Selon l’Agence internationale de l’énergie, le monde devrait accueillir d’ici 2024 près de 50% de capacités d’énergies renouvelables supplémentaires. Quelles innovations majeures soutiennent cette croissance dans le photovoltaïque et l’éolien ? Comment les réseaux électriques pourront s’adapter à ce nouveau mix énergétique ? L’EnerGeek (EG) a interrogé Bernard Deboyser, (BD) ingénieur polytechnicien et consultant en énergie et mobilité durable.
EG: Quelles perspectives se dessinent en termes d’innovation dans le secteur éolien et photovoltaïque ?
BD:C’est surtout dans le domaine photovoltaïque que des innovations disruptives apparaissent. Elles permettront dans les prochaines années de réduire encore fortement le coût des installations, et en parallèle leur « dette énergétique ». La dette énergétique, c’est la quantité d’énergie nécessaire pour fabriquer un panneau. Le nombre d’années nécessaire à la rembourser avec la production du panneau (qu’on appelle « energy playback time » en anglais), est une donnée importante. Actuellement, cette dette est « remboursée » en 2,5 ans à peine dans le nord de l’Europe, et en 1,5 à 1 an seulement dans le sud. Ensuite, pendant les 25 à 29 années qui suivent, les panneaux produiront de l’énergie sans en consommer puisqu’ils ne nécessitent aucun entretien, aucune rénovation…
Les chercheurs et fabricants créent des cellules photovoltaïques de plus en plus minces et légères. En 13 ans, on est passé de 16 à 4 grammes par Watt crête (g/Wc). L’industrie utilise donc 4 fois moins de matière et d’énergie qu’auparavant pour fabriquer les cellules. Or, c’est le poste le plus gourmand en énergie dans la fabrication des panneaux. D’où la chute des prix. La filière met aussi au point de nouvelles méthodes pour la fabrication des cellules, comme la technologie « kerfless » qui permet d’économiser de la matière et de l’énergie et de réduire le nombre d’étapes dans leur fabrication. L’espoir vient surtout d’un nouveau type de cellules à base de perovskites, à la place du silicium. Cette innovation permet d’imprimer des cellules avec une simple imprimante semblable à une imprimante à jet d’encre. La technologie est au point et elle apparaît déjà sur le marché. Elle permet de réduire encore le prix et la dette énergétique. On ne parlera bientôt plus de panneaux mais de simples « films » photovoltaïques, toujours plus minces, légers et souples. Ils pourront recouvrir les façades des bâtiments, les carrosseries des voitures, ou même être portés sur nos vêtements. Nous sommes à l’aube d’une véritable révolution photovoltaïque.
Je voudrais aussi signaler que l’on observe de nouveaux usages du photovoltaïque comme le BIPV (Building Integrated Photovoltaics) ou Photovoltaïque Intégré au Bâtiment, l’agrovoltaïque qui est un concept permettant la production d’énergie photovoltaïque sur des terres cultivables, sans en impacter la productivité agricole, et le photovoltaïque flottant, y compris en mer. Un premier projet de ferme photovoltaïque flottante se développe au large des côtes hollandaises. Enfin, il ne faut pas oublier qu’à côté du photovoltaïque, une autre technologie solaire se développe fortement : c’est le solaire à concentration ou CSP, surtout dans les pays à fort ensoleillement où le potentiel est important. Un des avantages de cette technologie est qu’elle permet un stockage pendant plusieurs heures de l’énergie produite, en restituant pendant la nuit l’énergie générée pendant la journée.
Dans le domaine éolien, les innovations sont moins spectaculaires, mais les constructeurs développent des modèles d’éoliennes moins bruyantes, plus grandes et plus puissantes qui disposent d’un meilleur rendement. Des technologies sont aussi mises au point pour réduire les impacts sur l’avifaune, par exemple en arrêtant automatiquement les éoliennes lorsque certaines conditions météo favorables aux sorties de chauve-souris sont remplies. Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Et puis, c’est évidemment dans l’éolien en mer que les développements sont les plus importants et les plus prometteurs, notamment avec l’arrivée des éoliennes flottantes qui permettent de s’éloigner davantage des côtes. Plusieurs pays européens sont en pointe dans l’éolien maritime : le Royaume-Uni, le Danemark, l’Allemagne, la Belgique… Malheureusement, la France a pris beaucoup de retard dans ce domaine.
