DOCUFICTION : 2021, L’IMPOSSIBLE « RETOUR À LA NORMALE » APRÈS UN ACCIDENT NUCLÉAIRE EN FRANCE

  Le docufiction militant Retour à la normale nous plonge dans une France post-catastrophe nucléaire. Évitant le débat sur la plausibilité d’un tel accident, le film pose avec pertinence la question de notre impréparation à la gestion de l’après.

Le 21 octobre 2021, l’impensable se produit. Les médias confirment rapidement ce que laissait craindre le bruit des sirènes retentissant dans la vallée du Rhône : une catastrophe nucléaire vient d’arriver en France. Des dizaines de milliers de personnes sont directement impactées et évacuées. Les consignes de sécurité pleuvent, les résistances et les polémiques également : certains habitants refusent de partir pendant que les écolos accusent les autorités de mentir sur l’ampleur réelle du désastre.

Pourtant, huit mois après l’accident, le ministre de l’Écologie invite les habitants au retour. La zone décontaminée serait à nouveau accessible et sans danger. Mais faut-il retourner chez soi si les sorties dans le jardin des enfants doivent être chronométrées ? Faut-il revenir travailler son vignoble en tenue de cosmonaute ? Un retour à la normale est-il vraiment possible ?

C’est l’une des questions que pose le docu-fiction Retour à la normale, réalisé par Christina Firmino. Pendant une cinquantaine de minutes, le film alterne entre séquences fictionnelles nous projetant dans le quotidien post-catastrophe de citoyens traumatisés et des interviews d’experts et militants analysant la portée d’un tel scénario.

Les mythes du nucléaire

Clairement orienté anti-nucléaire (il est notamment soutenu par le Réseau sortir du nucléaire et le fournisseur d’énergie renouvelable « Enercoop, l’énergie militante »), le documentaire esquive le sempiternel et très passionnel débat sur le degré précis de risque d’accident nucléaire en France pour se concentrer sur ce qui se passerait une fois la catastrophe advenue. Puisque le risque nul n’existe pas, en témoigne l’accident de Fukushima en 2011 ou ceux, plus anciens et longtemps cachés de Saint-Laurent-des-Eaux en France, sommes-nous suffisamment conscients et préparés au cas où l’imprévisible finirait par se produire ?

Le film répond clairement non à cette question et dresse une longue liste de critiques à l’encontre des « mythes » qu’entretiendrait l’industrie nucléaire. Le mythe d’un nucléaire sans risques d’abord. « Dans les années 1940 aux États-Unis, l’objectif a été de dire qu’il y avait un effet de seuil en-dessous duquel la radioactivité à faible dose n’était pas dangereuse. […] Et depuis cette époque, le mythe a été maintenu parce que les scientifiques et médecins qui travaillent avec l’industrie nucléaire parviennent à faire taire ou à empêcher de s’exprimer les chercheurs qui ont développé une connaissance, un savoir, par rapport aux effets sanitaires à faible dose », dénonce par exemple Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, directrice de recherche honoraire à l’Inserm.

Extrait du film Retour à la normale (© France Télévisions – La Société des Apaches – 2018)

Le mythe d’un possible « retour à la normale » ensuite. Bruno Chareyron, ancien ingénieur en physique nucléaire et directeur de laboratoire à la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), et Roland Desbordes, porte-parole et ancien président de la Criirad se succèdent à l’écran pour souligner comment des dizaines d’éléments radioactifs peuvent contaminer le sol, les végétaux et, partant de là, toute la chaîne alimentaire. Ou comment la décontamination totale des sols est une tâche trop titanesque pour être possible, rendant « illusoire » tout retour sécurisé des habitants sur les zones évacuées puisque toute décontamination partielle finirait par être à nouveau atteinte par la radioactivité alentour.

