Soudeurs, électriciens, mécaniciens, caristes… 160 000 salariés travaillent dans les entreprises sous-traitantes de la filière nucléaire. Des salariés dénonçant des conditions de travail pouvant peser sur la sûreté des installations nucléaires.
EDF va devoir tirer les leçons des déboires à répétition de l’EPR de Flamanville. Le gouvernement lui a donné un mois pour bâtir un plan d’action. Le groupe public est notamment sommé d’investir dans les compétences qui font aujourd’hui défaut. Un problème lié pour partie à la multiplication des sous-traitants dans cette filière.
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Aujourd’hui, 160 000 salariés travaillent dans ces entreprises sous-traitantes pour la filière nucléaire. Un tiers d’entre eux sont employés de manière permanente sur un site nucléaire, les autres changent de chantiers au gré des missions. Une main d’œuvre essentielle pour les grands groupes de la filière comme EDF ou Orano. EDF sous-traite ainsi 80 % de la maintenance sur ses installations nucléaires. Pour le seul remplacement d’un générateur vapeur, il peut y avoir jusqu’à 50 entreprises différentes !
Journée de mobilisation pour les conditions de travail des sous-traitants
La sous-traitance n’est pas un problème en soi. Mais ce qui pose question ce sont les conditions de travail. Des syndicats ont appelé à une journée de mobilisation le 18 septembre dernier pour les mettre en lumière. Ainsi, ces groupes prestataires sont de plus en plus soumis à des impératifs de rentabilité, avec des délais toujours plus courts dénoncent certains salariés. Yvon Laurent, 39 ans d’expérience dans ce domaine de la sous-traitance nucléaire, également membre de l’association « Ma zone contrôlée », qui entend représenter ces salariés sous-traitants du nucléaire, a vu les exigences diminuer :
Auparavant, EDF faisait de la maintenance préventive, on n’attendait pas qu’une pièce soit défectueuse pour la changer, donc les arrêts de tranches duraient assez longtemps, c’était assez bien planifié, on n’avait pas cette notion de temps qui nous opprime maintenant. Dans les années 2 000, on est passé à une maintenance curative, on attend désormais que cette pièce soit usée pour la changer.
Problème de compétences
Autre problème pointé du doigt : les personnels qui contrôlent ces salariés sous-traitants ne semblent pas en capacité de les aider, en cas de problème. Les agents EDF qui participaient autrefois aux tâches de maintenance ont été affectés à des fonctions de surveillance, ils n’ont plus la maîtrise des savoir-faire dénoncent les syndicats.
Et si la sous-traitance s’est développée c’est selon eux parce que les grands opérateurs ont voulu se délester des tâches les plus dangereuses. Jérôme Schmitt, porte-parole de la Fédération sud énergie et salarié d’EDF à la centrale de Dampierre dans le Loiret est catégorique :
Il y a des métiers qui étaient auparavant confiés à des agents statutaires, par exemple les « jumper » dans les générateurs de vapeurs, un travail incroyable mais assez dangereux. Ces métiers ont disparu d’EDF qui a ainsi voulu se défaire de ses responsabilités sanitaires.
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Chez EDF, on bat en brèche cet argument, assurant faire appel à la sous-traitance pour des raisons historiques -ce sont les fabricants des équipements qui en assurent la maintenance – et parce qu’elle elle n’a pas vocation à tout savoir faire. L’entreprise publique semble tout de même consciente qu’il lui faut réapprendre certains métiers. Elle a réinternalisé un certain nombre de fonctions depuis 5 ans, l’équivalent de 500 postes. Et elle recrute à nouveau dans les métiers de la maintenance.
Mais le problème de compétences se trouve aussi chez les sous-traitants.
Le rapport de Jean-Martin Folz remis lundi à Bercy sur l’EPR de Flamanville évoque d’ailleurs « une perte de compétences généralisée » dans la filière, liée notamment au fait qu’une longue période s’est écoulée entre la construction en 1991 du réacteur 2 de la centrale de Civaux dans la Vienne et le début du chantier de Flamanville en 2007. Il y a ainsi eu, souligne le rapport, « une perte de compétences certaine de la part de la plupart des acteurs concernés, tant du fait du départ en retraite de spécialistes confirmés que du défaut d’entretien des expertises et savoir-faire inutilisés« .
Une problématique également soulevée par le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) Bernard Doroszckuk. Devant le Sénat, le 16 mai dernier, il pointait ainsi du doigt la « perte de compétence technique industrielle, liée à l’affaiblissement du tissu industriel de notre pays, et à un manque de vigilance face à la découverte d’anomalies pouvant remettre en cause le niveau de qualité dans le secteur nucléaire. »
Crédits : Visactu
Il faut dire que les métiers du nucléaire ne sont pas très attractifs : des salaires limités et des conditions de travail difficiles, sans parler des conventions collectives qui changent d’une entreprise à l’autre. Faut-il un statut commun aux salariés des sous-traitants du nucléaire ? C’est ce qu’a préconisé la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Or plus d’un an après ses conclusions, rien n’a changé regrette sa rapporteure, la députée en Marche de la Somme Barbara Pompili :
La réponse notamment d’EDF [à lire ci-dessous] mais aussi malheureusement du gouvernement, ça a été de le mettre sous le tapis ; c’est non seulement dommage mais aussi dangereux. Que l’on soit pour ou contre le nucléaire, on a tous collectivement intérêt à ce que nos installations soient sûres, et pour qu’elles soient sûres, il faut s’attaquer aux problèmes qui affaiblissent cette sûreté, et la question de la sous-traitance en est un, et pas des moindres !
Par Anne-Laure Jumet, publié le 30/10/2019
Photo en titre : la centrale nucléaire de Cattenom en Lorraine • Crédits : Julio PELAEZ – Maxppp
https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/sous-traitants-du-nucleaire-la-surete-de-nos-installations-en-question
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