Analyse Le débat public sur le Plan national de gestion des déchets et matières radioactifs (PNGMDR), qui s’est tenu du 17 avril au 25 septembre, a davantage interrogé sur le mode de décision du gouvernement sur les sujets nucléaires, qu’il n’a apporté d’avis du public sur les sujets abordés.
Le débat public sur la gestion des déchets du nucléaire s’est tenu jusqu’au bout. 3 400 personnes ont assisté à 23 rencontres publiques et 5 débats mobiles dans 24 villes de France du 7 avril au 25 septembre 2019. Presque un exploit, du moins pour la Commission particulière du départ public (CPDP), présidée par Isabelle Harel-Dutirou, qui l’organisait. Seules « quelques séances, moins nombreuses qu’on aurait pu le craindre, ont été perturbées par des opposants au principe même de ce débat », observe la CPDP dans son compte rendu publié le 25 novembre.
De là à parler de succès, on en est loin. Car de débat public, il n’y a pas vraiment eu. « Le public non spécialiste a été moins nombreux qu’on aurait pu le souhaiter« , reconnaît la CPDP. Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il a été difficile de séparer les sujets, très techniques, sur lesquels ce débat public devait permettre d’éclairer le gouvernement, des questions sociétales, éthiques et de gouvernance liées au nucléaire civil en France. Difficile de parler du reclassement en déchets des combustibles usés dans l’attente d’une hypothétique réutilisation ou de la possible valorisation économique des déchets de très faibles activités (donc non radioactifs) issus du démantèlement, quand on n’est pas au clair sur l’idée que les déchets du nucléaire sont les déchets de tous les citoyens, qu’ils soient ou non favorables à l’usage de l’atome pour produire de l’électricité.
Pas de réels débats
Surtout, ce ne sont pas des débats publics que la CPDP avait organisés, mais plutôt des conférences publiques hyper spécialisées sur chacune des questions auxquelles doit répondre le prochain Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), établi conjointement par la Direction générale énergie climat (DGEC) et l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN). Des réunions, qui plus est, qui n’abordaient pas l’aspect économique de ces questions, traité que partiellement et lors d’une seule rencontre publique, en septembre, à Paris, encore une fois sans que puisse s’engager un réel débat.
Impossible dialogue
« Ce débat public est la photographie d’une situation bloquée dans laquelle la société et la technostructure nucléaire, composée de l’industrie et les émanations de l’État qui en assure la gouvernance DGEC et ASN, n’arrivent plus à se parler », observe le spécialiste du nucléaire Yves Marignac, directeur du cabinet d’études Wise-Paris, qui a assidûment participé aux rencontres publiques. Selon lui, « on est dans une situation où cette technostructure nucléaire reste enfermée dans une culture construite au fil des décennies avec des gouvernements successifs qui assurent une continuité et une pérennité à la filière alors que la société a intégré que cet avenir n’est pas certain et qu’elle le réinterroge beaucoup plus fortement. »
La gouvernance en question
Pas étonnant que le compte-rendu des débats ne permette de dégager aucun avis clair du public sur le PNGMDR. « Les débats n’ont même pas permis d’aborder la question des sujets qui devaient remonter au niveau législatif », observe Yves Marignac. Ils ont en revanche permis d’interroger la répartition de la responsabilité entre DGEC et l’ASN dans la rédaction du PNGMDR, ainsi que la périodicité de celui-ci, voulues par la loi. Une réunion de toutes les parties prenantes est déjà prévue le 9 janvier pour en discuter.
Alors, faut-il vraiment organiser un débat public sur le Plan national de gestion des déchets et matières radioactifs tous les trois ans, comme le veut une ordonnance de juillet 2017 ? À la lecture de la synthèse rédigée par la CPDP et du bilan qu’en tire la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, on peut légitimement se poser la question.
Du bon usage du débat public
Pour Chantal Jouanno, le débat public n’a vraiment de sens pour le public que s’il est « étendu aux choix stratégiques ». Il n’est pas adapté « aux seuls arbitrages de gestion opérationnelle ». En clair, rien ne sert d’interroger le public sur le mode de stockage des déchets radioactifs qui traînent depuis des années sur les sites du CEA et dont personne ne sait pas quoi faire, si l’on n’est pas prêt à entendre son avis sur les seules questions auxquels il peut vraiment en donner un : faut-il continuer à produire des déchets radioactifs ou arrêter ? Peut-on valoriser les déchets non radioactifs des démantèlements qui s’annoncent ? Doit-on les stocker sur place ou les déplacer tous au même endroit ? Faut-il continuer à investir dans la recherche sur le recyclage des combustibles usés non valorisables aujourd’hui, ou se décider à les considérer comme des déchets ?
Mais encore faut-il que la CNDP ait « la capacité à mobiliser » un public dit « ordinaire », observe la présidente de la CNDP. Or cette capacité ne tient selon elle qu’« à la confiance » que le public a « dans l’écoute des décideurs ». Une confiance qui virerait à la défiance. « Le public déserte l’arène institutionnelle du débat public considérant que celle-ci n’a pas d’impact sur le décideur, considération argumentée par les décisions passées de l’État », écrit encore Chantal Jouanno dans son bilan.
Risque de discrédit des institutions
Du coup, une part importante du débat se serait déroulée sur les réseaux sociaux, en dehors des rencontres organisées par la CPDP et fréquentées principalement par les experts du sujet. Des échanges informels qui, selon Chantal Jouanno, mériteraient d’être synthétisés. Elle note aussi la tentative de participation argumentée aux débats économiques sur les combustibles usés de Greenpeace. « Les participants à ce débat public, notamment les opposants aux choix nucléaires, ont fait preuve de leur confiance dans les procédures institutionnelles existantes pour aboutir à des décisions argumentées et transparentes. Trahir cette confiance conduira inévitablement à discréditer les institutions, la participation, et donc à alimenter le discours de la défiance et de la violence« , conclut la présidente de la CNDP.
Avec le PNGMDR, la systématisation, par ordonnance, du débat public pour tous les projets, programmes et plans publics liés à l’environnement, a en tout cas trouvé une limite
Par Aurélie Barbaux , publié le 26/11/2019 à 11h36
Photo en titre : Le débat public sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) n’a finalement permis que d’interroger sur le mode d’élaboration du plan lui-même. © Aurélie Barbaux
https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-le-debat-public-sur-les-dechets-nucleaires-n-a-pas-reellement-eu-lieu.N907699
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