LE CERCLE – Le projet Hercule prévoit de réorganiser l’énergéticien français, EDF, en favorisant le développement de l’emploi et la compétitivité du coût de l’électricité. Cependant, syndicats et experts du secteur s’opposent à ce plan. Les explications de François Dauphin, expert international énergie, et Basile Bouquet directeur général d’Enexflow.
Lors de la dernière assemblée générale des actionnaires d’EDF, Jean-Bernard Lévy a annoncé, sur demande de l’État, une réorganisation majeure de l’énergéticien français. Surnommée « Hercule » , elle a pour ambition de scinder le groupe en deux parties. L’une, intégrant le nucléaire, l’hydraulique et le réseau de transport (RTE), sera renationalisée avec une indemnisation des actionnaires actuels. L’autre regroupera les renouvelables, les réseaux de distribution (Enedis) et les activités de services. Délestée du risque nucléaire, cette dernière serait introduite en Bourse avec la perspective d’une valorisation supérieure à la valeur actuelle de 33 milliards.
Cette réforme, dont les deux objectifs affichés sont le développement de l’emploi et la compétitivité du coût de l’électricité, est présentée comme une solution au défi du financement du futur parc nucléaire français : un investissement de plus de 150 milliards d’euros, soit dix fois plus, en monnaie constante, que le plan Messmer de 1974.
Un projet contesté
Ce plan fait l’objet de nombreuses réactions. Les syndicats s’opposent au projet Hercule, qu’ils considèrent comme une tentative de démantèlement. Ils reprochent notamment à l’État d’avoir fragilisé la trésorerie du groupe en s’attribuant, pendant de nombreuses années, des dividendes pléthoriques.
De leur côté, plusieurs experts critiquent cette stratégie. Certains arguent que l’électricité d’origine nucléaire est maintenant durablement non compétitive et qu’Hercule ne vise qu’à nationaliser les pertes à venir. Pour d’autres, la réforme n’est en aucune manière en phase avec les besoins colossaux de recapitalisation.
EDF lance le chantier de sa réorganisation
Sans discuter du bien-fondé de ces arguments, le projet Hercule permet de répondre, au moins partiellement, à l’impasse financière dans laquelle EDF est acculé depuis son introduction en Bourse. La production d’EDF restant majoritairement nucléaire, il est indispensable de comprendre comment évolue le coût complet du kWh nucléaire en fonction du coût du capital.
Dans une étude de 2017, la Cour des comptes anglaise a estimé le coût complet à 140 euros par mégawattheure (MWh) pour un taux de rémunération de 12 % (soit celui attendu par certains fonds privés d’investissement), il chute à 100 euros par MWh pour une rémunération de 9 % (taux minimum pour une entreprise introduite en Bourse), 70 euros par MWh pour 6 % (soit le taux habituel des investissements publics) et à seulement 30 euros par MWh en cas de retour attendu de 2 % (le taux où l’État français pourrait emprunter actuellement sur les marchés pour un investissement à 50 ans).
Investisseurs institutionnels
Autrement formulé, le nucléaire est un investissement long terme qui ne peut pas être financé efficacement par des acteurs privés. Pour se développer, cette filière a besoin de s’appuyer sur des investisseurs institutionnels offrant un coût du capital et des garanties financières hors marché. Si l’introduction en Bourse d’EDF a été réalisée pour des raisons essentiellement politiques, elle est aujourd’hui incompatible avec ses besoins massifs d’investissement aux conditions économiques actuelles, a fortiori face à une concurrence internationale semi-publique.
Ce projet Hercule n’est pas sans rappeler la restructuration de l’énergéticien allemand E.ON qui a décidé de se concentrer sur ses activités stratégiques : les services à haute valeur ajoutée et le réseau de distribution, nerf de la guerre dans un système de plus en plus décentralisé. Le groupe s’est ainsi séparé de ses activités renouvelables nécessitant un coût du capital très compétitif et n’offrant que peu de marges opérationnelles.
Ces réorganisations structurelles sont le reflet d’un secteur électrique en pleine mutation, impacté par l’essor des énergies renouvelables de plus en plus compétitives. La libéralisation des marchés de l’électricité force les acteurs historiques à se réinventer pour rester performants et les gouvernements à se réengager, que ce soit pour sortir ou rester dans le nucléaire.
Par Basile Bouquet (directeur général d’Enexflow), Francois Dauphin (expert international énergie)
Publié le 24/07 à 15h30
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/nucleaire-et-liberalisation-une-equation-insoluble-1040232
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