de l’organisation de cette société. Le président TEMARU incarne ces valeurs et s’est posé en pacificateur pendant les fameuses émeutes de 1995, alors que le Président CHIRAC annonçait la reprise des essais nucléaires.

Le Président Oscar TEMARU, à l’inverse du message qu’il porte, n’est pas éternel. Au nom de l’amour que je porte aux Maohi et à mon pays, la France, j’espère que seule la violence ne sera pas la solution pour que leur combat légitime soit entendu.

La France se doit de reconnaître les conséquences de ses actes passés et doit les réparer. Cette reconnaissance est aujourd’hui implorée pacifiquement par ce Peuple entamé dans sa chair et dans son âme.

Et demain ?

Monsieur le Président de la République, Emmanuel MACRON, Monsieur le Premier Ministre Édouard PHILIPPE, Cher Édouard, Madame la Ministre des Outre-mer Annick GIRARDIN, entrerez-vous dans l’histoire française pour avoir réparé cette injustice ou pour l’avoir couverte ?

 Par David Koubbi, Avocat à la Cour

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Par Davidkoubbi, publié le 4 juillet 2019 (Blog : Le blog de davidkoubbi)

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