NUCLÉAIRE : LE PROGRAMME DE FUTURS EPR POURRAIT COÛTER AU MOINS 46 MILLIARDS D’EUROS

Dans un document présenté cet été au conseil d’administration, EDF détaille son projet de bâtir six nouveaux réacteurs dans les quinze prochaines années.

La France n’a pas encore tranché si elle allait ou non construire de nouveaux réacteurs EPR, mais EDF se prépare à ce que le gouvernement prenne une décision en ce sens. Dans un document confidentiel présenté au conseil d’administration le 25 juillet, que Le Monde a pu consulter, le groupe détaille une première version de son projet « Nouveau nucléaire de France ».

Dans cette présentation, EDF calcule que six réacteurs EPR construits par paires, financés sur une durée d’environ vingt ans, coûteraient au moins 46 milliards d’euros. Soit entre 7,5 et 7,8 milliards d’euros par réacteur, selon ses estimations. Un montant nettement moins élevé que l’EPR de Flamanville (Manche), chiffré aujourd’hui à 12,4 milliards d’euros, mais beaucoup plus important que le coût d’origine de l’EPR (3,3 milliards d’euros).

Pour chacun des réacteurs, des provisions pour démantèlement de 400 millions d’euros seraient incluses dans cette équation, et de 500 millions d’euros pour « incertitudes ».

Dérives

Officiellement, le gouvernement en est encore au stade de la réflexion sur l’éventualité d’un tel programme. La loi énergie climat, votée en septembre par le Parlement, dessine une trajectoire dans laquelle la France diminue la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2035 (elle est actuellement de 75 %). Objectif : parvenir à un équilibre de 50 % d’atome et 50 % d’énergies renouvelables. À cette fin, la feuille de route énergétique du pays pour la décennie à venir – la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) – prévoit de fermer quatorze réacteurs nucléaires d’ici à 2035 et de développer sensiblement le solaire et l’éolien.

La loi énergie climat n’évoque pas clairement la construction d’un nouveau parc de réacteurs. Emmanuel Macron a appelé la filière nucléaire à présenter, à la mi-2021, un plan permettant à l’exécutif de décider si oui ou non il était nécessaire d’en bâtir de nouveaux. Toutefois, dans une lettre envoyée début septembre au PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, le gouvernement lui demande d’étudier de manière précise l’aménagement d’un parc de six réacteurs de type EPR en une quinzaine d’années.

De fait, le groupe travaille depuis plusieurs mois à présenter au gouvernement un plan le plus complet possible. La tâche est ardue, tant les déboires s’accumulent sur le seul chantier du réacteur de troisième génération de l’Hexagone. Comment convaincre qu’il faut, dès 2021, lancer de nouveaux EPR, alors que celui de Flamanville ne devrait pas démarrer avant – au mieux – 2023 ? Comment expliquer que, cette fois, coûts et délais seront respectés, quand l’EPR normand accuse déjà dix ans de retard, et que sa facture a été quadruplée ?

Pour répondre à ces interrogations, la présentation de la direction d’EDF mentionne un certain nombre de critères nécessaires afin de pouvoir assurer le financement. À commencer par « l’impact sur la maîtrise industrielle du programme », compte tenu des dérives survenues à Flamanville. Mais surtout la « compatibilité avec la trajectoire financière d’EDF ».

L’entreprise se trouve dans une situation difficile, avec plus de 33 milliards d’euros de dette, alors qu’elle doit investir plus de 50 milliards d’euros pour prolonger la durée de vie des réacteurs actuels. Dans le même temps, en raison de l’ouverture à la concurrence, elle perd 100 000 clients particuliers chaque mois depuis plus de deux ans.

Besoin d’une implication de l’État

Le document note ainsi « le besoin partagé d’une implication de l’État », en soulignant trois points fondamentaux : d’abord, une « régulation tarifaire », autrement dit un mécanisme qui permette à EDF de revendre son électricité à un prix que le groupe juge intéressant. Ensuite, « un préfinancement en phase de construction », formule qui ouvre la possibilité que l’État participe, directement ou indirectement, au financement d’un tel programme avant même son démarrage. Enfin, la nécessité d’« une protection des investisseurs publics ou privés vis-à-vis des risques pour lesquels il n’existe pas d’appétence du marché ». Cela pourrait signifier que l’État se porterait directement garant des investissements. D’après la présentation au conseil d’administration, l’analyse de ces « scénarios de financement » doit être terminée pour la fin de 2019.

En toile de fond, le document ne fait qu’évoquer le projet Hercule, défendu par la direction d’EDF à la demande du chef de l’État, qui consiste à séparer les activités nucléaires et les placer dans une structure 100 % publique. Une telle scission, si elle avait lieu, permettrait, à en croire ses promoteurs, d’assurer un meilleur financement du futur programme nucléaire. Mais quelles que soient les modalités choisies, pour permettre à EDF d’assurer cette charge financière, le coût devra d’une manière ou d’une autre être répercuté sur les factures d’électricité des Français, par une hausse des tarifs ou de la fiscalité.

Chez EDF, on relativise la portée de ce document, en assurant qu’il ne s’agit que d’un avant-projet, et que la décision appartiendra en définitive au président de la République et au gouvernement. Un projet plus précis devrait être soumis au premier semestre 2020 en conseil d’administration et pourrait donner lieu à un vote.

« De notre côté, on souhaite une décision la plus rapide possible. Maintenant, c’est au gouvernement de trancher », explique un haut dirigeant d’EDF, tout en rappelant que l’État est actionnaire du groupe à 83,7 % et qu’il jouit donc d’une place prépondérante au conseil d’administration. « L’idée qu’EDF ferait des choses dans son coin est farfelue. L’État détient EDF et sait parfaitement ce qui se passe au conseil », note de son côté une source syndicale.

Par Nabil Wakim, publié le 9 novembre  à 06h10, mis à jour à 10h41

Photo en titre : Sur le chantier du réacteur EPR de Flamanville (Manche), le 16 novembre. CHARLY TRIBALLEAU / AFP  

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