Avec une série de nouveaux déploiements militaires américains, Washington intensifie ses préparatifs en vue d’une guerre à grande échelle avec l’Iran. L’escalade se poursuit, malgré ce que les médias ont universellement décrit comme un apaisement des tensions à la suite de l’assassinat du général iranien Qassem Suleimani par un drone américain le 3 janvier. La riposte iranienne était largement symbolique sous la forme d’une frappe de missile sans victime contre deux bases occupées par les États-Unis en Irak.
Le Pentagone a envoyé un escadron d’avions de combat F15-E en Arabie Saoudite, a rapporté jeudi le journal Stars & Stripes, qui couvre l’armée américaine. Déployés sur la base aérienne du Prince Sultan, les avions de combat sont à une distance permettant facilement des frappes sur des cibles terrestres à l’intérieur de l’Iran. Leur déploiement fait suite à celui d’un autre escadron de F15-E à la base aérienne d’Al Dhafra aux Émirats arabes unis en octobre dernier. Le mois dernier, les forces aériennes américaines ont publié une déclaration. Elle annonçait que sa 378ème Escadre aérienne expéditionnaire avait ressuscité ce qui avait été une importante base aérienne américaine en Arabie saoudite il y a 15 ans et qu’elle «grandit chaque jour». Le chef du groupe d’opérations de l’unité, le colonel Robert Raymond, a dit, «Nous avons transformé ce qui n’était qu’un coin du désert en un lieu d’opérations complet.»
Le secrétaire d’État à l’armée de terre, Ryan McCarthy, a déclaré mercredi que le Pentagone se préparait à envoyer de nouveaux systèmes de défense antimissile et d’autres moyens au Moyen-Orient. Cette initiative était en vue d’un affrontement avec l’Iran. «C’est un ennemi très capable», a dit McCarthy. «Ils ont des capacités qui peuvent frapper et tuer des Américains.»
Il a ajouté: «Il pourrait y avoir une variété de moyens, comme la défense antimissile et d’autres, alors on regarde cela.»
Entre-temps, l’armée norvégienne a révélé que Washington a retiré quelque 3000 soldats des jeux de guerre appelés «Réponse au froid» qui sont prévus du 2 au 18 mars en invoquant la nécessité de déplacer les forces vers le conflit avec l’Iran. Cet exercice semestriel, auquel participent les forces norvégiennes, vise à préparer une guerre contre la Russie. Les autres participants sont le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, la France, la Belgique, le Danemark, la Lettonie, la Finlande et la Suède.
Le Pentagone a déjà envoyé 4000 soldats de la 82ème division aéroportée dans la région et déployé dans le golfe Persique 2000 marines à bord du navire d’assaut amphibie USS Bataan. À cela s’ajoute le repositionnement d’une force de frappe composée de six bombardiers lourds B-52 sur la base militaire américaine de l’île de Diego Garcia dans l’océan Indien une possession coloniale britannique. Cette île est à une distance permettant des frappes contre l’Iran, mais hors de portée des missiles à plus longue portée de ce pays.
Le président Donald Trump a déclaré que les frappes de missiles iraniens le 8 janvier sur la base aérienne d’Ain al-Asad dans la province d’Anbar en Irak et sur une base à l’aéroport d’Erbil au Kurdistan irakien qui n’ont ni tué ni blessé un seul Américain, étaient un signe que Téhéran serait en train de «se retirer». Il a réagi en annonçant une nouvelle série de sanctions économiques draconiennes et en exigeant que les alliés de l’OTAN de Washington s’impliquent davantage dans la campagne contre l’Iran.
D’une part, cette approche était destinée à intensifier la campagne de «pression maximale» de l’impérialisme américain contre l’Iran — un blocus économique efficace qui équivaut à une guerre. De l’autre cela lui permet de mobiliser les anciens alliés de Washington en Europe pour augmenter la pression sur Téhéran.
Les gouvernements du Royaume-Uni, de la France et de l’Allemagne se sont alignés cette semaine. Ils ont menacé de réimposer les sanctions des Nations Unies contre l’Iran. Sanctions qui ont été ostensiblement levées dans le cadre de l’accord de Téhéran de 2015 avec les grandes puissances pour accepter des limites sur son programme nucléaire civil en échange d’une normalisation des relations économiques. Washington avait bousculé ces trois pays, en menaçant d’actions militaires. Aussi, Washington les a fait chanter économiquement en les menaçant de droits de douane de 25 pour cent sur leurs exportations automobiles. Face à l’échec des trois puissances européennes à contrer le régime de sanctions imposé par Washington après l’abrogation unilatérale de l’accord nucléaire par Trump en mai 2018. Téhéran a répondu en réduisant progressivement ses engagements au titre de cet accord. Le président Hassan Rohani a déclaré jeudi que l’Iran enrichit désormais plus d’uranium qu’avant la signature de l’accord de 2015.