EG: La part d’énergies renouvelables dans la production électrique augmente de façon constante. Compte tenu de l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque, peuvent-elles s’insérer de façon harmonieuse dans le réseau électrique ?
BD: L’éolien et le photovoltaïque sont des énergies intermittentes, mais les renouvelables ne se limitent pas à ces deux énergies-là, dont la part dans la production renouvelable est minoritaire. En France, comme dans quasi tous les pays, c’est la biomasse qui fournit la majorité de l’énergie renouvelable produite : plus de la moitié. Vient ensuite l’hydroélectricité. Ces deux énergies-là ne sont pas intermittentes, comme ne le sont pas non plus la géothermie ou les énergies de la mer (hydroliennes, énergie houlomotrice, marémotrice, etc.).
L’Union européenne s’est donné un objectif de neutralité carbone en 2050. Elle peut y arriver, comme de nombreuses études scientifiques l’ont démontré, en faisant appel à un mix de toutes les énergies renouvelables que je viens de citer, en y associant des capacités de stockage et en développant les interconnexions entre les pays et les régions d’Europe.
Concernant les réseaux électriques, l’affirmation selon laquelle ils ne pourraient pas supporter une part importante d’énergies intermittentes comme l’éolien et le solaire n’est pas fondée. C’est ce qu’a notamment démontré une étude rendue publique par le Conseil Européen des Régulateurs de l’Énergie (CEER). Le CEER a établi un classement des États dont les réseaux électriques sont les plus stables.
L’Allemagne et le Danemark y occupent les 2e et 3e marches du podium, après la Suisse. Il s’agit pourtant de deux pays qui produisent une part importante de leur électricité par les énergies renouvelables intermittentes. Le Danemark est même le champion en la matière puisque 60 % de son électricité provient de sources renouvelables, dont plus de 42 % sont injectées dans le réseau par des éoliennes. Ce pays est aussi celui où la densité d’éoliennes sur le territoire est la plus élevée. Cette performance est rendue possible grâce à deux câbles sous-marins d’interconnexion qui relient le Danemark aux centrales hydroélectriques de la Norvège et de la Suède. Celles-ci permettent de réguler la production intermittente des éoliennes puisque le Danemark étant un pays plat, il ne dispose pas de capacité hydroélectrique. Des petites centrales locales à biomasse, alimentées notamment avec de la paille, fournissent 16 % de l’électricité et participent aussi à ce rôle régulateur, puisqu’elles peuvent être arrêtées lorsque les éoliennes tournent à pleine puissance et relancées dans le cas contraire.
En Allemagne, les énergies intermittentes que sont l’éolien et le solaire contribuent pour environ 25 % à la production d’électricité. Et le réseau électrique allemand est un des plus stables d’Europe. L’agence fédérale allemande de contrôle et de régulation des réseaux publie chaque année un rapport. On peut y lire la confirmation que « la part croissante de la capacité de production décentralisée continue à n’avoir aucun impact négatif sur la performance des réseaux ». Entre 2006 et 2016, période pendant laquelle la part des énergies intermittentes a fortement progressé, le nombre et la durée des pannes du réseau allemand ont même été réduites d’un tiers.
EG: Eurostat souligne le retard français dans la production d’énergies renouvelables. Comment faire pour être au rendez-vous des objectifs de la PPE ?
BD: D’abord, il faut une volonté politique forte (NDLR : on ne l’a pas, nucléaire oblige !) qui oriente les choix, comme le démontrent les pays où la part des renouvelables est déjà très importante. Je viens de parler du Danemark, qui est à 60 % de renouvelables dans son mix électrique. La Suède, qui n’est pourtant pas gâtée par le soleil, produit déjà, par les renouvelables, plus de la moitié de toute l’énergie consommée dans le pays.
