L’INCLUSION DU NUCLÉAIRE DANS LA FINANCE DURABLE DIVISE PARIS ET BERLIN

Alors que les pays européens tentent de fixer les règles de finance verte, la France et l’Allemagne s’écharpent sur la place du nucléaire. Défendue par la France, son inclusion est une ligne rouge pour Berlin.

Nouvelle épreuve pour le couple franco-allemand, déjà fragilisé par les formules parfois radicales d’Emmanuel Macron, comme  celle sur l’OTAN qui a fait ressortir des antagonismes sérieux.

Alors que l’Allemagne a engagé une vaste conversion de son modèle énergétique qui doit aboutir à la sortie du nucléaire en 2022, la France ne cesse de repousser la question de l’avenir du nucléaire.

L’objectif de réduction de la part du nucléaire de 70% à 50 % du mix électrique français a été reporté à 2035, la mise en service du nouveau réacteur EPR de Flamanville ne cesse d’être reportée et aucun politique ne semble vouloir trancher sur le sujet.

Au niveau européen, l’élaboration d’une « taxonomie » des investissements verts a ravivé les antagonismes énergétiques entre Paris et Berlin.  Proposée par Bruxelles en 2018, cette  taxonomie doit permettre de déterminer quels secteurs pourront bénéficier des fonds de la finance durable.

Une manière de labéliser les secteurs « verts ou pas verts » et de donner des indications claires et durables aux investisseurs afin qu’ils réorientent leurs financements vers les secteurs « climato-compatibles ».

Concrètement, six objectifs environnementaux prédéfinis devront être respectés pour obtenir le label et toute technologie en est automatiquement rayée si elle nuit gravement à l’un des objectifs.

C’est d’ailleurs à la faveur de ce double niveau de contrôle que la filière nucléaire  a jusqu’alors été écartée.

Le nucléaire exclu du label européen des investissements verts

Le Parlement européen s’est exprimé sur une proposition de classification des actifs durables, et a choisi d’empêcher l’énergie nucléaire d’obtenir le sceau d’approbation écologique des marchés financiers.

Car si le nucléaire répond largement  à l’objectif de faibles émissions, « il n’était pas possible d’inclure le nucléaire, car il n’y a pas d’évidence scientifique pour le traitement des déchets. Donc la filière ne répond pas aux deux piliers » explique Jochen Krimphoff, directeur adjoint – finance durable de l’ONG WWF. Une décision validée par le Parlement européen en avril dernier.

Mais depuis le début des négociations interinstitutionnelles, la France tente de réintroduire le nucléaire, au grand dam de l’Allemagne. « La France plaidera pour que l’énergie nucléaire fasse partie de ce label écologique », a assuré le ministre de l’Économie Bruno Le Maire lors  de la conférence pour la reconstitution du Fonds vert fin octobre.

« Nous ne pouvons pas réussir la transition écologique et nous ne pouvons pas parvenir à notre objectif en termes de lutte contre le réchauffement climatique sans l’énergie nucléaire », a assuré le ministre. (NDLR : pourtant de très nombreuses études prouvent le contraire)

Le gaz tente de s’immiscer dans la finance durable

Les représentants des 28 États membres de l’UE ont réintégré le nucléaire aux secteurs éligibles aux futurs investissements verts. Ce qui laisse le secteur du gaz plein d’espoir.

La position française, soutenue par la République tchèque et une poignée de pays de l’est de l’Europe, a considérablement crispé l’Allemagne, qui s’oppose farouchement à un étiquetage vert du nucléaire. D’autres pays européens comme le Luxembourg, l’Autriche, l’Italie ou Malte sont également opposés à la réintégration du nucléaire.

« La France souhaite imposer le nucléaire dans la taxonomie, cela vient froisser les échanges sur le sujet au risque de les faire capoter ! Pourquoi la France cherche-t-elle à faire avancer ces sujets toxiques pour la coopération européenne ? »,  s’interroge Pierre Cannet,  expert sur les questions de climat et d’énergie au WWF France.

D’autant que la France affiche une position plutôt progressiste sur cette taxonomie, en militant par exemple  – à l’instar de la Commission ou du Parlement – pour une entrée en vigueur dès 2020, tandis que le Conseil plaide pour une mise en œuvre plus tardive en 2023.

De son côté, l’Allemagne ne verrait pas d’un mauvais œil la réintégration du gaz dans la liste verte européenne.  Au risque d’un deal qui verrait rerentrer le gaz pour l’Allemagne et le nucléaire pour la France. (NDLR : cette dernière phrase n’augure rien de bon !)

Par : Cécile Barbière | EURACTIV.fr, publié le 27 nov. 2019

Photo en titre : Angela Merkel, ici à Berlin le 29 avril, reconnait un débat intense avec Emmanuel Macron [EPA-EFE/FILIP SINGER]

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