L’impérialisme américain cherche à exploiter ce rassemblement contre l’Iran pour contraindre le gouvernement nationaliste bourgeois du pays dirigé par des religieux chiites à capituler et à accepter un nouvel «accord Trump». Cela impliquerait non seulement de mettre effectivement fin au programme nucléaire de l’Iran, mais aussi de désarmer le pays en mettant au rebut ses missiles balistiques et en réduisant son influence dans tout le Moyen-Orient. Washington et ses alliés calculent qu’ils peuvent manipuler les divisions au sein de l’élite au pouvoir en Iran. Mais, surtout, ils comptent sur les craintes de la bourgeoisie iranienne d’une révolte sociale venue d’en bas pour forcer Téhéran à capituler.
En même temps, le Pentagone se prépare activement à l’escalade d’une guerre. Cette guerre a déjà été déclenchée par le meurtre de Souleimani avec neuf autres Iraniens et Irakiens à l’aéroport international de Bagdad. C’est une tuerie qui constitue à la fois un acte de guerre et un crime de guerre.
Depuis, les journaux américains ont relevé que le gouvernement Trump avait validé l’assassinat de Souleimani comme politique en juin dernier, à la suite de l’abattage par les iraniens d’un drone-espion américain au-dessus du détroit stratégique d’Ormuz. L’ordre de Trump d’exécuter cette politique après l’assaut de l’ambassade américaine à Bagdad par des manifestants irakiens a cependant pris l’armée américaine au dépourvu. Elle n’était pas prête à faire face à une spirale incontrôlée de représailles et de contre-représailles. Les derniers déploiements indiquent que les préparatifs en vue d’un conflit total sont maintenant en bonne voie.
Que ce soit par la «pression maximale» ou par une guerre totale, les objectifs de l’impérialisme américain sont les mêmes: l’imposition d’un régime fantoche aux ordres en Iran, qui est un pays d’une grande importance géostratégique. Ce pays relie l’Europe et l’Asie. Il commande le «point d’étranglement» crucial du détroit d’Ormuz par lequel transitent 20 pour cent du pétrole commercialisé dans le monde. Il possède les quatrièmes réserves prouvées de pétrole et les deuxièmes réserves de gaz naturel du monde. La conquête de l’Iran est considérée par Washington comme une préparation stratégique indispensable à un conflit direct avec ses rivaux parmi les «grandes puissances», la Chine et la Russie.
Un article glaçant de l’analyste militaire chevronné William Arkin, publié cette semaine par Newsweek, indique la mesure dans laquelle l’impérialisme américain est prêt à aller pour atteindre ce but. Il s’intitule: «Avec une nouvelle arme dans les mains de Donald Trump, la crise iranienne risque de devenir nucléaire.»
Arkin cite des informations précédemment confidentielles selon lesquelles en 2016, avant l’entrée en fonctions de Trump, l’armée américaine a effectué un exercice baptisé «Global Thunder 17». Il simulait une réponse nucléaire américaine contre l’Iran en représailles au torpillage d’un porte-avions américain et à l’utilisation d’armes chimiques contre les troupes américaines. Il cite un entrepreneur du gouvernement qui a aidé à écrire le scénario de guerre. L’entrepreneur a dit qu’on l’a choisi parce que le scénario: «permettait la plus grande intégration des armes nucléaires, des forces militaires conventionnelles, de la défense antimissile, de la cyberdéfense et de l’espace dans ce que les stratèges nucléaires appellent la « dissuasion du 21e siècle ».»
Depuis ces jeux de guerre, écrit Arkin, le Pentagone «a déployé une nouvelle arme nucléaire qui augmente les perspectives de guerre nucléaire. La nouvelle arme nucléaire, appelée W76-2, est une tête de missile à faible rendement destinée exactement au type de scénario iranien qui s’est déroulé dans les derniers jours du gouvernement Obama.»
Ces armes, emportées par des missiles Trident II tirés à partir de sous-marins, sont considérées comme une dissuasion plus «crédible» car elles sont plus «utilisables» que des ogives plus grosses.
«Suivant la rédaction des plans de guerre actuels», prévient Arkin, «l’utilisation d’une telle arme pourrait aussi être justifiée presque comme pour Hiroshima. C’est-à-dire: un coup de tonnerre choquant pour prévenir une guerre totale plus large et théoriquement plus destructrice.»
L’article d’Arkin cite quatre officiers supérieurs non nommés comme ayant exprimé leur inquiétude au sujet d’un facteur «Donald Trump». C’est-à-dire: «qu’il y ait quelque chose au sujet de ce président et des nouvelles armes, qui font qu’évaluer s’il faut franchir le seuil nucléaire devient un danger exceptionnel.»
En réalité, c’est le gouvernement Obama qui a façonné la doctrine qui prévoit une frappe nucléaire «préemptive» contre l’Iran et dont le gouvernement Trump a hérité. La criminalité de l’impérialisme américain est exprimée dans l’assassinat de Suleimani. Mais aussi, à une échelle bien plus large, dans la menace d’une frappe nucléaire «préventive» contre l’Iran. C’est la mesure de la crise de l’impérialisme américain. Ainsi, il se trouve entraîné par ses propres intérêts à compenser le déclin de son hégémonie mondiale par un recours à une force militaire dévastatrice.
(Article paru d’abord en anglais le 17 janvier 2020)
Par Bill Van Auken, publié le 18 janvier 2020
Photo en titre: Le secrétaire d’État à l’armée de terre Ryan McCarthy
https://www.wsws.org/fr/articles/2020/01/18/iran-j18.html
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