Par sa géographie, la France a beaucoup d’atouts : elle a des régions montagneuses, ce qui est favorable à l’énergie hydraulique ; de grandes étendues forestières, où elle peut exploiter la biomasse ; le midi ensoleillé permettrait un bon développement du solaire, y compris du solaire à concentration ; certaines régions, comme le bassin parisien, disposent d’un bon potentiel géothermique ; et elle est pourvue d’un littoral très étendu, où elle pourrait développer fortement les énergies marines, notamment l’éolien en mer. Malheureusement, les Français n’ont pas exploité ce potentiel comme ils auraient pu le faire. L’usine marémotrice de la Rance inaugurée en 1966 par Charles de Gaulle a été la première au monde, et elle fonctionne toujours aujourd’hui. Mais c’est toujours la seule, et les Français n’ont malheureusement pas développé ce know-how. Parce que le pays a ensuite fait le choix du nucléaire et a misé quasi tous ses investissements dans cette technologie. La France est le pays le plus nucléarisé au monde et elle est devenue accroc à cette énergie. Voilà son problème.
EG: Compte tenu de l’objectif de neutralité carbone, y’a-t-il encore un sens à opposer énergies renouvelables et nucléaire ?
BD: Oui, très certainement, je viens de l’expliquer. Vous ne pouvez dépenser un euro qu’une seule fois. L’urgence climatique est telle que les investissements doivent être consacrés aux solutions énergétiques les plus efficaces, les plus économiques et les plus rapides. Or, aujourd’hui ce n’est certainement plus le cas du nucléaire. Au cours de la dernière décennie, les coûts actualisés d’une unité de production électrique ont baissé de 88% pour le solaire et de 69% pour l’éolien, alors qu’ils ont augmenté, en moyenne de 23% pour le nucléaire. Ces dernières années, la poussée des coûts de sécurité dans le nucléaire a contribué à creuser l’écart. Par MWh produit sur la durée de vie d’une installation, le coût total (construction + exploitation) du solaire photovoltaïque varie entre 33 et 40 €/MWh et celui de l’éolien, entre 26 et 51 €. Pour le nucléaire, la fourchette est de 102 à 172 € soit, en moyenne, 3 à 4 fois plus cher que les renouvelables. En plus la durée moyenne de construction d’une nouvelle centrale est de 10 ans, sans compter la durée de toutes les études préalables au projet.
L’exemple du seul réacteur actuellement en construction en France, celui de l’EPR de Flamanville est significatif. Commencé en 2007, le chantier n’est toujours pas terminé, 12 ans plus tard. De retards en déboires nombreux et divers, sa mise en service prévue au départ en 2012, est actuellement programmée à fin 2022, soit après 10 ans de retard, au moins. Son coût, établi initialement à 3 milliards d’euros a déjà plus que triplé, la dernière estimation étant de 10,5 milliards.(NDLR : on en est à 12, 4 milliards) Mais le prix pour EDF pourrait s’élever au final à 15 milliards selon certains experts.
Un autre EPR de fabrication française se construit à Olkiluoto, en Finlande, et cela ne se passe pas beaucoup mieux. Débuté en septembre 2005 pour une mise en service initialement prévue à mi-2009, les travaux s’éternisent aussi. Aujourd’hui, l’exploitant TVO estime ne pas pouvoir disposer de l’installation avant mi-2020. Vous comptez bien : plus de 10 ans de retard également ! Côté coût, le montant forfaitaire de 3 milliards d’euros initialement convenu par contrat a explosé lui aussi suite aux indemnités de retard exigées par TVO. Le constructeur, Areva, étant une entreprise détenue majoritairement par l’État et par le Commissariat à l’énergie atomique (un établissement public), une grande partie des surcoûts liés à ces retards sera donc à la charge du contribuable français.
Pendant que le nucléaire français s’enlise dans ce bourbier, les nouvelles installations solaires et éoliennes accroissent leurs capacités de production plus rapidement que tout autre type d’énergie. Depuis 2000, les énergies vertes se développent dans le monde 25 fois plus vite que le nucléaire. Pour moi c’est clair, le nucléaire est trop cher et trop lent, il ne sauvera pas le climat. Si la France veut atteindre rapidement la neutralité carbone elle ne doit plus miser sur le nucléaire et orienter tous ses investissements dans les renouvelables… Et par là je n’entends pas seulement le solaire et l’éolien.
Rédigé par : Bernard Deboyser, (Ingénieur polytechnicien et chargé d’enseignement à l’université de Mons (Belgique) Bernard Deboyser est aussi expert en énergie. Il conseille plusieurs grandes entreprises industrielles et participe au développement de parcs éoliens et projets hydroélectriques.)
Publié le mercredi 6 Novembre 2019
https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/la-centrale-nucleaire-de-belleville-toujours-ciblee-par-les-ecologistes-1573050433
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