Lundi 11 en fin de matinée, un séisme d’une magnitude de 5,4 sur l’échelle de Richter a gravement touché la ville du Teil en Ardèche (en face de Montélimar à une dizaine de kms des réacteurs de Cruas, à une trentaine de ceux du Tricastin, et à une quarantaine du site nucléaire de Marcoule qui, facteur aggravant, y reçoit et conditionne le plutonium destiné aux réacteurs « moxés » (1)). C’est le séisme le plus important survenu en France en seize ans. Au-delà des victimes (1 mort et des blessés), les habitants de la région se sont immédiatement inquiétés du risque de catastrophe atomique et de l’état des centrales nucléaires.
Rappels sur le risque sismique
La région du bas Rhône est une zone de risque sismique important. Sous la pression de la plaque tectonique Afrique sur la plaque Europe, la région est très fissurée avec trois grandes failles qui partent de la Méditerranée vers le nord de l’Europe, et de nombreuses failles transversales. Il en résulte un grand risque sismique illustré par le séisme dévastateur de 1909 de Lambesc, en Provence, de magnitude 6,2. Notons aussi Le séisme de Clansayes en juin 1772 (à 14km de Tricastin) dont les répliques durèrent longtemps.
En remontant sur des milliers et des dizaines de milliers d’années, la paléo-sismologie a révélé l’existence de tremblements de terre d’intensité ou de magnitude très supérieures à celles révélées sur la séquence historique. Nous ne sommes donc pas à l’abri de secousses bien plus fortes que celles prévues.
Les raisons légitimes de l’inquiétude de la population
Les réacteurs de Cruas et Tricastin ont été construits sur la base d’un risque sismique d’une magnitude de 4,7 avec une majoration de sécurité, de magnitude 5,2. Cela nous paraît tout à fait insuffisant, la vallée du Rhône étant particulièrement exposée.
– À la vétusté des équipements, aussi bien à Cruas qu’au Tricastin, s’ajoutent de graves défauts déjà identifiés tels que les fissures des cœurs de réacteur, les soudures des échangeurs de chaleur, corrosion des circuits, ou même le risque d’indisponibilité des groupes électrogènes de secours. Tout cela inquiète légitimement sur les possibles dégradations dues au tremblement de terre.
– Il n’y a pas que les bâtiments et les équipements des réacteurs qui peuvent être atteints par un séisme et mettre en danger leur fonctionnement. La rupture de barrage en amont, la rupture de la digue le long du Rhône qui protège le Tricastin peuvent avoir pour conséquence l’inondation des installations comme cela s’est produit à Fukushima. Cela a d’ailleurs été dénoncé par l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire).
Comment est gérée l’activité du nucléaire suite au séisme (3).
La centrale de Cruas comprend quatre réacteurs (915 MW chacun) et représente environ 5% de la production nucléaire française, EDF doit désormais procéder à son examen. Cruas 1 avait été stoppé début septembre pour des travaux de maintenance. Cruas 2, 3 et 4 ont été arrêtés dès lundi soir, avec l’intention de les redémarrer dès vendredi soir. Mais EDF a averti ensuite que le redémarrage pourrait être retardé, en raison « de la durée du processus de contrôle en cours ». « EDF devra vérifier, entre autres, l’absence de fissures, de fuites au niveau des joints, voir si les ancrages ont été endommagés ou si les équipements ont besoin de nouveaux essais ». Nous apprenons ce jour qu’EDF a prolongé les arrêts des quatre réacteurs et en prévoit les redémarrages échelonnés entre le 2 et 19 décembre.
Deux réacteurs de Tricastin sur les quatre sont également arrêtés: https://www.services-rte.com/fr/visualisez-les-donnees-publiees-par-rte/production-realisee-par-groupe.html, tandis que l’usine d’enrichissement GB2 n’est pas en fonctionnement.