« Un accident nucléaire majeur, c’est plus qu’une guerre. Après une guerre, on peut reconstruire, rebâtir, mais dans le cas d’une catastrophe nucléaire on ne peut pas, des territoires sont interdits pendant 500 ans ou 5 000 ans. Et ça, [le coût économique], ça ne se calcule pas », souligne dans le film Jean-Luc Porquet, journaliste au Canard enchaîné.

Accoutumer à l’ignorance et à l’incertitude

Les accusations sont lourdes contre la filière nucléaire et son inconséquence, et le film aurait sans doute gagné en crédibilité en donnant la parole aux parties adverses, ou au moins à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), chargés de surveiller le secteur en France. Mais l’intérêt essentiel est ailleurs : puisque les conséquences d’une catastrophe nucléaire seraient dramatiques, à la fois pour la santé immédiate des citoyens et pour les générations futures (« comment garder la mémoire des zones contaminées invisibles à très long terme ? »), les citoyens devraient être largement plus impliqués dans le choix de vivre avec une telle menace, défend le documentaire.

« Un rapport de l’OMS datant d’avant 1959 dit clairement que si l’industrie nucléaire devait se développer, il faudrait conditionner les citoyens pour qu’ils soient accoutumés à l’ignorance et à l’incertitude », assure Roland Desbordes. Sous-entendu selon le militant : une telle industrie ne pourrait pas se développer si la population était réellement consciente des risques. « En situation normale et encore plus en situation accidentelle, la norme ne protège pas les populations. […] La norme n’est qu’un compromis entre un dommage sanitaire et un intérêt économique. Et on ne demande jamais aux citoyens de se prononcer sur l’endroit où l’on met le curseur, c’est-à-dire quel sera le nombre de morts ou de malades acceptables. […] La norme dit le risque acceptable, mais pour qui ? », insiste-t-il.

Extrait du film Retour à la normale (© France Télévisions – La Société des Apaches – 2018)

La question est d’autant plus pertinente que le nucléaire français entre dans un moment charnière. L’objectif officiel du gouvernement est de ramener l’industrie de l’atome à 50 % de la production électrique nationale d’ici 2035 et tandis qu’EDF pousse pour la construction de nouvelles centrales, la ministre de l’Écologie, Elisabeth Borne, a rappelé en novembre qu’un horizon « 100 % renouvelable » était toujours une possibilité.

Le débat fait rage entre les pro-nucléaire qui soulignent, à l’instar de Jean-Marc Jancovici, les atouts du nucléaire pour le climat et pour se passer d’énergies fossiles tout en assurant une production d’énergie constante, fiable et intense, et les anti qui dénoncent le fiasco industriel de l’EPR de Flamanville, censé représenter la nouvelle génération de réacteurs, et qui risque d’entraîner la France vers une « faute de politique industrielle historique » alors que les coûts des renouvelables s’effondrent pendant que ceux du nucléaire explosent.

Le débat n’est pas tranché. Prendre en compte l’avis des citoyens, notamment à propos du bien-fondé de choix impliquant un risque de transformer leur territoire en zone inhabitable, paraît plus que légitime. C’est le mérite de ce docu-fiction, imparfait et partisan, que de chercher à faire remonter cet enjeu. Avec un succès tout relatif : il n’est programmé que dans quelques villes dans les mois à venir (Toulouse, Rouen, Poitiers, Lyon). Le distributeur, Kameah Meah Films, invite les citoyens à multiplier les initiatives de projections pour « faire réfléchir sur la notion de “risque” et de responsabilité citoyenne face à ces menaces invisibles et d’ouvrir vers une réappropriation du sujet et de l’énergie et de la sobriété ».

Par Vincent Lucchese, publié le 27/11/2019 à 07h00

https://usbeketrica.com/article/2021-impossible-retour-a-la-normale-accident-nucleaire-docufiction

Pour voir un extrait (1mn42s) du film, cliquer sur : https://kameameahfilms.org/retour-a-la-normale/