Questions et commentaires. Si au premier abord la magnitude de 5,4 dépasse la marge de sécurité fixée à 5,2, l’exploitant prétend qu’il ne faut considérer que les ondes de surface qui n’auraient atteint que la magnitude de 4,5. Attendons à ce sujet d’en savoir plus.
Dès l’annonce du séisme, la CRIIRAD (2) en situation de vigilance renforcée a confirmé que ses balises de surveillance en continu de la radioactivité atmosphérique en Vallée du Rhône (Valence, Montélimar, Saint-Marcel d’Ardèche, Avignon) n’ont mis en évidence aucune contamination ou élévation anormale du rayonnement ambiant.
Mais on peut se poser des questions sur ce qui a été annoncé jusqu’à présent, ou pas, par EDF et l’ASN :
– Pourquoi le dépassement de seuil n’a été détecté que par un seul des cinq capteurs du site de Cruas? Quelle est la valeur détectée par ce capteur et par les autres ?
– Pourquoi les réacteurs en fonctionnement au moment du séisme n’ont pas été arrêtés instantanément, alors qu’un dépassement de seuil avait été détecté ; est-ce conforme aux règles de sûreté qu’un dépassement de seuil mesuré par un capteur sismique n’entraîne pas la mise à l’arrêt automatique des réacteurs du site ?
– Et la gestion du réacteur Cruas 4 pose question. Il a fonctionné à puissance réduite (360 à 420 MW) depuis le 13 octobre avec des oscillations de puissance irrégulières. Le 9 novembre entre 3h et 5h du matin le réacteur a été mis à l’arrêt (4) jusqu’au 10 novembre pour remonter en puissance jusqu’à 400 MW environ. Le 11 novembre à 17h il a été arrêté progressivement.
Que s’est-il réellement passé pendant près d’un mois pour que le réacteur n°4 fonctionne à puissance réduite avec cet arrêt en urgence? EDF faisait-elle des essais? Est-ce « normal » et autorisé par l’ASN de faire fonctionner un réacteur de 900 MW au tiers de sa puissance pendant une période aussi longue ? L’ASN était-elle au courant ?
On ne peut donc, décemment, se contenter du message rassurant de ces dernières heures « aucune incidence n’est à craindre, ni sur la production d’électricité ni sur la sûreté des installations des centrales du Tricastin et de Cruas ».
Tout cela nous montre une fois de plus qu’on frôle le risque de catastrophe atomique! Jusque-là nous avons eu de la chance, mais jusqu’à quand ? Quand les décideurs comprendront-ils qu’ils n’ont pas le droit d’exposer les populations à de tels dangers.
Ces dangers imposés sans débat démocratique, ne se justifient pas. Ils imposent l’arrêt des vieux réacteurs de notre région en extrême urgence, pendant qu’il en est encore temps.
Par Pierre Péguin, publié le 14 novembre 2019
(1) une bonne partie des plus vieux réacteurs, ceux de 900MW peuvent utiliser un « combustible » conditionné à Marcoule appelé MOX, mélange d’oxydes d’uranium dit « appauvri » et de plutonium, ce qui les rend plus dangereux.
(2) CRIIRAD, Communiqué du 12 novembre 2019 13H, Site http://www.criirad.org
Communiqué de presse STOP nucléaire Drôme Ardèche (collectif ADN) – 11 novembre 2019 18h
(3) La consultation du site internet de RTE indique en temps réel l’état de fonctionnement de l’ensemble des moyens de production d’électricité en France : https://www.services-rte.com/fr/visualisez-les-donnees-publiees-par-rte/production-realisee-par-groupe.html
(4) Le CAN du Sud Est indique sur son site internet qu’il y a eu un arrêt en urgence du réacteur n°4 le 9 novembre : http://coordination-antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2019/11/10/Centrale-atomique-de-Cruas-%3A-arr%C3%AAt-d-urgence-d-un-r%C3%A9acteur-nucl%C3%A9aire
http://coordination-antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2019/11/15/Apres-le-seisme-du-11-novembre-en-Ardeche-qu-en-est-il-du-nucleaire-regional
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